Itou

Modérateurs: animal, Léo

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By Maurice
#145671 [quote]C'est plus baroque que gothique, hein. :roll:

Je ne vais pas revenir sur le reste concernant la société du XIXème siècle, parce que je suis fatigué de politique pour ce soir.

Cependant, ici :
[url]http://fr.wikipedia.org/wiki/Roman_gothique[/url]
By Tantris
#145675 Cependant...

[url]http://books.google.fr/books?id=7xOA8b7jxW8C&pg=PA227#v=onepage&q&f=false[/url]

[url]http://fr.wikipedia.org/wiki/L'Homme_qui_rit[/url]

« C'est là une formidable épopée, mêlant l'idylle, l'apocalypse et la fantaisie, aux images et au vocabulaire éblouissants, partagée entre l'ombre et la lumière, le bien et le mal, l'ironie et l'humour noir. On a reproché à l'auteur d'y mettre trop de décors, trop de personnages, de prendre trop de libertés avec la réalité historique, d'aligner trop de bravoure et de coups de théâtre. C'est précisément dans cette exagération, dans ce foisonnement baroque que L'homme qui rit trouve sa richesse et sa superbe. » --Céline Darner - Commentaire du livre de poche

Voilà Voilà
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By Ventel
#145676 L'introduction de L'homme qui rit — présentée par Marc Eigeldinger et Gérald Schaeffer — nous dit :

" L'homme qui rit est, de tous les romans de Hugo, le plus étrange et le plus baroque, peut-être le plus surréaliste avant la lettre"
De même pour sur Wikipédia pour la présentation du roman.
Je ne vois nullement une référence au roman gothique

Sur ta page, j'ai vu que ce sous-genre s'est éteint vers 1830 (alors que L'homme qui rit est sorti en 1869). Ça nous laisse une marge de 39 ans... C'est extrêmement long pour un domaine comme la littérature.

Mais nous dirons que Hugo s'est vachement inspiré du roman gothique pour rédiger son œuvre. Il laissait assez bien Walter scott :wink:
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By Maurice
#145678 D'une, je n'ai pas dit que L'Homme qui rit était un roman gothique, j'ai dit qu'il avait un côté gothique, et je vais le montrer ci-dessous.

Le roman gothique anglais n'est absolument pas un sous-genre, il est un genre à part entière et l'une des premières incarnations du mouvement européen et à tête multiple nommé romantisme (on parle d'ailleurs de romantisme noir).

Certes la structure de l'Homme qui rit est baroque si l'on veut (encore qu'on pourrait la comparer à une cathédrale gothique), et il est vrai qu'en tant qu'écrivain de l'antithèse, Hugo procède des écrivains baroques (mais d'ailleurs le gothique en littérature, n'est-il pas cousin du baroque ?)

[quote]Aparté, ce joli poème baroque de Marbeuf pour illustrer ce que je dis quant aux jeux d'antithèses (ici l'eau et le feu) :

Et la mer et l'amour ont l'amer pour partage,
Et la mer est amère, et l'amour est amer,
L'on s'abîme en l'amour aussi bien qu'en la mer,
Car la mer et l'amour ne sont point sans orage.

Celui qui craint les eaux qu'il demeure au rivage,
Celui qui craint les maux qu'on souffre pour aimer,
Qu'il ne se laisse pas à l'amour enflammer,
Et tous deux ils seront sans hasard de naufrage.

La mère de l'amour eut la mer pour berceau,
Le feu sort de l'amour, sa mère sort de l'eau,
Mais l'eau contre ce feu ne peut fournir des armes.

Si l'eau pouvait éteindre un brasier amoureux,
Ton amour qui me brûle est si fort douloureux,
Que j'eusse éteint son feu de la mer de mes larmes.

Aller parler de surréalisme par contre, c'est tout de même aller un peu loin dans l'anachronisme (même si je sais que Breton a récupéré tout un pan de la littérature, dont quelques romans gothiques anglais, dans son Manifeste du surréalisme, et si Artaud allait réinterpréter le Moine de Lewis)

Si le roman gothique est en quelque sorte mort en 1866 depuis trente ans, la littérature anglaise est restée fortement marquée par cette période bien après. Dracula de Bram Stocker date de 1897 et même le Rebecca de Daphné du Mauriers emprunte des éléments au gothique (1937). Quant au baroque, dois-je rappeler qu'il est propre au début XVIIème siècle français en littérature ? Et comme on n'est pas aux Grammy Awards dans ce petit monde là, on rappellera tout de même que pour un auteur comme Hugo, la littérature n'est pas affaire totalement de mode.

