- Dim Mar 16, 2008 4:12 pm
#40907
Histoire d’apporter une petite contribution, j’ai pensé à écrire sur mes techniques d’interview. En parcourant le forum, j’avais en effet remarqué quelques similitudes entre ça et les exemples pour aborder, ou sur les discussions dans une première date.
Voici donc quelques réflexions sur le sujet. Si les modérateurs estiment que ça n’a pas lieu d’être ici, et bien vous lockez où vous laissez sombrer dans les profondeurs du forum, je n’ai pas de velleités d’auteurs par rapport à ça.
Note : je l'ai mis par défaut en hors-sujet, ça me semblait le plus approprié.
Tout d'abord, je différencie deux types d’interviews, le micro-trottoir et le « classique ».
Le micro-trottoir
Le micro-trottoir, c’est ce type d’interviews qu’on retrouve en support d’un article sur des questions d’une importance capitale, dans certains quotidiens nationaux ou régionaux. On demande leur avis à 5 ou 6 personnes prises au hasard dans la rue, et c’est censé refléter la pluralité des opinions des français moyens. Ca marche bien pour les sujets redondants d’une année sur l’autre (les fameux « marronniers ») ou des sujets d’actualité comme les grèves. C’est journalistiquement inintéressant, selon moi, mais c’est un autre débat.
Donc, le but : aborder des inconnu(e)s dans la rue (sur un marché, dans une gare, etc…), et les convaincre en quelques secondes que :
- je ne veux pas leur taper du fric
- j’ai besoin de leur avis sur la dernière grève à la SNCF
- ça ne prendra pas longtemps
- c’est professionnel (pour renforcer ça, je prends soin d’avoir à la main bloc-notes et stylo)
Je m’habille de manière très neutre, mais toujours correctement. Je dois donner une image de crédibilité, de sérieux, mais pouvoir être vu sans a-priori négatif par n’importe quelle classe de la population. Ca ne peut pas marcher à 100%, mais je cherche à réduire le % de rejet.
Le petit speech d’intro (l’amorce ?) doit être sorti avec naturel. Moi, c’est souvent du type « Bonjour, je travaille pour XXXX. Je fais un reportage sur la culture des huîtres perlières dans le Sahara occidental, ça m’intéresserait d’avoir votre avis ». C’est un exemple, je m’adapte. Dans des contextes où les gens sont plus détendus, par exemple un marché où l’on flâne le samedi matin, ça peut être plus joyeux. Si je vois des groupes de 2 ou 3 personnes qui semblent plutôt souriantes, ça m’est arrivé de les aborder avec « vous auriez deux minutes pour aider un journaliste en panne d’inspiration ? », ou de commencer par faire une remarque en fonction des étals ou des boutiques autour de nous. C’est basique, mais avec un grand sourire, ça passe tout seul. C’est un leitmotiv de toute façon, pour les micro-trottoirs, toujours souriant, dans tous les cas. Sans parler de ce que ça entraîne comme réactions positives, ce qui a été largement débattu ici par des gens plus compétents que moi, c’est aussi parce que je représente un journal, une marque, et bien évidemment je ne dois pas en véhiculer une mauvaise image.
Je fais en bien moins élaboré ce qu'explique SpanishKiss ici : http://www.spikeseduction.com/articles/ ... egles.html
Et, la plupart du temps, j'ai en arrière-plan une petite voix qui me dit « tout ça n'est qu'un jeu futile et vain ». Non seulement je le pense, mais ça aide à éliminer la petite pression qu'on peut avoir. J’ai remarqué qu’il était plus facile d’aborder des groupes de deux ou trois que des personnes seules, ne serait-ce que parce qu’un groupe marche plus lentement. Il doit y avoir un petit sentiment de sécurité qui joue également.
