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Modérateurs: animal, Léo

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By Sébastian
#90079 On est dimanche soir, je viens de finir ma pizza peperroni, je n’ai pas grand-chose à faire (comprendre ; je ne veux pas faire grand-chose), et je remarque [url=http://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Rouge_et_le_Noir]ce roman[/url]* de Stendhal pointer le bout de ses pages cornées sur le rebord de mon étagère.
Je l’attrape et décide d’en relire quelques pages, comme ça. Après une heure de lecture, je me rends compte que c’est non seulement l’un des plus beaux livres écrits, mais également une leçon de séduction sympa à lire.

[url=http://img3.imageshack.us/i/gerardp2.png/][img]http://img3.imageshack.us/img3/7666/gerardp2.png[/img][/url]

Pour ne parler que de l’aspect séduction/manipulation du bouquin (mais je vous conseille vivement de le lire, ne serait-ce que pour la finesse des descriptions de caractères et la justesse du jugement de Stendhal sur la société et ses rouages), le roman raconte l’histoire de Julien Sorel, un fils de charpentier qui a le désir dévorant de sortir de sa condition et de se hisser au sommet de la société.
Toute l’ambigüité du personnage réside dans l’opposition irréconciliable entre son arrivisme/son ambition, et sa morale/sa fierté issues du bonapartisme. Se voyant comme un être à part au milieu de la médiocrité bourgeoise qui l’entoure, il considère qu’il n’a pas à leur faire l’honneur de montrer son mépris, et cache donc sa véritable nature tout au long du récit.
Mais alors qu’il est parvenu à devenir le secrétaire d’un des hommes les plus importants de Paris, il commence à s’intéresser à sa fille, Mathilde. Moitié par désir de revanche, moitié par intérêt pour celle qui symbolise ce qui a toujours été way out of his league, il se prend à la séduire.

Commence alors, et pour plus de 200 pages un jeu de séduction très fin et très intéressant fait de « suis moi je te fuis… », s.hit-test, cold-reading et tout le jargon qu’on peut imaginer (et même un twist final. Comme quoi on est vraiment gâtés).
Bien sûr, quelques âmes chagrines diront que c’est tout vieux, écrit à la plume avec les tournures de Molière, et probablement plus d’actualité. Ce n’est pas le cas, Stendhal a un style très clair et pas du tout ampoulé et même si les persos évoluent dans le Paris de 1830, le fond et les situations restent les mêmes.

Pour tenter de vous donner un aperçu, voilà quelques phrases (sorties de leur contexte, donc si elles font un effet moindre, c’est normal) :

[quote]"Voilà bien la coquetterie des femmes de ce pays telle qu’on me l’avait peinte. Je n’ai pas été aimable pour elle ce matin, je n’ai pas cédé à ma fantaisie qu’elle avait de causer. J’en augmente de prix à ses yeux. Plus je me montre froid et respectueux avec elle, plus elle me recherche. Ceci pourrait être un parti-pris, une affectation ; mais je vois ses yeux s’animer quand je parais à l’improviste. Les femmes de Paris savent-elles donc feindre à ce point ?"

[quote]"Julien l’embrassa, mais à l’instant il se reprit. Si elle voit combien je l’adore, je la perds. Et, avant de quitter ses bras, il avait repris toute la dignité qui convient à un homme"

[quote]"Elle s’amusait des lettres de ces jeunes gens ; mais suivant elle, toutes se ressemblaient. C’était toujours la passion la plus profonde, la plus mélancolique (…)
–Est ce ma faute à moi si les jeunes gens de la cour sont de si grands partisans du convenable, et pâlissent à la seule idée de la moindre aventure un peu singulière ? Un petit voyage en Grèce ou en Afrique est pour eux le comble de l’audace et encore ne savent-ils marcher qu’en troupe. Dès qu’ils se voient seuls, ils ont peur, non de la lance du Bédouin, mais du ridicule, et cette peur les rend fous.
Si, avec sa pauvreté, Julien était noble, je n’en voudrais pas ; il n’aurait point ce qui caractérise les grandes passions : l’immensité de la difficulté à vaincre et la noire incertitude de l’événement. Dans ce siècle où toute énergie est morte, son énergie leur fait peur"

[quote]"Comme elle ne s’ennuyait plus depuis deux mois, elle ne craignait plus l’ennui ; ainsi, sans pouvoir s’en douter le moins du monde, Julien avait perdu son plus grand avantage"

