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Modérateurs: animal, Léo

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By Maurice
#143117 @ Eick, qui ne me demande rien sans doute, mais qui me fait réfléchir et qu'il en soit ici remercié.

Je profite de ce week-end pour tenter de vendre une partie de ma bibliothèque - j'ai besoin de place.
Je tombe sur cet ouvrage de Rilke : Les Carnets de Malte Laurids Brigge, que j'avais lus à ton âge, à peu près. Je le parcours (ce qui ne m'aide certes pas à aller vite dans mes mises en vente sur internet). Je vends ? Je vends pas ?

Je me rends compte que quelque soient ses qualités d'écriture, son hermétisme me hérisse le poil, son expérience subjective qui finit par faire "éclater le sujet" me laisse de glace, son cubisme romanesque, si on peut parler ainsi en parlant de cette oeuvre, aussi, tout comme son mysticisme (le mysticisme m'agace). Je vends donc.

Ce que je demande à un livre ? Tout d'abord, d'une manière ou d'une autre de renforcer mon plaisir d'être de ce monde (Les Carnets de Malte Laurids Brigge donnent aussi bien l'envie d'aller se baigner dans la Seine par une nuit d'hiver - à l'image de cette icône sexuelle à la limite de la nécrophilie de ce temps-là : [url]http://fr.wikipedia.org/wiki/Inconnue_de_la_Seine[/url], de m'apprendre quelque chose sur le monde si possible, et si en outre il est écrit d'une manière harmonieuse, il y a toutes les chances pour que j'adore.

J'adore la Belle Epoque, elle me semble une époque idéale... et pourtant, on sent bien que quelque chose pourrit en son sein qui allait faire éclater la Première Guerre Mondiale, un peu comme ces immeuble haussmanien aux superbes façades et d'agencement intérieur relativement pauvre. Il me semble que c'est ce craquement que donne à voir la modernité. Mais que vaut la modernité lorsque tout est en ruine ? Ne serait-il pas plutôt temps de construire à nouveau quelque chose plutôt que de passer son temps à faire du Néant (cf l'architecture) ? C'est quelque chose que Nietzsche avait bien vu : Dieu est mort, le résultat de tout ça, c'est un tas d'esclaves finissant dans la bouffonerie (j'ajouterais sanglante) la plus complète tout en se pensant important, avec leurs -ismes, leurs églises de substitution (il pensait notamment au socialisme ("et son épée en bois pas même de bois...") et au nationalisme, mais on ajoutera sans peine le libéralisme et sa moraline anglo-saxonne, qu'il dénonçait aussi d'ailleurs).
Car enfin non, je ne suis pas nationaliste en ce sens-là.

Aphorisme pour ce soir, ou plutôt cette nuit, de ce qui précède : "Derrière chaque fleur, il y a un tas de fumier, mais il vaut mieux cueillir la fleur que se crotter la main."

Il existe tout un tas de livres qui rendent le monde triste et son lecteur dépressif. La Nausée de Sartre avait été par exemple un de mes livres de chevet de mon adolescence... Ce sont là des livres qui à mon sens peuvent détraquer le cerveau d'un être jeune et influençable. Mauriac a tendance à ressembler à un mois de novembre 1933 sous la pluie en province (vue de l'intérieur d'une automobile Citroën noire de l'époque pour ne pas se mouiller, parce que bon, faut pas pousser non plus.)

Je réunis ces deux auteurs dans une grissaille bourgeoise de fausses problématiques. Ne jamais oublier à ce titre que pendant que Sartre se paluchait en phénoménologie nauséeuse à Berlin en 1933 et 1934, Hitler accédait au pouvoir en Allemagne... Quant à Mauriac, le Bourgeois se faisait ainsi peur à bon compte, et il avait trouvé là un bon business : faire la Morale au Bourgeois, être le Bourgeois en soi (pour parler sartrien, qui ne valait guère mieux en définitive).

On devrait dire de Sartre comme de Mauriac : sachez consommer avec modération ce genre d'auteurs.

