- Dim Déc 22, 2013 4:31 am
#143117
@ Eick, qui ne me demande rien sans doute, mais qui me fait réfléchir et qu'il en soit ici remercié.
Je profite de ce week-end pour tenter de vendre une partie de ma bibliothèque - j'ai besoin de place.
Je tombe sur cet ouvrage de Rilke : Les Carnets de Malte Laurids Brigge, que j'avais lus à ton âge, à peu près. Je le parcours (ce qui ne m'aide certes pas à aller vite dans mes mises en vente sur internet). Je vends ? Je vends pas ?
Je me rends compte que quelque soient ses qualités d'écriture, son hermétisme me hérisse le poil, son expérience subjective qui finit par faire "éclater le sujet" me laisse de glace, son cubisme romanesque, si on peut parler ainsi en parlant de cette oeuvre, aussi, tout comme son mysticisme (le mysticisme m'agace). Je vends donc.
Ce que je demande à un livre ? Tout d'abord, d'une manière ou d'une autre de renforcer mon plaisir d'être de ce monde (Les Carnets de Malte Laurids Brigge donnent aussi bien l'envie d'aller se baigner dans la Seine par une nuit d'hiver - à l'image de cette icône sexuelle à la limite de la nécrophilie de ce temps-là : [url]http://fr.wikipedia.org/wiki/Inconnue_de_la_Seine[/url], de m'apprendre quelque chose sur le monde si possible, et si en outre il est écrit d'une manière harmonieuse, il y a toutes les chances pour que j'adore.
J'adore la Belle Epoque, elle me semble une époque idéale... et pourtant, on sent bien que quelque chose pourrit en son sein qui allait faire éclater la Première Guerre Mondiale, un peu comme ces immeuble haussmanien aux superbes façades et d'agencement intérieur relativement pauvre. Il me semble que c'est ce craquement que donne à voir la modernité. Mais que vaut la modernité lorsque tout est en ruine ? Ne serait-il pas plutôt temps de construire à nouveau quelque chose plutôt que de passer son temps à faire du Néant (cf l'architecture) ? C'est quelque chose que Nietzsche avait bien vu : Dieu est mort, le résultat de tout ça, c'est un tas d'esclaves finissant dans la bouffonerie (j'ajouterais sanglante) la plus complète tout en se pensant important, avec leurs -ismes, leurs églises de substitution (il pensait notamment au socialisme ("et son épée en bois pas même de bois...") et au nationalisme, mais on ajoutera sans peine le libéralisme et sa moraline anglo-saxonne, qu'il dénonçait aussi d'ailleurs).
Car enfin non, je ne suis pas nationaliste en ce sens-là.
Aphorisme pour ce soir, ou plutôt cette nuit, de ce qui précède : "Derrière chaque fleur, il y a un tas de fumier, mais il vaut mieux cueillir la fleur que se crotter la main."
Il existe tout un tas de livres qui rendent le monde triste et son lecteur dépressif. La Nausée de Sartre avait été par exemple un de mes livres de chevet de mon adolescence... Ce sont là des livres qui à mon sens peuvent détraquer le cerveau d'un être jeune et influençable. Mauriac a tendance à ressembler à un mois de novembre 1933 sous la pluie en province (vue de l'intérieur d'une automobile Citroën noire de l'époque pour ne pas se mouiller, parce que bon, faut pas pousser non plus.)
Je réunis ces deux auteurs dans une grissaille bourgeoise de fausses problématiques. Ne jamais oublier à ce titre que pendant que Sartre se paluchait en phénoménologie nauséeuse à Berlin en 1933 et 1934, Hitler accédait au pouvoir en Allemagne... Quant à Mauriac, le Bourgeois se faisait ainsi peur à bon compte, et il avait trouvé là un bon business : faire la Morale au Bourgeois, être le Bourgeois en soi (pour parler sartrien, qui ne valait guère mieux en définitive).
On devrait dire de Sartre comme de Mauriac : sachez consommer avec modération ce genre d'auteurs.
Pour ma part, vers ton âge, je me suis laissé trop souvent porter à lire des oeuvres similaires qui en réalité ne correspondaient pas à ma sensibilité ou qui l'orientait dans une direction trop unidirectionnelle. Et je vois que c'est un peu ton cas concernant Hugo - qui certes vaut mieux que Sartre... Mais le problème c'est qu'il ne faut pas devenir le lecteur non seulement d'un seul livre, mais d'un seul auteur, surtout à ton âge avec le peu de culture que tu sembles avoir (comme tous les gens de notre époque à ton âge). Tu devrais peut-être multiplier plutôt les expériences de lecture en choisissant des oeuvres très diverses, d'époque et de qualités différentes - ce que je fais depuis peu pour ma part, puisque je me remets à lire de la littérature après une longue période où j'en lisais peu. Ensuite, revenir à quelques valeurs sûres, sans doute.
