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Modérateurs: animal, Léo

ByOxymore
#72136 Je suis actuellement en train de lire [url=http://fr.wikipedia.org/wiki/Voyage_au_bout_de_la_nuit]Le voyage au bout de la nuit[/url].

Ce livre est une perle de noirceur. Le vide, l'absence de sens des vies humaines y sont décrites avec un tel désespoir lucide que c'est presque un plaisir à lire. Presque tant on en ressort déprimé ensuite.

J'ai rarement vu un tel désespoir existentiel; une haine de la vie et du genre humain aussi prononcée.

Des phrases de l'auteur sont bien plus parlantes et frappantes que mon baragouinage :

[quote]
La misère est géante, elle se sert pour essuyer les ordures du monde de votre figure comme d'une toile à laver.

[quote]Tout en pérorant ainsi dans l'artifice et le convenu, je ne pouvais m'empêcher de percevoir plus nettement encore d'autres raisons que le paludisme à la dépression physique et morale dont je me sentais accablé. Il s'agissait au surplus d'un changement d'habitudes, il fallait que j'apprenne une fois encore à reconnaitre de nouveaux visages dans un nouveau milieu, d'autres facons de parler et de mentir. La paresse, c'est presque aussi fort que la vie. La banalité de la farce nouvelle qu'il vous faut jouer vous écrase et il vous faut somme toute encore plus de lacheté que de courage pour recommencer. C'est cela l'exil, l'étranger, cette inexorable observation de l'existence telle qu'elle est vraiment pendant ces quelques heures, lucides, exceptionnelles dans la trame du temps humain, où les habitudes du pays précédent vous abandonnent, sans que les autres, les nouvelles, vous aient encore suffisamment abrutis.

Tout dans ces moments là vient s'ajouter à votre immonde détresse pour vous forcer, débile, à discerner les choses, les gens et l'avenir tels qu'ils sont, c'est à dire des squelettes rien que des riens qu'il faudra cependant aimer, chérir, défendre, animer comme s'ils existaient.

Un autre pays, des gens autour de soi, agités d'une facon un peu bizarre, quelques petites vanités en moins, dissipées, quelque orgueil qui ne trouve plus sa raison, son mensonge, son écho familier, et il n'en faut pas davantage, la tête vous tourne, et le doute vous attire, et l'infini s'ouvre rien que pour vous, un ridicule petit infini et vous tombez dedans.

Le voyage c'est la recherche de ce rien du tout, de ce petit vertige pour couillons.

[quote]Il faut bien que ca arrive, tot ou tard, qu'on vous classe.

[quote]Quand la haine des hommes ne comporte aucun risque, leur bêtise est vite convaincue, les motifs viennent tout seul.

Je m'arrête là. Je pourrais en mettre beaucoup plus. J'ai quasiment écorné le livre toutes les deux pages pour y souligner un passage.

Voici deux extraits audio lus par Luchini, du voyage au bout de la nuit :

[url=http://www.badongo.com/audio/14273451]Premier extrait, où Bardumu est médecin des pauvres.[/url]

[url=http://www.badongo.com/audio/14273552]Second extrait, Bardamu est à New York.[/url]
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By eddy
#72525 Un livre que j'appréhende beaucoup, mais que je me dois de lire prochainement.

Merci de me l'avoir rappeler.
By Hiva Oa
#72562 J'ai beaucoup aimé Voyage, même si j'y ai vu au contraire une ode à l'Humanisme, en particulier le passage sur la guerre : le monde que critique Bardumu est l'inverse de ce qu'il faudrait qu'il soit. Et en ce sens, à partir du moment où il existe dans l'esprit d'une personne ... c'est déjà ça !
Bravo aussi, sur la forme, d'être arrivé à écrire comme on parle.
Voyage, c'est l'éclairage inverse de la contreverse sur Céline.

Je garde !
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By Kuroro
#77057 J'ai aussi énormément apprécié le livre, un véritable bijou de la littérature française. Le style célinien est unique en son genre, ce n'est pas pour rien qu'il est entré dans la Pléiade de son vivant.

Pour ceux que ça intéresse, le magazine Lire lui a consacré tout un numéro, Hors-Série n. 7
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By JulienLyon
#77088 [quote]Le style célinien est unique en son genre

J'ai passé mon oral blanc de français sur l'incipit (début de roman) de l'Etranger de Albert Camus, la question pendant l'entretien, était en gros, quels liens pouvais-je faire avec voyage au bout de la nuit et le bouquin de camus, et entre autres on peut dire que le style est quand même similaire à celui de Céline. Il me semble. (j'ai que eu 12 ..)
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By Kuroro
#77191 Mouais... Je trouve que Céline a quand même un style bien a lui, qui peut-être se reflète en Camus, mais c'est loin d'être toute son écriture...