Le moment délicat vient en général lorsque je dois prendre des photos. Je ne le dis jamais au début. J’ai testé, et le pourcentage de refus grimpe de manière impressionnante. Après avoir pris quelques notes, je fais comme si je venais de m’en souvenir. « Ah oui, au fait, j’ai besoin de votre portrait aussi, si ça ne vous embête pas ». Certains disent oui sans problèmes ; d’autres demandent juste à se faire prier un peu. Pour ceux qui refusent, j’argumente en disant « c’est dommage, du coup ce que vous avez dit ne pourra pas passer dans le journal ». L’ego est un instrument magnifique. Comme le fait remarquer Pacino dans L’associé du diable : « la vanité, mon pêché préféré ». Rien qu’avec ça je récupère environ la moitié des refus. D’autres refusent catégoriquement, ça arrive aussi. Mon taux de réussite est très très variable, et dépend aussi beaucoup des circonstances. Un micro-trottoir des lycéens qui attendent les résultats du bac, c’est délicat, ça doit être du 30%. Pour une manifestation de rue, ou un festival, un salon, c’est bien plus élevé, de l’ordre de 75%.
L’interview traditionnelle
Là, contrairement au micro-trottoir, on peut en principe avoir quelques infos sur la cible. Ce que je fais au mieux en fonction du temps dont je dispose. Ca évite de poser les questions ultra-bateau, ça montre à la cible qu’on s’est intéressé au sujet, elle s’impliquera du coup un peu plus dans ses réponses. Je me fais une liste de questions avant. Pas très rédigées, plutôt des points-clés que je veux aborder d’une manière ou d’une autre.
Puisque l’habit fait le moine, quand j’en ai le temps, je choisis mon look en fonction de la personne. Inutile d’aller interviewer un militaire avec un look de gauchiste, ou un alter-mondialiste en costume-cravate. Mon but, c’est de mettre en confiance. Je ne serai pas non plus forcément très souriant, c’est en fonction des circonstances bien sûr.
Ensuite, si l’interview se fait à domicile, j’observe au maximum l’environnement, ça permet d’avoir une idée de la personne, ça peut donner des pistes pour des questions.
En fonction des premières minutes, je m’adapte. Je peux par exemple jouer le candide, ou encore la contradiction. J’essaie d’impliquer un maximum la personne dans les questions.
- Mais pour vous, ….
- Et vous, ….. ?
Les techniques de relance sont très utiles aussi.
- Mais tout ça, la direction le savait !
- La direction le savait ?
- Oui, parce que…
Ou encore :
- C’est ma plus belle œuvre
- Votre plus belle œuvre ?
C’est d’une efficacité redoutable. Même si à l’écrit ça semble un peu téléphoné, dans un dialogue ça passe vraiment tout seul.
Il faut toujours garder ses questions clés en tête pour les poser au moment opportun, pouvoir recadrer en douceur. Si ça dérive trop, au pire, laisser un blanc après une réponse, puis repartir sur un autre thème.
Je ne vais pas entrer dans les détails, mais il y a certains profils redondants, entre celui qui adore parler de lui, le militant infatigable, le politicien qui ne répond jamais vraiment, etc… Personnellement, c’est avec les artistes que j’ai le plus de difficultés. Ce sont eux qui ont le plus de mal à mettre des mots sur ce qu’ils font. J’ai plutôt tendance à les laisser parler autant que possible, à être très peu intrusif, et on voit bien ce qui en ressort.
Dernière remarque : lorsqu’en fin de discussion je range carnet et stylo, beaucoup de personnes se disent « c’est fini », et se lâchent un peu, comme si c’était « off the record ». Ce qui n’est pas le cas, dans la mesure où on ne me le précise pas. Du coup, ça permet d’avoir quelques infos en plus, et souvent les plus intéressantes.
Voilà, en gros, ce que j’utilise. J’ai essayé de ne pas trop entrer dans les détails et de ne pas faire trop long. Si ça peut contribuer à la réflexion globale ici, et bien tant mieux. Et si vous avez des suggestions pour que je m’améliore de mon côté là-dessus, ce sera avec plaisir.
Il y aurait aussi sûrement beaucoup de parallèles à faire en voyant des extraits d'intervieweurs célèbres, mais je ne suis pas assez calé en séduction pour me lancer là-dedans.
J'ai en tête ce que faisait François Chalais pour l'ORTF. Il était très fort pour déstabiliser en douceur, décontenancer sa "victime".