[quote]" Ses douleurs étaient une vive jouissance pour elle : elle y voyait la faiblesse de son tyran, elle pouvait donc se permettre de l’aimer"


* Vous noterez la petite remarque de Nietzsche sur Stendhal dans l'article

PS : après avoir un peu fouillé dans le forum, j'ai retrouvé ce très bon sujet qui part lui aussi de Stendhal pour parler séduction ; [url=http://www.spikeseduction.com/forum/fast-seduction-cristallisation-et-relation-longue-vt1980.html]Fast seduction, cristallisation et relation longue[/url]
Modifié en dernier par Sébastian le Lun Fév 08, 2010 4:44 pm, modifié 1 fois.
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By Maxime
#91101 Il y a longtemps qu'il est dans ma bibliothèque et je n'avais pas encore pris le temps de le lire. Ce sujet aura été en quelques sorte le tremplin vers sa lecture. Je suis dedans et j'adore, merci.
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By Maurice
#143112 Portrait de madame de Rênal au début du roman (et en creux de son mari, le mort-vivant qui s'ignore M. de Rênal : l'art de piquer tout en semblant louer est jubilatoire. L'étude sociologique ne l'est pas moins). Comment peut-on dire tant de choses en si peu de lignes ? :D

[quote]Cette résolution subite laissa madame de Rênal toute pensive. C’était une femme grande, bien faite, qui avait été la beauté du pays, comme on dit dans ces montagnes. Elle avait un certain air de simplicité, et de la jeunesse dans la démarche ; aux yeux d’un Parisien, cette grâce naïve, pleine d’innocence et de vivacité, serait même allée jusqu’à rappeler des idées de douce volupté. Si elle eût appris ce genre de succès, madame de Rênal en eût été bien honteuse. Ni la coquetterie, ni l’affectation, n’avaient jamais approché de ce cœur. M. Valenod, le riche directeur du dépôt, passait pour lui avoir fait la cour, mais sans succès ; ce qui avait jeté un éclat singulier sur sa vertu ; car ce M. Valenod, grand jeune homme, taillé en forces, avec un visage coloré et de gros favoris noirs, était un de ces êtres grossiers, effrontés et bruyants, qu’en province on appelle de beaux hommes.

Madame de Rênal, fort timide, et d’un caractère en apparence fort égal, était surtout choquée du mouvement continuel, et des éclats de voix de M. Valenod. L’éloignement qu’elle avait pour ce qu’à Verrières on appelle de la joie, lui avait valu la réputation d’être très fière de sa naissance. Elle n’y songeait pas, mais avait été fort contente de voir les habitants de la ville venir moins chez elle. Nous ne dissimulerons pas qu’elle passait pour sotte aux yeux de leurs dames, parce que, sans nulle politique à l’égard de son mari, elle laissait échapper les plus belles occasions de se faire acheter de beaux chapeaux de Paris ou de Besançon. Pourvu qu’on la laissât seule errer dans son beau jardin, elle ne se plaignait jamais.

C’était une âme naïve, qui jamais ne s’était élevée même jusqu’à juger son mari, et à s’avouer qu’il l’ennuyait. Elle supposait, sans se le dire, qu’entre mari et femme il n’y avait pas de plus douces relations. Elle aimait surtout M. de Rênal quand il lui parlait de ses projets sur leurs enfants, dont il destinait l’un à l’épée, le second à la magistrature, et le troisième à l’église. En somme, elle trouvait M. de Rênal beaucoup moins ennuyeux que tous les hommes de sa connaissance.

Ce jugement conjugal était raisonnable. Le maire de Verrières devait une réputation d’esprit et surtout de bon ton à une demi-douzaine de plaisanteries dont il avait hérité d’un oncle. Le vieux capitaine de Rênal servait avant la Révolution dans le régiment d’infanterie de M. le duc d’Orléans, et, quand il allait à Paris, était admis dans les salons du prince. Il y avait vu madame de Montesson, la fameuse madame de Genlis, M. Ducrest, l’inventeur du Palais-Royal. Ces personnages ne reparaissaient que trop souvent dans les anecdotes de M. de Rênal. Mais peu à peu ce souvenir de choses aussi délicates à raconter était devenu un travail pour lui, et depuis quelque temps, il ne répétait que dans les grandes occasions ses anecdotes relatives à la maison d’Orléans. Comme il était d’ailleurs fort poli, excepté lorsqu’on parlait d’argent, il passait, avec raison, pour le personnage le plus aristocratique de Verrières.
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By Maurice
#145037 Laissons Stendhal présenter son Rouge et Noir.

