Comprendre et appliquer les codes sociaux pour sortir du lot (par le haut)

Modérateurs: animal, Léo

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By wu-weï
#118179 [url]http://sociovoce.hypotheses.org/279[/url]

[quote="Roland Barthes"]“Pendant des siècles, il y a eu autant de vêtements que de classes sociales. Chaque condition avait son habit, et il n’y avait aucun embarras à faire de la tenue un véritable signe [...]. Ainsi, d’une part, le vêtement était soumis à un code entièrement conventionnel mais, d’autre part, ce code renvoyait à un ordre naturel, ou mieux encore, divin. Changer d’habit, c’était changer à la fois d’être et de classe, car l’un et l’autre se confondaient.

Cependant, en fait, la séparation des classes sociales n’était nullement effacée : vaincu politiquement, le noble détenait encore un prestige puissant, quoique limité à l’art de vivre ; et le bourgeois avait lui-même à se défendre, non contre l’ouvrier (dont le costume restait d’ailleurs marqué), mais contre la montée des classes moyennes. Il a donc fallu que le vêtement trichât, en quelque sorte, avec l’uniformité théorique que la Révolution et l’Empire lui avaient donnée, et qu’à l’intérieur d’un type désormais universel, on réussît à maintenir un certain nombre de différences formelles, propres à manifester l’opposition des classes sociales.

C’est alors qu’on a vu apparaître dans le vêtement une catégorie esthétique nouvelle, promue à un long avenir : le détail. Puisque l’on ne pouvait plus changer le type fondamental du vêtement masculin sans attenter au principe démocratique et laborieux, c’est le détail (« rien », « je ne sais quoi », « manière ») qui a recueilli toute la fonction distinctive du costume : le nœud d’une cravate, le tissu d’une chemise, les boutons d’un gilet, la boucle d’une chaussure ont dès lors suffi à marquer les plus fines différences sociales ; dans le même temps, la supériorité du statut, impossible désormais à afficher brutalement en raison de la règle démocratique, se masquait et se sublimait sous une nouvelle valeur : le goût, ou mieux encore, car le mot est justement ambigu : la distinction.

Un homme distingué, c’est un homme qui se sépare du vulgaire par des moyens dont le volume est modeste mais dont la force, en quelque sorte énergétique, est très grande. Comme, d’une part, il ne prétend se faire reconnaître que de ses semblables, et comme, d’autre part, cette reconnaissance repose essentiellement sur des détails, on peut dire qu’à l’uniforme du siècle, l’homme distingué ajoute quelques signes discrets, qui ne sont plus les signes spectaculaires d’une condition ouvertement assumée, mais de simples signes de connivence.”

Roland Barthes, « Le dandysme et la mode »,
United States Lines Paris Review,
juillet 1962 repris dans
Barthes. Œuvres complètes. Tome I.1942-1965, Editions du seuil, 1993, p 963-966
By Kefesch
#118337 J'aime beaucoup ce texte.

Il suffit de voir le nombre de tissus de chemise de motifs sur les chemises, de cols de chemise qui existent pour se rendre compte de l'importance des détails.
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By wu-weï
#118397 [url=http://sociovoce.hypotheses.org/311]Pierre Bourdieu, La Distinction, Editions de Minuit, 1979, p 210[/url]

[quote]Il s’ensuit que le corps est l’objectivation la plus irrécusable du goût de classe, qu’il manifeste de plusieurs façons. [...]de sa conformation visible, où s’exprime de mille façons tout un rapport au corps, c’est-à-dire une manière de traiter le corps, de le soigner, de le nourrir, de l’entretenir, qui est révélatrice des dispositions les plus profondes de l’habitus...
ByThe Man Outside
#118400 [quote="wu-weï"][url=http://sociovoce.hypotheses.org/311]Pierre Bourdieu, La Distinction, Editions de Minuit, 1979, p 210[/url]

[quote]Il s’ensuit que le corps est l’objectivation la plus irrécusable du goût de classe, qu’il manifeste de plusieurs façons. [...]de sa conformation visible, où s’exprime de mille façons tout un rapport au corps, c’est-à-dire une manière de traiter le corps, de le soigner, de le nourrir, de l’entretenir, qui est révélatrice des dispositions les plus profondes de l’habitus...