Voici maintenant quelques éléments gothiques présent dans ce roman se passant en Angleterre (et il serait idiot de ne pas croire que Hugo, le romantique français par excellence n'ait pas lu quelques auteurs romantiques anglais (, d'autant plus à Guernesey où il résidait au moment de la majeure partie de la rédaction de son oeuvre - sans compter que son oeuvre recèle de références gothiques dont la plus célèbre est le personnage de Quasimodo dans Notre Dame de Paris, dont l'action, que je sache, ne se passe pas dans une cathédrale romane.) :

On m'excusera de prendre les éléments à Wikipédia, mais ma lecture de l'Homme qui rit a presque 15 ans d'âge.
- Ursus (ours en latin), un vagabond qui s’habille de peaux d’ours et est accompagné d’un loup domestique, Homo (homme en latin).
- Gwynplaine, un enfant de dix ans qui vient d’être abandonné par des Comprachicos, spécialisés dans le commerce d'enfants, qu'ils achètent ou volent et revendent après les avoir mutilés. Ceux-ci périssent en mer au cours d'une tempête. Alors qu’il cherche à retourner vers la ville, Gwynplaine passe devant un gibet (quelle description !) où pend le peu qu’il reste du cadavre d’un condamné et découvre, à quelques pas de là, le corps d’une femme sur le sein de laquelle est accroché un bébé encore en vie.
- Ursus ne se rend compte que le lendemain, à la lumière du jour, que ce qu’il pensait être une grimace sur le visage de Gwynplaine est en fait une mutilation qu’il reconnaît comme une pratique de défiguration. Il réalise également que le bébé est aveugle.
- Fortement complémentaires, Gwynplaine – dont la difformité est invisible à Dea qui ne voit que la beauté de son âme – et Dea – dont l’infirmité, loin de rebuter Gwynplaine, le pousse à lui accorder une attention – forment un couple encore chaste mais profondément lié.
- Josiane (...) envoie quelque temps plus tard une lettre à Gwynplaine auquel elle déclare vouloir se donner totalement, elle qui est si belle à lui si hideux.
- C’est à ce moment crucial qu’apparaît le personnage du wapentake, un serviteur de la couronne qui, par le simple toucher, contraint quiconque de le suivre sous peine de mort.
- Désespéré, Gwynplaine pense à se suicider, mais il est retrouvé par Homo qui le guide vers Dea et Ursus. Malheureusement, le cœur fragile de Dea ne résiste pas à toutes ces émotions et celle-ci meurt dans les bras de Gwynplaine, qui la rejoint dans la mort en se jetant à l'eau.

Hugo reprend certains codes du roman gothique : son inquiétante étrangeté, sa fascination pour le macabre, son goût pour les contrastes forts entre beau / difforme / âme bonne / âme noire, des scènes de tempêtes, de souterrains...

Evidemment qu'il prend ces ingrédients et qu'il en fait quelque chose de tout à fait original qui n'est au final ni baroque, ni gothique, mais ces ingrédients sont là, je persiste et signe !

Voici les caractéristique du roman gothique tel que donné par Wikipedia, en gras, ce qui me semble correspondre à l'Homme qui rit d'après mes souvenirs rafraichis par Wikipédia.
L'engouement pour l'histoire et le passé, caractéristique du romantisme, entraîne le retour à des décors populaires du théâtre élisabéthain tels que le château hanté (Macbeth, Hamlet), la crypte (Roméo et Juliette), la prison médiévale (Richard III ou Edward II de Christopher Marlowe), le cimetière (Hamlet). Les décors naturels sont ceux des contes de bonne femme, paysages nocturnes (Macbeth), sabbats de sorcières (Macbeth), orages déchaînés sur la lande (Le Roi Lear), tempêtes en mer (La Tempête, Un conte d'hiver).
"Une autre caractéristique du roman gothique est la recherche de l'exotisme : l'Italie pour Le Château d'Otrante, l'Orient pour Vathek, l'Espagne pour le Manuscrit et Le Moine. (Et ici l'Angleterre pour un auteur français)
Les personnages : le religieux (l'Inquisition), la femme persécutée, la femme fatale, le démon, la belle, la bête, l'ange, l'ange déchu, le maudit, le vampire, le bandit, le "Fatal Man"
Les situations : le pacte infernal, l'incarcération et la torture, le suicide, le vampirisme, les secrets du passé venant hanter le présent
Les lieux : le château, les ténèbres, le cimetière, une ruine, une église, la nature, ..."
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By Maurice
#145697 Me voici donc maintenant lisant Maurice Barrès, le très difficilement saisissable Maurice Barrès, Prince de la Jeunesse dans les années 1890, pour qui Zola n'était que "grossièreté retentissante", condamné à 20 ans de prison lors du procès fictif (qui allait conduire à l'autodissolution du mouvement Dada et sa transformation en mouvement surréaliste) par Breton, pour être "le champion des idées conformistes les plus contraires à celles de la jeunesse. Comment l'auteur d'Un Homme Libre a-t-il pu devenir le propagandiste de l'Echo de Paris ?"