[quote]L’auteur a osé bien plus, il a osé peindre le caractère de la femme de Paris qui n’aime son amant qu’autant qu’elle se croit tous les matins sur le point de le perdre.
Tel est l’effet produit par l’immense vanité qui est devenue à peu près la seule passion de cette ville où l’on a tant d’esprit. Ailleurs, un amant peut se faire aimer en protestant de l’ardeur de sa passion, de sa fidélité, etc, etc, et en prouvant à sa belle ces louables qualités. A Paris, plus il persuade qu’il est fixé à jamais, qu’il adore, plus il se ruine dans l’esprit de sa maîtresse. Voilà une chose que les Allemands ne croiront jamais, mais j’ai bien peur cependant que M. de S[tendhal] n’ait été peintre fidèle.
La vie des Allemands est contemplative et imaginative, celle des Français est toute de vanité et d’activité.
La morale, exécrable aux yeux des belles, qui résulte du livre de M. de S[tendhal] est celle-ci :
Jeunes hommes qui voulez être aimés dans une civilisation où la vanité est devenue sinon la passion, du moins le sentiment de tous les instants, chaque matin persuadez avec politesse à la femme qui la veille était votre maîtresse adorée, que vous êtes sur le point de la quitter.
Ce nouveau système, s’il prend jamais, va renouveler tout le dialogue de l’amour. En général, jusqu’au moment de la découverte de M. de S[tendhal], quand un amant ne savait que dire à sa belle, quand il était sur le point de s’ennuyer, il se rejetait vivement dans la protestation des sentiments les plus vifs, dans l’extase, dans les transports du bonheur, etc., M. de S[tendha] arrive avec ses deux volumes amusants pour démontrer aux pauvres amants que ces propos qu’ils croyaient sans conséquence, sont leur ruine. Suivant cet auteur, quand un amant s’ennuie auprès de sa maîtresse, ce qui, à toute force, peut arriver quelquefois dans ce siècle si moral, si hypocrite, et par conséquent si ennuyeux, ce qu’il y a de mieux à faire, c’est tout simplement de ne pas nier son ennui. C’est un accident, c’est un malheur tout comme un autre. Ceci paraîtra tout simple à notre Italie, le naturel dans les façons, dans les discours, y étant le beau idéal ; mais en France, pays plus affecté, ce sera une grande innovation.

Essayez de lire une édition où en complément se trouve cette lettre extraordinaire de Gruffot Papera (pseudonyme de Stendhal) au comte Salvagnoli, préparation à un article destiné à paraître à Florence et qui vous présente l'explication de l'œuvre par l'auteur lui-même (à lire après avoir lu le roman, bien entendu). Je suppose que chez Folio, ils continuent de la proposer au lecteur ?

Autres extraits, recopiés par ma main cette fois :

[quote]La France morale est ignorée à l'étranger, voilà pourquoi avant d'en venir au roman de M. de S[tendhal] il a fallu dire que rien ne ressemble moins à la France gaie, amusante, un peu libertine, qui de 1715 à 1789 fait le modèle de l'Europe, que la France grave, morale, morose que nous ont léguée les jésuites, les congrégations et le gouvernement des Bourbons de 1814 à 1830. Comme rien n'est plus difficile en fait de romans que de peindre d'après nature, de ne pas copier des livres, personne encore avant M. de S[tendhal] ne s'était hasardé à faire le portrait de ces mœurs si peu aimables, mais qui malgré cela, vu l'esprit de mouton de l'Europe, finiront par régner de Naples à Saint-Pétersbourg.

[quote]Cette peinture de l'amour parisien est absolument neuve. Il nous semble qu'on ne la trouve dans aucun livre. Elle fait un beau contraste avec l'amour vrai, simple, ne se regardant pas soi-même [que l'on pourrait qualifier de provincial] (...). C'est l'amour de tête comparé à l'amour de cœur.
(...) Tel est l'amour de tête tel qu'il existe à Paris chez quelques jeunes femmes. Que peut faire de plus décisif une jeune fille ? Hé bien, cette jeune fille de Paris se fera enlever sans amour, uniquement pour se donner le plaisir de croire avoir une grande passion.
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By Maurice
#145045 (C'est moi qui souligne dans la première citation, c'est Stendhal qui le fait par la suite et c'est moi qui modifie le texte par l'adjonction de "provincial" dans la troisième).
By Woland
#145054 L'un des plus grands écrivains français ... et mon préféré depuis bien longtemps.

Il a une langue remarquable de finesse et de concision.