Céline en soi a quand même réécrit toute la langue française dans son livre. Capable de passer de langage oral au langage médical et scientifique en passant par des discours philosophiques. C'est possible que Camus a quelque chose de Célinien dans son écriture, mais je ne dirai pas que c'est la même chose.

Mais je pense que le livre le plus proche de Voyage au Bout de la Nuit, c'est probablement Candide, de Voltaire, où l'histoire, les lieux visités et la critique de la guerre, sont proches de la vision de Céline.
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By JulienLyon
#77197 [quote]Mais je pense que le livre le plus proche de Voyage au Bout de la Nuit, c'est probablement Candide, de Voltaire, où l'histoire, les lieux visités et la critique de la guerre, sont proches de la vision de Céline.

En effet pour l'histoire et les valeurs, ici, je ne parlais que du style d'écriture, que de la forme.
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By Jeff!
#79134 [quote="JulienLyon"][quote]Le style célinien est unique en son genre

J'ai passé mon oral blanc de français sur l'incipit (début de roman) de l'Etranger de Albert Camus, la question pendant l'entretien, était en gros, quels liens pouvais-je faire avec voyage au bout de la nuit et le bouquin de camus, et entre autres on peut dire que le style est quand même similaire à celui de Céline. Il me semble. (j'ai que eu 12 ..)
Je ne suis pas convaincu. Ou je me souviens très mal de L'Etranger, ou c'était un roman au style plutôt... discret, aussi plat que l'absence d'émotions de Meursault est terrifiante.
Tout au contraire, Céline en fout de partout, de son style à lui qu'il a amoureusement travaillé. Je chercherais plutôt le lien entre les deux auteurs du côté des correspondances entre l'Absurde de Camus et la Nuit de Céline.
By Rose Selavy
#79165 [url]http://www.youtube.com/watch?v=oA4fDvU36x8[/url]

Lumineux. Je vous invite à regarder les autres vidéos, ou d'ailleurs il parle de son style.
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By Aleister
#79341 Je passe en coup de vent pour vous informer qu'il existe aussi une lecture de Mort à crédit par Arletty, l'une de mes actrices préférée.

Courant d'air...
By Ovide
#79384 Un grand livre.

Lu trop tôt, il y a 4/5 ans. Mes souvenirs sont flous. J'ai réessayé de le relire, mais je n'ai pas éprouvé la claque que j'ai prise la première fois, j'ai laissé tombé.

Pour moi, c'est vraiment la misère et la vilénie humaine exposée et exacerbée comme personne par Céline, comment les gens peuvent se liguer et être méchants à tel point envers les individus "différents". Le monde qui y est dépeint, c'est aussi un monde qui s'écroule, sapé.

Mention spéciale aux 50 premières pages (la guerre) et au voyage de Céline en bateau.

A lire, la jeunesse de Céline jusqu'à l'engagement pendant la Grande Guerre (donc le prélude au Voyage), Mort à Crédit.

Quelques citations marquantes:

[quote]On est puceau de l'horreur, comme on l'est de la volupté.
[quote]
Les hommes y tiennent à leurs sales souvenirs, à tout leurs malheurs et on ne peut plus les en faire sortir.
[quote]
La femme qui sait tenir compte de notre misérable nature devient aisément notre chérie, notre indispensable et suprême espérance.

Il y en a d'autres of course, ce sont celles que j'avais notées quand j'avais 15/16 ans... Il faudra que je le relise, je le relirais sûrement en portant un nouveau regard ...
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By Aleister
#79390 Céline a su apporter à la littérature le renouveau lyrique dont elle avait besoin. Un lyrisme de gorge, selon la très belle image de Charles Dantzig "Céline écrit à coups de klaxon".
C' est également l'un des rares auteur à participer à son oeuvre de façon aussi métaleptique, au delà de la dimension biographique.

Son oeuvre à tout du roman picaro ce qui me parait d'avantage rapprocher son écriture de celle du Don Quichotte plutôt que de celle de L'étranger, bien que le questionnement herméneutique ne soit pas encore clos sur le sujet.

Si la poétique de Céline vous intéresse, vous trouverez , en plus de ses courriers et de ses enregistrements une étude extrèmement intéressante et précise chez Henri Godard. Non seulement sous la forme de commentaires d'oeuvres comme Mort à crédit ou Voyage au bout de la nuit, mais encore sous la forme d'ouvrages plus théoriques.