Forge-toi un goût personnel, un Panthéon qui te soit propre, petit à petit. Détruis des fausses idoles, aies tes têtes de turcs adulés par ailleurs (je déteste Picasso), forge-t-en d'autres qui te soient propres si tu le souhaites. Ecris aussi, ici ou ailleurs, mais sois plus modeste en n'ayant pas la prétention de nous enseigner des pseudo-théories issues de problématiques bancales car manquant du souffle de l'expérience, notamment (est-ce que tu ne t'es pas rendu compte que tes propos étaient très abstraits et offraient bien peu d'exemples ?). Autrement dit, mûris tes questions.
Nous avons tous affaire à une culture défaillante : la garderie que constitue l'Education nationale ne nous offrant plus les Humanités nous permettant non seulement d'embrasser plus de 2000 ans d'Histoires des Arts et des Lettres, mais aussi, sans doute, de goûter pleinement à cette modernité qui ne se comprend qu'en temps qu'elle s'oppose à ces 2000 ans d'histoire. Tout est devenu sèchement mathématique, y compris l'étude littéraire qui se veut "scientifique", purement formelle - et idéologique.
L'Urinoir de Duchamp avait peut-être un sens à son époque, mais que valent les centaines d'urinoirs que nous déverse chaque année le Marché de l'Art ? L'humour potache finit par lasser à force, sauf les Jouisseurs qui l'achètent et pensent que leur crottin (l'intention artistique) a quelque valeur... La différence entre un Duchamp et ses successeurs ? Duchamp avait une connaissance de l'Histoire de l'Art qu'ont de moins en moins ses successeurs : on appelle cela une décadence.
Je viens de "démolir" Rilke, c'est peut-être le moment aussi de le lire. Il dira des choses différentes de moi. Tant mieux ! [url]http://beq.ebooksgratuits.com/classiques/Rilke_Lettres_a_un_jeune_poete.pdf[/url]
Je profite de ce week-end pour tenter de vendre une partie de ma bibliothèque - j'ai besoin de place.
Je tombe sur cet ouvrage de Rilke : Les Carnets de Malte Laurids Brigge, que j'avais lus à ton âge, à peu près. Je le parcours (ce qui ne m'aide certes pas à aller vite dans mes mises en vente sur internet). Je vends ? Je vends pas ?
Je me rends compte que quelque soient ses qualités d'écriture, son hermétisme me hérisse le poil, son expérience subjective qui finit par faire "éclater le sujet" me laisse de glace, son cubisme romanesque, si on peut parler ainsi en parlant de cette oeuvre, aussi, tout comme son mysticisme (le mysticisme m'agace). Je vends donc.
Ce que je demande à un livre ? Tout d'abord, d'une manière ou d'une autre de renforcer mon plaisir d'être de ce monde (Les Carnets de Malte Laurids Brigge donnent aussi bien l'envie d'aller se baigner dans la Seine par une nuit d'hiver - à l'image de cette icône sexuelle à la limite de la nécrophilie de ce temps-là : [url]http://fr.wikipedia.org/wiki/Inconnue_de_la_Seine[/url], de m'apprendre quelque chose sur le monde si possible, et si en outre il est écrit d'une manière harmonieuse, il y a toutes les chances pour que j'adore.
J'adore la Belle Epoque, elle me semble une époque idéale... et pourtant, on sent bien que quelque chose pourrit en son sein qui allait faire éclater la Première Guerre Mondiale, un peu comme ces immeuble haussmanien aux superbes façades et d'agencement intérieur relativement pauvre. Il me semble que c'est ce craquement que donne à voir la modernité. Mais que vaut la modernité lorsque tout est en ruine ? Ne serait-il pas plutôt temps de construire à nouveau quelque chose plutôt que de passer son temps à faire du Néant (cf l'architecture) ? C'est quelque chose que Nietzsche avait bien vu : Dieu est mort, le résultat de tout ça, c'est un tas d'esclaves finissant dans la bouffonerie (j'ajouterais sanglante) la plus complète tout en se pensant important, avec leurs -ismes, leurs églises de substitution (il pensait notamment au socialisme ("et son épée en bois pas même de bois...") et au nationalisme, mais on ajoutera sans peine le libéralisme et sa moraline anglo-saxonne, qu'il dénonçait aussi d'ailleurs).
