- Jeu Sep 05, 2013 7:38 pm
#137383
@ Rose Sélavy.
Peut-être parce qu'ils sont bien moins nombreux qu'on le croit ceux qui sont capables de se remettre en cause dans leurs opinions et leurs comportements.
Je vais te dire un truc. Il y a encore 10 ans, je pensais sur un tas de sujet des choses totalement différentes de maintenant. Et pas sur des petits sujets (philosophiques, politiques, psychologiques...). La remise en question fut violente... entre sentiment de libération et l'exaltation qu'elle offre mais aussi vif sentiment d'insécurité (car la place que tu occupes dans le monde est aussi forgée par ta vision du monde, et si tu considères que ta vision du monde est fausse, la place que tu occupes dans le monde te paraît bien souvent totalement inadaptée) voire dépressif d'avoir perdu tant et tant d'années dans ce que je découvrais être des chimères.
Je considère par ailleurs que je n'en ai pas terminé avec moi à ce sujet...
Autrement dit, c'est tout l'édifice de ce qui donnait sens à ma vie que j'ai volontairement fait s'effondrer.
Nietzsche a fait un peu la même chose, puisque son oeuvre est un renversement totale de perspective et une destruction en bonne et due forme de son Naissance de la Tragédie. Dès lors, ce n'est pas étonnant que pour moi il ait écrit quelque chose comme "Lhomme capable de la plus haute joie est aussi celui capable de la plus grande souffrance".
Enormément de personnes refusent de considérer un libre examen de leur système de pensée, de leurs croyances etc parce qu'elles y ont là leur sécurité. L'autre jour je parlais encore à une psychanalysée en cours de l'escroquerie intello financière que constituait le freudisme. J'aurais mieux fait de parler à un mur !...
Dès lors, le sophiste est celui qui cherche à capter l'assentiment en flattant ce qu'il suppose être la vision du monde de ceux qu'il cherche à guider, voire en l'approfondissant et en la complétant. Par exemple, Hitler n'a pas eu de mal à s'imposer car l'Allemagne était profondément antisémite au moins depuis la mi XIXème siècle, un antisémite d'autant plus exacerbé que beaucoup de personnes, dont des juifs se sont enrichis durant l'hyperinflation de Weimar (ils avaient eu la bonne idée d'acheter de l'or auparavant et ont pu de la sorte acheter de l'immobilier pour une bouchée de pain), tandis que des faillites retentissantes de banques allaient mettre en périls le fragile patrimoine des Allemands après 1930 (pas besoin de vous faire un dessin sur les relations entre banquiers et juifs dans l'imaginaire antisémite).
Mais celui qui cherche à dire des choses sur le monde, à dire la vérité, modestement, se heurte à d'autres croyances, à des préjugées, au climat ambiant... J'ai papilloné à droite à gauche sur internet pour savoir ce que d'autres personnes pensent de SpikeSeduction... Sur certains forums ou blogs féminins, c'est la curée ! Certains rêveraient de faire boire la cigüe à Stéphane !
Sachant cela, il existe aussi tout un tas de sophistes qui prennent la position du martyr, de la victime et de l'incompris pour mettre en avant la pseudo-véracité de leurs thèses en cherchant à faire monter de la sorte le nombre des disciples (parfois c'est vrai, parfois c'est totalement bidonné). Ils sont assez nombreux quant on y pense : vous avez Jésus, Mahomet, Freud et tout un tas de créateurs de sectes ou de mouvements intellectuels.
Pour revenir sur ce que tu disais, Rose Sélavy, en démocratie, il s'agit pour le candidat de "convaincre" (je n'aime pas trop cette distinction entre "convaincre" et "persuader" en fin de compte) une majorité de français de voter pour soi. Dès lors, en temps normal, il ne s'agit certainement pas de faire étalage de ses propres convictions pour pouvoir être élu, mais de réussir à être une caisse de résonnance de 51% des Français. Seule une période de crise, où ce sont les événements qui gouvernent, font en sorte que les croyances partagées ne sont plus tenables en tant que telles : c'est ainsi qu'en 1945, la majorité des Allemands n'avaient plus cette sympathie pour les nazis qu'ils pouvaient avoir en 1933. Ces périodes de crise font parfois émerger celui qui "avait raison" ou qui "avait moins tort" avant tout le monde, l'Homme providentiel (le problème, c'est que parfois l'Homme providentiel est souvent un comédien qui applique un remède pire que le mal).