Lester Bangs, LE rock-critic, était exceptionnel, dans le genre "je negge". Son leitmotiv, en résumé, c'était "vas-y, explique-moi pourquoi ton dernier album est autre chose qu'une merde". Et ça marchait.
Voici donc quelques réflexions sur le sujet. Si les modérateurs estiment que ça n’a pas lieu d’être ici, et bien vous lockez où vous laissez sombrer dans les profondeurs du forum, je n’ai pas de velleités d’auteurs par rapport à ça.
Note : je l'ai mis par défaut en hors-sujet, ça me semblait le plus approprié.
Tout d'abord, je différencie deux types d’interviews, le micro-trottoir et le « classique ».
Le micro-trottoir
Le micro-trottoir, c’est ce type d’interviews qu’on retrouve en support d’un article sur des questions d’une importance capitale, dans certains quotidiens nationaux ou régionaux. On demande leur avis à 5 ou 6 personnes prises au hasard dans la rue, et c’est censé refléter la pluralité des opinions des français moyens. Ca marche bien pour les sujets redondants d’une année sur l’autre (les fameux « marronniers ») ou des sujets d’actualité comme les grèves. C’est journalistiquement inintéressant, selon moi, mais c’est un autre débat.
Donc, le but : aborder des inconnu(e)s dans la rue (sur un marché, dans une gare, etc…), et les convaincre en quelques secondes que :
- je ne veux pas leur taper du fric
- j’ai besoin de leur avis sur la dernière grève à la SNCF
- ça ne prendra pas longtemps
- c’est professionnel (pour renforcer ça, je prends soin d’avoir à la main bloc-notes et stylo)
Je m’habille de manière très neutre, mais toujours correctement. Je dois donner une image de crédibilité, de sérieux, mais pouvoir être vu sans a-priori négatif par n’importe quelle classe de la population. Ca ne peut pas marcher à 100%, mais je cherche à réduire le % de rejet.
Le petit speech d’intro (l’amorce ?) doit être sorti avec naturel. Moi, c’est souvent du type « Bonjour, je travaille pour XXXX. Je fais un reportage sur la culture des huîtres perlières dans le Sahara occidental, ça m’intéresserait d’avoir votre avis ». C’est un exemple, je m’adapte. Dans des contextes où les gens sont plus détendus, par exemple un marché où l’on flâne le samedi matin, ça peut être plus joyeux. Si je vois des groupes de 2 ou 3 personnes qui semblent plutôt souriantes, ça m’est arrivé de les aborder avec « vous auriez deux minutes pour aider un journaliste en panne d’inspiration ? », ou de commencer par faire une remarque en fonction des étals ou des boutiques autour de nous. C’est basique, mais avec un grand sourire, ça passe tout seul. C’est un leitmotiv de toute façon, pour les micro-trottoirs, toujours souriant, dans tous les cas. Sans parler de ce que ça entraîne comme réactions positives, ce qui a été largement débattu ici par des gens plus compétents que moi, c’est aussi parce que je représente un journal, une marque, et bien évidemment je ne dois pas en véhiculer une mauvaise image.
Je fais en bien moins élaboré ce qu'explique SpanishKiss ici : http://www.spikeseduction.com/articles/ ... egles.html
Et, la plupart du temps, j'ai en arrière-plan une petite voix qui me dit « tout ça n'est qu'un jeu futile et vain ». Non seulement je le pense, mais ça aide à éliminer la petite pression qu'on peut avoir. J’ai remarqué qu’il était plus facile d’aborder des groupes de deux ou trois que des personnes seules, ne serait-ce que parce qu’un groupe marche plus lentement. Il doit y avoir un petit sentiment de sécurité qui joue également.