Car enfin non, je ne suis pas nationaliste en ce sens-là.
Aphorisme pour ce soir, ou plutôt cette nuit, de ce qui précède : "Derrière chaque fleur, il y a un tas de fumier, mais il vaut mieux cueillir la fleur que se crotter la main."
Il existe tout un tas de livres qui rendent le monde triste et son lecteur dépressif. La Nausée de Sartre avait été par exemple un de mes livres de chevet de mon adolescence... Ce sont là des livres qui à mon sens peuvent détraquer le cerveau d'un être jeune et influençable. Mauriac a tendance à ressembler à un mois de novembre 1933 sous la pluie en province (vue de l'intérieur d'une automobile Citroën noire de l'époque pour ne pas se mouiller, parce que bon, faut pas pousser non plus.)
Je réunis ces deux auteurs dans une grissaille bourgeoise de fausses problématiques. Ne jamais oublier à ce titre que pendant que Sartre se paluchait en phénoménologie nauséeuse à Berlin en 1933 et 1934, Hitler accédait au pouvoir en Allemagne... Quant à Mauriac, le Bourgeois se faisait ainsi peur à bon compte, et il avait trouvé là un bon business : faire la Morale au Bourgeois, être le Bourgeois en soi (pour parler sartrien, qui ne valait guère mieux en définitive).
On devrait dire de Sartre comme de Mauriac : sachez consommer avec modération ce genre d'auteurs.
Pour ma part, vers ton âge, je me suis laissé trop souvent porter à lire des oeuvres similaires qui en réalité ne correspondaient pas à ma sensibilité ou qui l'orientait dans une direction trop unidirectionnelle. Et je vois que c'est un peu ton cas concernant Hugo - qui certes vaut mieux que Sartre... Mais le problème c'est qu'il ne faut pas devenir le lecteur non seulement d'un seul livre, mais d'un seul auteur, surtout à ton âge avec le peu de culture que tu sembles avoir (comme tous les gens de notre époque à ton âge). Tu devrais peut-être multiplier plutôt les expériences de lecture en choisissant des oeuvres très diverses, d'époque et de qualités différentes - ce que je fais depuis peu pour ma part, puisque je me remets à lire de la littérature après une longue période où j'en lisais peu. Ensuite, revenir à quelques valeurs sûres, sans doute.
Forge-toi un goût personnel, un Panthéon qui te soit propre, petit à petit. Détruis des fausses idoles, aies tes têtes de turcs adulés par ailleurs (je déteste Picasso), forge-t-en d'autres qui te soient propres si tu le souhaites. Ecris aussi, ici ou ailleurs, mais sois plus modeste en n'ayant pas la prétention de nous enseigner des pseudo-théories issues de problématiques bancales car manquant du souffle de l'expérience, notamment (est-ce que tu ne t'es pas rendu compte que tes propos étaient très abstraits et offraient bien peu d'exemples ?). Autrement dit, mûris tes questions.
Nous avons tous affaire à une culture défaillante : la garderie que constitue l'Education nationale ne nous offrant plus les Humanités nous permettant non seulement d'embrasser plus de 2000 ans d'Histoires des Arts et des Lettres, mais aussi, sans doute, de goûter pleinement à cette modernité qui ne se comprend qu'en temps qu'elle s'oppose à ces 2000 ans d'histoire. Tout est devenu sèchement mathématique, y compris l'étude littéraire qui se veut "scientifique", purement formelle - et idéologique.
L'Urinoir de Duchamp avait peut-être un sens à son époque, mais que valent les centaines d'urinoirs que nous déverse chaque année le Marché de l'Art ? L'humour potache finit par lasser à force, sauf les Jouisseurs qui l'achètent et pensent que leur crottin (l'intention artistique) a quelque valeur... La différence entre un Duchamp et ses successeurs ? Duchamp avait une connaissance de l'Histoire de l'Art qu'ont de moins en moins ses successeurs : on appelle cela une décadence.
Je viens de "démolir" Rilke, c'est peut-être le moment aussi de le lire. Il dira des choses différentes de moi. Tant mieux ! [url]http://beq.ebooksgratuits.com/classiques/Rilke_Lettres_a_un_jeune_poete.pdf[/url]