Itou

Modérateurs: animal, Léo

Avatar de l’utilisateur
By Albert
#178752 22 avril 2016, midi et quelques minutes. Grisaille sur Montréal. Depuis le petit café dont je suis devenu un infatigable habitué, je fais en ce moment partie d'une catégorie doublement privilégiée: celui de l'étudiant universitaire en vacances. J' ai donc tout loisir pour observer les gens au dehors avec une pointe de satisfaction: pas tellement parce que je me réjouis de les voir maugréer dans la pluie fine qui s'abat sur la ville (alerte psychopathe), mais bien parce je suis, pour un temps, épargné par cette grisaille quotidienne qui semble affecté le moral des sympathiques citadins.

En effet, force est de constater que globalement, tout le monde tire la gueule. Constat qui amène directement une question: la mine patibulaire dont s'affuble mes congénères est-elle due à la grisaille de ce vendredi après-midi ou à un sentiment plus diffus que quelque chose s'écoule inexorablement entre leurs doigts et dont ils ne parviennent pas à saisir la pleine valeur?

Le temps qu'il fait et le temps qui passe: c'est sur cette homonymie que commence le livre de Denis Grozdanovitch. Une centaine de pages. Coût: deux euros. Valeur: inestimable.

Le constat est sucré-amer: si la valeur d'un homme se mesure à la manière dont il saisit sa journée, la plupart des personnes se contentent de passer leur temps façon groupe de touristes chinois sur n'importe quel lieu attractif (à défaut d'être vraiment beau, mais c'est un autre débat...): je suis venu, j'ai vu, merci et bonsoir.

"Diantre", affirmeront les plus impatients d'entre vous, "quel rapport avec la séduction"?

Denis Grozdanovitch digresse avec style, élégance et originalité sur cette notion du temps, réussissant ainsi le tour de force d'écrire un livre de savoir-vivre intéressant. Ici, point de doctrine épicurienne façon carpe diem: facile à appliquer lorsqu'on est riche, beau et en bonne santé, un peu plus dur quand on est pauvre, moche et malade. Il nous propose plutôt un guide pour savoir profiter des temps morts, ces moments "où il ne se passe rien de particulièrement intéressant dans la vie". Bref, ces moments propices à révéler, pour qui veut bien s'ouvrir un minimum à la beauté du monde qui nous entoure plutôt qu'à suivre le diktat consistant à corréler le bonheur avec la maximisation des plaisirs bébêtes dont nous abreuve la société, notre vraie nature. Bref, apprendre à vivre élégamment sous les contraintes inhérentes de la vie sociale: n'est ce pas la définition même de l'homme séduisant que Stéphane s'est toujours évertué à nous enseigner?



Faisons preuve d'honnêteté intellectuelle: ce livre constitue aujourd'hui une espèce de doudou. Il m'offre surtout l'agréable sensation de tous les possibles, m'entraînant, l'espace d'une lecture, dans une bulle temporelle des plus agréables. Mon avis est donc d'une partialité criante, mais j'espère avoir suffisamment piqué votre curiosité pour que vous alliez y jeter un oeil.