Pour ma part, vers ton âge, je me suis laissé trop souvent porter à lire des oeuvres similaires qui en réalité ne correspondaient pas à ma sensibilité ou qui l'orientait dans une direction trop unidirectionnelle. Et je vois que c'est un peu ton cas concernant Hugo - qui certes vaut mieux que Sartre... Mais le problème c'est qu'il ne faut pas devenir le lecteur non seulement d'un seul livre, mais d'un seul auteur, surtout à ton âge avec le peu de culture que tu sembles avoir (comme tous les gens de notre époque à ton âge). Tu devrais peut-être multiplier plutôt les expériences de lecture en choisissant des oeuvres très diverses, d'époque et de qualités différentes - ce que je fais depuis peu pour ma part, puisque je me remets à lire de la littérature après une longue période où j'en lisais peu. Ensuite, revenir à quelques valeurs sûres, sans doute.

Forge-toi un goût personnel, un Panthéon qui te soit propre, petit à petit. Détruis des fausses idoles, aies tes têtes de turcs adulés par ailleurs (je déteste Picasso), forge-t-en d'autres qui te soient propres si tu le souhaites. Ecris aussi, ici ou ailleurs, mais sois plus modeste en n'ayant pas la prétention de nous enseigner des pseudo-théories issues de problématiques bancales car manquant du souffle de l'expérience, notamment (est-ce que tu ne t'es pas rendu compte que tes propos étaient très abstraits et offraient bien peu d'exemples ?). Autrement dit, mûris tes questions.

Nous avons tous affaire à une culture défaillante : la garderie que constitue l'Education nationale ne nous offrant plus les Humanités nous permettant non seulement d'embrasser plus de 2000 ans d'Histoires des Arts et des Lettres, mais aussi, sans doute, de goûter pleinement à cette modernité qui ne se comprend qu'en temps qu'elle s'oppose à ces 2000 ans d'histoire. Tout est devenu sèchement mathématique, y compris l'étude littéraire qui se veut "scientifique", purement formelle - et idéologique.

L'Urinoir de Duchamp avait peut-être un sens à son époque, mais que valent les centaines d'urinoirs que nous déverse chaque année le Marché de l'Art ? L'humour potache finit par lasser à force, sauf les Jouisseurs qui l'achètent et pensent que leur crottin (l'intention artistique) a quelque valeur... La différence entre un Duchamp et ses successeurs ? Duchamp avait une connaissance de l'Histoire de l'Art qu'ont de moins en moins ses successeurs : on appelle cela une décadence.

Je viens de "démolir" Rilke, c'est peut-être le moment aussi de le lire. Il dira des choses différentes de moi. Tant mieux ! [url]http://beq.ebooksgratuits.com/classiques/Rilke_Lettres_a_un_jeune_poete.pdf[/url]
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By Thorgal
#143130 Maurice, je ne visais personne d'ici en particulier, je rebondissais sur la façon dont tendent à s'acheminer les conversations dès qu'on aborde une certaine période (nauséabonde, ça va sans dire, le ventre est encore fécond blabla.)
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By Maurice
#143139 Eick m'a répondu en privé. Et je dois dire que c'est une très jolie réponse et finement tournée, ou enfin il utilise le "je" et son expérience personnelle et non des abstractions asséchantes (qui, je le pense, sont destinées à le "protéger" ici).

J'en suis bluffé ! Agréablement surprenant !
By Geist
#144338 Tari tari tari tara. (V'la la cavalerie.)

Remarques :
Maurice : Pour avoir discuté avec Eick, j'ai l'impression qu'il amalgame le lyrisme strictement compris, comme tu le définis, avec d'une part le lyrisme mal exécuté sur le fond (i.e. la niaiserie, lisez Danielle Steele pour une expérience cathartique), d'autre part avec la forme lourdement indigeste souvent associée au précédent, emphatique, excessive et chiante. D'où des incompréhensions. Je crains d'en avoir participé, d'ailleurs.
Eick : Comme je te l'avais écrit, je ne pense pas que la progression (littéraire ou autre) tende en oscillant vers un absolu (trop - pas assez - moins mais toujours trop - plus mais toujours pas assez - ... par exemple entre dégoulis et sécheresse), et certainement pas en une seule oscillation. C'est plutôt comme suivre une boussole indiquant une direction avec une précision discutable et une lenteur abominable, et parfois en arrivant tu te rends compte que tu ne voulais pas arriver là.
Soit dit en passant, tu t'étales drôlement quand tu condamnes l'étalement. C'est ironique ? :mrgreen:
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By la mouche
#144346 Il y a une chose que je n'ai pas vu jusqu'alors: le lyrisme le plus connu, le lyrisme romantique est d'abord le symbole d'une nouveauté de sujet. On abandonne le sujet élevé, les tragédies de princes du siècle classique pour aller vers une primauté de l'individu et de ses sentiments.