Ca me fait penser à cette phrase attribuée à Schopenhauer : « Toute vérité franchit trois étapes. D’abord elle est ridiculisée. Ensuite, elle subit une forte opposition. Puis, elle est considérée comme ayant toujours été une évidence. »
En réalité, Schopenhauer se trompe car il est trop systématique. Par exemple, aller contre un système religieux lorsque celui est fort et dominateur ne risque pas de prêter au ridicule mais d'envoyer directement tel ou tel blasphémateur au bûcher ou équivalent (cela a un rapport avec ma lecture actuelle "Rire et colère d'un incroyant" par René Pommier).
Il m'arrive souvent de constater que les médias manipulent les faits et manipulent les gens. Mais je constate une chose par ailleurs : c'est que la plupart des gens sont contents d'être manipulés en étant confortés dans une vision du monde donnée clé en main par ces mêmes médias. Si on leur fait remarquer même prudemment, qu'il se pourrait qu'on dise n'importe quoi sur telle ou telle affaire en cherchant à enfumer les gens, la plupart ne sont même pas intéressés par les arguments que l'on peut donner. Par exemple, prenez une machine à remonter le temps et allez parler de l'absence de preuve d'armes de destructions massives aux Etats-Unis en 2003 à un partisan manipulé pour l'envoi de troupes en Irak. Ce sont les événements qui se sont chargé pour certains de changer leur opinion quant à cette aventure.
La zone de confort, ce n'est pas seulement pour aller draguer dans la rue, c'est aussi ce qui nous empêche de nous remettre en question - tout en nous permettant, ô paradoxe, d'agir dans un cadre précis.
Autre exemple, au salarié qui a trimé pour le smic pendant 40 ans en faisant son maximum pour être un employé modèle car il ne tient pas à perdre son emploi, ça doit lui faire tout drôle d'entendre la vision de la vie de Steve Jobs telle qu'énoncée dans la vidéo. Généralement, ça lui passera par dessus la tête, car totalement hors du cadre de ses habitudes mentales. Il peut aussi s'en indigner afin de préserver ses habitudes mentales : "non monsieur, la vie n'est pas ce jeu dangereux que vous prétendez qu'elle est". Mais s'il écoute attentivement et se rend compte qu'il s'est trompé pendant 40 ans, et fait en quelque sorte le grand chamboulement dans sa vision du monde, comment ne pourrait-il pas ne pas être profondément déprimé ?
Voilà à mon sens pourquoi la plupart des gens ne se départissent pas pour la plupart d'une vision du monde parfois figée très tôt dans l'existence - c'est pourquoi d'ailleurs de nombreux mouvements sectaires cherchent à embrigader très tôt de jeunes adeptes, le plus tôt possible. Et voilà pourquoi en fin de compte Socrate a fini condamné par boire la cigüe par la démocratie athénienne : parce qu'il pervertissait la jeunesse, mais pas que la jeunesse ! Il faisait exploser les croyances de ses concitoyens (selon la version de Platon), car les textes proprement socratiques de Platon finissent tous en aporie ("on a démoli tes croyances, maintenant, débrouille-toi, je n'ai rien à te proposer - mais tu sais au moins que tu ne sais rien !")
D'ailleurs, pour reprendre la terminologie de Schopenhauer, je crois qu'il y a une différence fondamentale entre les tenants d'une vérité qui sont haïs et ceux qui sont ridiculisés.
Socrate ridiculisaient les tenants de croyances dont il démontrait qu'elles ne tenaient pas debout.
Mais Socrate, par ce procédé s'attirait des haines farouches parmi les Athéniens. (Attention, je ne parle pas du Socrate platonicien de la République par exemple).
Pour reprendre ma petite citation attribuée à Schopenhaueur, je crois que lorsqu'une personne déclenche de la haine par ses idées, c'est parce qu'elles tente de faire voler en éclat des croyances dont il y a tout lieu de penser qu'elles reposent sur des fondements bien fragiles : seule la force (ou l'invective constante) permet d'en finir avec le contestataire.
Mais lorsqu'une personne déclenche le rire de par ses idées, c'est bien plutôt parce ses idées, bien qu'en opposition avec les croyances de l'époque, sont perçues intuitivement et bien souvent justement comme étant totalement farfelues par la majorité des gens.
Tout le jeu d'un pipoteur devenu chef de secte est de faire passer le second phénomène pour le premier, ou de passer du second au premier.