Le moment délicat vient en général lorsque je dois prendre des photos. Je ne le dis jamais au début. J’ai testé, et le pourcentage de refus grimpe de manière impressionnante. Après avoir pris quelques notes, je fais comme si je venais de m’en souvenir. « Ah oui, au fait, j’ai besoin de votre portrait aussi, si ça ne vous embête pas ». Certains disent oui sans problèmes ; d’autres demandent juste à se faire prier un peu. Pour ceux qui refusent, j’argumente en disant « c’est dommage, du coup ce que vous avez dit ne pourra pas passer dans le journal ». L’ego est un instrument magnifique. Comme le fait remarquer Pacino dans L’associé du diable : « la vanité, mon pêché préféré ». Rien qu’avec ça je récupère environ la moitié des refus. D’autres refusent catégoriquement, ça arrive aussi. Mon taux de réussite est très très variable, et dépend aussi beaucoup des circonstances. Un micro-trottoir des lycéens qui attendent les résultats du bac, c’est délicat, ça doit être du 30%. Pour une manifestation de rue, ou un festival, un salon, c’est bien plus élevé, de l’ordre de 75%.
L’interview traditionnelle
Là, contrairement au micro-trottoir, on peut en principe avoir quelques infos sur la cible. Ce que je fais au mieux en fonction du temps dont je dispose. Ca évite de poser les questions ultra-bateau, ça montre à la cible qu’on s’est intéressé au sujet, elle s’impliquera du coup un peu plus dans ses réponses. Je me fais une liste de questions avant. Pas très rédigées, plutôt des points-clés que je veux aborder d’une manière ou d’une autre.
Puisque l’habit fait le moine, quand j’en ai le temps, je choisis mon look en fonction de la personne. Inutile d’aller interviewer un militaire avec un look de gauchiste, ou un alter-mondialiste en costume-cravate. Mon but, c’est de mettre en confiance. Je ne serai pas non plus forcément très souriant, c’est en fonction des circonstances bien sûr.
Ensuite, si l’interview se fait à domicile, j’observe au maximum l’environnement, ça permet d’avoir une idée de la personne, ça peut donner des pistes pour des questions.
En fonction des premières minutes, je m’adapte. Je peux par exemple jouer le candide, ou encore la contradiction. J’essaie d’impliquer un maximum la personne dans les questions.
- Mais pour vous, ….
- Et vous, ….. ?
Les techniques de relance sont très utiles aussi.
- Mais tout ça, la direction le savait !
- La direction le savait ?
- Oui, parce que…
Ou encore :
- C’est ma plus belle œuvre
- Votre plus belle œuvre ?
C’est d’une efficacité redoutable. Même si à l’écrit ça semble un peu téléphoné, dans un dialogue ça passe vraiment tout seul.
Il faut toujours garder ses questions clés en tête pour les poser au moment opportun, pouvoir recadrer en douceur. Si ça dérive trop, au pire, laisser un blanc après une réponse, puis repartir sur un autre thème.
Je ne vais pas entrer dans les détails, mais il y a certains profils redondants, entre celui qui adore parler de lui, le militant infatigable, le politicien qui ne répond jamais vraiment, etc… Personnellement, c’est avec les artistes que j’ai le plus de difficultés. Ce sont eux qui ont le plus de mal à mettre des mots sur ce qu’ils font. J’ai plutôt tendance à les laisser parler autant que possible, à être très peu intrusif, et on voit bien ce qui en ressort.
Dernière remarque : lorsqu’en fin de discussion je range carnet et stylo, beaucoup de personnes se disent « c’est fini », et se lâchent un peu, comme si c’était « off the record ». Ce qui n’est pas le cas, dans la mesure où on ne me le précise pas. Du coup, ça permet d’avoir quelques infos en plus, et souvent les plus intéressantes.
Voilà, en gros, ce que j’utilise. J’ai essayé de ne pas trop entrer dans les détails et de ne pas faire trop long. Si ça peut contribuer à la réflexion globale ici, et bien tant mieux. Et si vous avez des suggestions pour que je m’améliore de mon côté là-dessus, ce sera avec plaisir.
Il y aurait aussi sûrement beaucoup de parallèles à faire en voyant des extraits d'intervieweurs célèbres, mais je ne suis pas assez calé en séduction pour me lancer là-dedans.
J'ai en tête ce que faisait François Chalais pour l'ORTF. Il était très fort pour déstabiliser en douceur, décontenancer sa "victime".
Lester Bangs, LE rock-critic, était exceptionnel, dans le genre "je negge". Son leitmotiv, en résumé, c'était "vas-y, explique-moi pourquoi ton dernier album est autre chose qu'une merde". Et ça marchait.