Ou pourquoi les jeunes femmes du 6ème arrondissement de Paris sont généralement grandes et en bonnes santé, belles et soignées (anatomiquement comme vestimentairement).
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By wu-weï
#118406 Il y a une dizaine d'années, bien avant de connaître Spike Seduction, une collègue sociologue me disait au sujet des relations qu'elles amoureuses, amicales ou sociales au sens large :
"En sociologie, il n'y a pas de hasard."

Même "les exceptions à la règle" ont toujours une explication.
Je ne mesurais ni pourquoi ni à quel point. :wink:
By Memphis
#118409 [quote="The Man Outside"]Ou pourquoi les jeunes femmes du 6ème arrondissement de Paris sont généralement grandes et en bonnes santé, belles et soignées (anatomiquement comme vestimentairement).

Ou pourquoi l'obésité touche surtout les classes sociales les plus défavorisées, pour le côté moins glamour :p

Wu-weï, ta collègue devait faire référence à Bourdieu elle-aussi, quand il disait qu'on n'échappait pas à son milieu. En tout cas, ça y fait penser.
ByThe Man Outside
#118411 [quote="wu-weï"]Il y a une dizaine d'années, bien avant de connaître Spike Seduction, une collègue sociologue me disait au sujet des relations qu'elles amoureuses, amicales ou sociales au sens large :
"En sociologie, il n'y a pas de hasard."

Même "les exceptions à la règle" ont toujours une explication.
Je ne mesurais ni pourquoi ni à quel point. :wink:

C'est clair.

Dans le Monde Diplomatique de ce mois-ci (oui, je suis un crypto-marxiste et je vous emmerde :mrgreen: ) un bref article sur l'école, sujet au coeur de certains discours pré-électoraux, rappelle que les chercheurs sont arrivés à un constat qui fait consensus depuis plusieurs années : la qualité de l'enseignement joue à 15% dans la réussite des élèves. Le milieu social, lui, à 60%.

On reste dans le thème "il n'y a pas de hasard".
By Contraires-z
#118415 [quote="wu-weï"]l y a une dizaine d'années, bien avant de connaître Spike Seduction, une collègue sociologue me disait au sujet des relations qu'elles amoureuses, amicales ou sociales au sens large :
"En sociologie, il n'y a pas de hasard."

Même "les exceptions à la règle" ont toujours une explication.
Je ne mesurais ni pourquoi ni à quel point. :wink:

Bonjour à tous.
Cette citation issue de chez Wu-Weï est intéressante et amusante. Il es amusant de voir à quel point les sociologues cherchent à bannir "le hasard" comme s'ils en faisaient un complexe, alors que les physiciens et les mathématiciens l'ont intégré depuis longtemps comme composante essentielle et irréductible de l'interprétation du monde (la rupture a eu lieu à l'aube du vingtième siècle).
La physique moderne repose sur l'acceptation du fait que le monde ne peut se décrire qu'avec une certaine probabilité d'événement, les particules élémentaires pouvant elles-mêmes se concevoir comme des "nuages" avec une probabilité de temps et de position. Dans ces conditions difficile d'affirmer que des macro-objets comme nous autres mammifères soient régis par un déterminisme absolu. Disons qu'au delà d'une certaine probabilité on peut parler d'événement "presque certain". Mais l'événement certain... Certain certain certain... La dérive idéologique guette les sciences sociales.