Que ce soit mièvre ou non est une fausse question, si on lit cette poésie/lyrisme dans le cadre de l'époque, c'est cette nouveauté de sens sur lequel il faut d'abord se concentrer pour juger les oeuvres d'époque.

Après, pour des livres contemporains reprenant ces codes, on peut juger le style, mais en étudiant les extraits et leur qualité/variété stylistique, à partir de textes! pas de discussion générale finalement peu informée dans lequel généralement le désaccord est plus une incompréhension qu'une réelle opposition.
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By Ventel
#144401 Merci les amis (c'est Eick).
Je continue d'apprendre. Et chaque jour (en partie, grâce à vous), je peux rectifier le tir pour atteindre quelque chose de plus raisonnable, voire même, une façon de penser plus ajustée à la réalité (et surtout plus cohérente).
On m'a dit que j'étais spontané.
C'est vrai.

En lisant les propos de la Mouche, une petite réflexion m'est venue en tête.
Plutôt que de la laisser partir, je vais la poster.
Libre à vous de la considérer et de peut-être la prolonger.

J'ai l'impression qu'il existe 3 types de romancier dans la sphère littéraire ; et qu'il est parfois très facile de les discerner.
Grosso modo, j'ai établi un raisonnement qui comprend 3 catégories (ça vaut déjà mieux qu'un truc binaire) :


— Il y a d'abord celui qui s'est lancé dans une formation de rédacteur/licencié en romane/prof de français avant d'écrire. Il utilise, bien souvent, une prose journalistique, comme celle qu'on peut trouver dans les faits divers. Le milieu éditorial sait qu'il arrivera à vendre et que le pari est peu risqué en terme de vente. Il a bien prit le temps d'analyser le monde, la presse, l'actualité, les cultures pour pouvoir cibler ses envies.
Son écriture est fluide, simple, et sobre (parfois froide). Il joue très peu avec les figures de style. Il est très bon pour rédiger des essais et développer des concepts, des abstractions, des théories, ainsi que des modes de pensée.
Ex : La peste de Camus.
— Puis, il y a celui qui écrit, car il ressent le besoin d'étendre son univers, sa sensibilité exacerbée, et son âme de poète ou de conteur. C'est l'artiste par excellence qui démarre en étant parfois un rien du tout ; c'est aussi celui qui entame une démarche d'autodidacte, parfois dans l'ombre, et qui se perfectionne par le tâtonnement. Il n'a bien souvent pas eu une bonne expérience en rédaction et doit sans cesse retravailler sa forme pour que ses écrits soient compris auprès du grand public. La reconnaissance est plus difficile à atteindre ; il cherche sans arrêt à créer des histoires qui peuvent susciter de fortes émotions chez le lecteur (en prenant le risque de tomber dans une écriture personnelle/thérapeutique parfois peu intéressante pour les autres). Il devient redoutable lorsqu'il alterne le comique et la tragédie dans un seul roman.
Ex : Une saison en enfer de Rimbaud.
— Et pour finir, il y a celui qui écrit depuis très longtemps et qui a réussi à devenir un auteur hybride. Il maîtrise totalement les deux pôles. Il est capable d'écrire un roman en restant léger et subtil. Il sait viser dans le mille ou faire attendre ses lecteurs. Il ne cherche pas les fioritures et évite la fragilité des paragraphes simplistes. En somme, il alterne les dialogues et la narration avec une souplesse dingue ; et il peut même se permettre de décevoir.
De plus, il a déjà un pied important dans le milieu et sait jouer de sa renommée pour imposer une patte propre à lui. Une signature qui attire toujours le même cercle de lecteur dès qu'un nouvel ouvrage paraît.
Il est un génie reconnaissable par tous.
Ex : Zola dans l’Assommoir ou Céline dans le voyage.