- Mer Déc 05, 2012 3:00 am
#129135
Personnellement, j'avais fait ma maîtrise de philo sur Nietzsche, sur son Gai Savoir.
J'avais lu tout Nietzsche, mais à mes yeux, le Gai Savoir possède un charme supérieur, à condition de savoir le lire (car Nietzsche se mérite). Vous avez un puzzle fait de plein d'aphorismes dont bien des termes sont à prendre en tant que métaphores dont le sens s'éclaire grâce à d'autres aphorismes. A vous de coller les morceaux pour en faire un ensemble cohérent ! Car sans ce travail, Nietzsche ne serait finalement qu'un moraliste - ce qui est déjà énorme ! - mais seule la cohérence permet de le catégoriser comme philosophe en fin de compte.
Pour les patients, on peut conseiller l'ordre chronologique, mais ne jamais oublier que le très schopénhauéro-wagnérien La Naissance de la Tragédie est en quelque sorte reniée par ses oeuvres ultérieures. Le renversement des valeurs, ce n'est pas seulement quelque chose qui concerne l'histoire de la philosophie, pour Nietzsche, ça concerne aussi sa propre oeuvre.
Il convient toujours d'avoir à l'esprit que Nietzsche use d'une pensée qu'on peut qualifier de métaphorique et qui fait que sa pensée peut apparaître fuyante à qui ne sait pas la saisir. Mais en réalité, qui le peut vraiment ?
J'ai lu que certains avaient été choqués du mot "race" par exemple, l'important, c'est ce qu'il en fait. Il n'a pas l'esprit démocratique, plébéien ou politiquement correct si vous préferez, et il écrit bel et bien pour des "hommes supérieurs", des "aristocrates", autrement dit pour des philosophes et personne d'autre, si on veut mettre un autre mot à ce qu'il dit.
Parmi les interprétations des oeuvres de Nietzsche, j'avoue que loin devant Deleuze que je trouve fumeux, se trouve pour moi l'ouvrage de Alexander Nehamas, Nietzsche, la Vie comme littérature, en dépit d'un point de vue trop tourné vers le perspectivisme. Mais force est de reconnaître qu'il a su donner une réelle compréhension de l'oeuvre et lui donner une cohérence, là où d'autres commentateurs vont ajouter de l'obscur à l'obscur (spécialité de Derrida, par exemple, dont je revends Eperons, pour qui veut !
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Trois choses qui me répugnent chez Nietzsche :
- Sa vie, d'après les souvenirs que j'en ai. Contracter la syphilis qui le tuera dans un bordel, ça l'a condamné à une misère sexuelle dont il n'a jamais pu sortir, ça n'a pas peu contribué à aggraver des troubles de l'humeur ou borderline dont il me semble avoir souffert très tôt dans sa vie (mais ce sont de vagues souvenirs). Il semble qu'un des motifs de disputes avec les Wagner, outre que Nietzsche ait été semble-t-il amoureux de Cosima, ce fut une tendance assez lourde à la masturbation pas forcément discrète - mais attention sur ce point, il se peut que Richard Wagner n'ait donné que dans le ragot. Avec Lou Salomé, il me semble qu'il se soit comporté comme un vulgaire type moyen frustré, et encore, je suis gentil.
- Sa tendance, surtout dans ses oeuvres finales à tout ramener à la Volonté de Puissance. Il s'agit pour moi d'un point de vue éthique, mais ce n'est pas compris comme tel par bien des commentateurs et surtout Nietzsche se laisse prendre lui-même au propre piège de sa construction pour élaborer que tout découle de ça, ce qui tend à réduire son oeuvre en un système, chose que lui-même pourtant condamnait. Se méfier des philosophes ou des penseurs qui ramènent tout à un seul et unique principe (Nietzsche dans une certaine lecture, Marx, Freud, pour prendre les plus à la mode à l'université) : la vie est toujours plus riche que ça.
- Il n'a pas vu que sa critique du Beau, du Bien et du Vrai allait contribuer à ce que tout un tas de canailles (vocabulaire nietzschéen) allaient plus ou moins se réclamer de lui, même et surtout très superficiellement, pour enlaidir le monde, manipuler autrui, inventer des théories débilitantes dont le terrible relativisme scientifique. Dieu est mort, et la canaille sombre dans le nihilisme le plus absolu, le tout en réalité au nom d'intérêts particuliers. Je le découvre tous les jours en ouvrant les journaux, en allumant la télévision... A ce titre, une chaîne comme Canal + me paraît particulièrement représentative avec ses présentateurs au cynisme agressif, à l'ironie vide de sens, qui tueraient pour un mot méchant pourvu qu'ils fassent rire leur auditoire lobotomisé. Toute l'oeuvre de Nietzsche est un effort pour essayer de voir par delà le Beau, le Bien, le Vrai. Mais le résultat est que notre époque de canailles est tellement en deçà de tout ça que c'est à en pleurer - il suffit pour s'en rendre compte de manière évidente, de regarder l'architecture depuis 1930 par exemple. Bref, à mon sens, tant qu'on ne reviendra pas aux piliers de la civilisation européenne depuis Platon, tant que l'Europe ne retrouvera pas ces trois catégories fondamentales comme piliers de la société, je pense que le sens de l'oeuvre de Nietzsche sera vraiment réservée à quelques happy few, car sa portée n'est à mon sens mois sociologique ou politique qu'éthique et exclusivement dans le cadre d'un société se donnant pour ligne directrice le Bien, le Beau, le Vrai, notamment à travers l'éducation. C'est pourquoi être nietzschéen actuellement, dans notre société vraiment tombée en décadence, je ne sais pas si ça a beaucoup de sens en fin de compte, et d'ailleurs Nietzsche aurait détesté ce mot de nitzschéen !