Et dire que les scientifiques sont parfois considérés comme de sombres empêcheurs d'hasarder et musarder en rond, alors que si nous y prêtons vraiment attention, la majeure partie de nos idées courantes (j'allais dire idées reçues, c'est-à-dire nos préjugés) sont pétries de ce déterminisme absolu.
Alors oui en sociologie il y a des systèmes, des structures (à ce titre il est permis de préférer Levi-Strauss à Barthes), mais la marge d'erreur y est bien plus grande actuellement qu'en physique quantique, et c'est le but d'une méthodologie des sciences sociales que de dire dans quel cadre leurs théories sont une description valide du monde. C'est tout sauf facile.
A+

PS: je n'ai rien contre Barthes! Il y a de la poésie dans ses écrits.Et le texte cité est intéressant. Mais Levi-Strauss...
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By wu-weï
#118420 Intéressant, complémentaire et constructif.
Si tu as un passage de Levi-Strauss qui traite des codes vestimentaires sous un angle sociologique à nous faire partager, je prends.
By Contraires-z
#118423 Il faudrait que je recherche dans "Tristes tropiques" et dans "Anthropologie structurale" les passages auxquels je pense.
Ces bouquins sont au fond de ma bibliothèque mais je ferai un effort promis pour étayer ce fil de citations précises.
Il y a notamment dans "Tristes tropiques" un passage sur le fait géographique et toute les implications sur les codes sociaux de proximité induits par les données climatologiques, codes dont le vêtement fait partie. Il y parle entre autres de l'habillement chez les européens méditerranéens et de l'effacement progressif de cette frontière entre l'intérieur des maisons et la rue. Codes communs, vêtements communs, comme si le quartier était l'élargissement "naturel" ou en tous cas inévitable de la famille nucléaire.

Il y parle aussi bien sûr et surtout des peuples d'Amazonie où l'on peut trouver des points communs forts avec ce dont parle ce texte de Barthes: il y est moins question de vêtements (je vous laisse deviner pourquoi :mrgreen: ) que de maquillages rituels (chez les Bororo), chaque classe et chaque époque ayant des motifs spécifiques, et du fait qu'au delà de tout l'arsenal de codes sociaux la tribu est divisée en trois classes que rien ne semble vouloir mélanger entre elles.

Sur des bouquins de 500 pages, accorde un moi un délai technique please!


Attention, mon post précédent pourrait être interprété confusément. Il s'agit bien de considérer les sciences sociales comme un apport immense à la connaissance, mais les questions méthodologiques et éthiques sont au coeur des préoccupations, au même titre que pour les sciences expérimentales. Et l'éclairage des statistiques modernes pour valider une hypothèse en sociologie mérite un bon retroussage de manches.
Bon ceci dit ce qui est intéressant au-delà de ces questions chez Barthes ou Levi-Strauss c'est leur approche poétique de l'homme en même temps qu'elle est méthodique! Paradoxal?
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By jazzitup
#118427 Une molécule d'hydrogène, c'est de la physique quantique.

Dix molécules, personne ne sait, ça ne sert à rien et c'est trop difficile.

Quelques millards de... c'est un gaz et PV=nRT. Pas besoin de physique quantique pour construire un moteur.

[quote]Le petit nombre ne compte pas quand la foule a où s’appuyer.
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By Pliskin
#118438 [quote="The Man Outside"][quote="wu-weï"][url=http://sociovoce.hypotheses.org/311]Pierre Bourdieu, La Distinction, Editions de Minuit, 1979, p 210[/url]

[quote]Il s’ensuit que le corps est l’objectivation la plus irrécusable du goût de classe, qu’il manifeste de plusieurs façons. [...]de sa conformation visible, où s’exprime de mille façons tout un rapport au corps, c’est-à-dire une manière de traiter le corps, de le soigner, de le nourrir, de l’entretenir, qui est révélatrice des dispositions les plus profondes de l’habitus...

Ou pourquoi les jeunes femmes du 6ème arrondissement de Paris sont généralement grandes et en bonnes santé, belles et soignées (anatomiquement comme vestimentairement).

Gouillou en parle très bien:

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