Maurice Barrès l'antidreyfusard antisémite ami de Léon Blum et qui écrira pourtant Les Familles spirituelles de la France (1917) où il place les traditionnalistes, les protestants, les socialistes et le juifs comme un des quatre éléments du génie national, rendant hommage aux juifs tués pendant la Grande Guerre : Amédé Rothstein, Roger Cahen, Robert Hertz. Il immortalise la figure du rabbin Abraham Bloch25, frappé à mort au moment où il tendait un crucifix à un soldat mourant.

Maurice Barrès, ennemi politique de Jaurès, ami de Jaurès, l'un des premiers à s'incliner sur son corps le 1er août 1914.

Maurice Barrès, le miliant boulangiste qui se bat en duel contre ses ennemis, y compris de son propre parti.

Maurice Barrès le traditionnaliste qui choqua ses lecteurs catholiques en rédigeant un Jardin sur l'Oronte (1922) et auquel il répond :
« Je suis d’accord avec la critique catholique : la morale c’est la morale chrétienne. Est-ce à dire que l’artiste ne doit connaître et peindre que des situations édifiantes ? Voulez-vous écarter le monde immense des émotions, des passions de l’âme et des affections du coeur ? »
— Maurice Barrès, « Comment la critique catholique conçoit le rôle de l’artiste », l’Écho de Paris, 16 août 1922.

Maurice Barrès, l'écrivain totalement disparu de l'Education nationale et de l'Université. Evaporé... Pschitt !

Maurice Barrès, dont le nom sent le souffre, et qui donne des frissons d'horreur à ceux qui ne l'ont jamais lu.

Maurice Barrès, l'Homme libre (1889) :
« Premier principe : Nous ne sommes jamais si heureux que dans l'exaltation.
Deuxième principe : Ce qui augmente beaucoup le plaisir de l'exaltation, c'est de l'analyser.
Troisième principe : Il faut sentir le plus possible en analysant le plus possible »

Maurice Barrès, le Lorrain arraché à sa terre et qui veut la reconquête :
« Cette voix des ancêtres, cette leçon de la terre que Metz sait si bien nous faire entendre, rien ne vaut davantage pour former la conscience d'un peuple. La terre nous donne une discipline, et nous sommes le prolongement des ancêtres. Voilà sur quelle réalité nous devons nous fonder. »
— Maurice Barrès, La Terre et les Morts, 1899.

Maurice Barrès, l'homme publique de l'exaltation patriotique durant la Première Guerre mondial, le "rossignol des carnage" dénoncé par Romain Rolland, qui montre pourtant dans ses carnets un profond désabusement à la limite du défaitisme.

Maurice Barrès, l'inspirateur de toute une génération d'écrivains : Montherlant, Malraux, Mauriac, Aragon notamment.

Pour avoir une idée de l'influence de Maurice Barrès sur au moins son époque, il suffit de lire Léon Blum : « Je sais bien que Monsieur Zola est un grand écrivain ; j'aime son œuvre qui est puissante et belle. Mais on peut le supprimer de son temps par un effort de pensée ; et son temps sera le même. Si Monsieur Barrès n'eût pas vécu, s'il n'eût pas écrit, son temps serait autre et nous serions autres. Je ne vois pas en France d'homme vivant qui ait exercé, par la littérature, une action égale ou comparable. »

Maurice Barrès, enfin, l'écrivain voyageur dont je suis en train de lire l'étrange "Du sang, de la volupté et de la mort" (1894) où l'auteur délivre ses impressions de voyages, effectués en Espagne et en Italie. Wikipédia affirme que "La mélancolie, le spleen élégant de ses récits de voyage marqueront la sensibilité de la fin de siècle".

C'est une prose poétique, qui me fait penser à Alain-Fournier et son Grand Meaulnes ou encore au Breton de l'Amour fou ou de Nadja. Une prose très artificielle où les êtres semblent être désincarnés. A priori vraiment pas quelque chose apte à me plaire, et de fait, j'ai énormément de mal à rentrer dans l'ouvrage. Tellement qu'au bout de 20 pages, je suis bien obligé de convenir qu'il me faut revenir au début pour comprendre un peu mieux qui est qui et qui fait quoi...

Voici par exemple ce qu'il écrit à propos de l'Escurial, qui à moi aussi m'a fait une forte impression, proche de celle décrite ici, ou plutôt qui m'apparaît remarquablement analysée et qui s'en trouve enrichit quelques années plus tard. Je me souviens l'avoir vu deux fois : de jour, visite touristique fortement améliorée, de nuit alors que le hasard fit qu'une énorme procession passait, telle une assemblée de fantômes inquiétants, sous la pluie et le froid qui y règnent bien souvent en avril :

"Ce fut d'abord, l'Escurial qu'il lui montra, comme le lieu de l'ascétisme et la traduction en granit de la discipline castillane issue d'une conception catholique de la mort.
Monté sur un rocher de cette sombre sierra où fut imposé l'énorme monastère, quel voyageur n'a subi le despotisme de ce paysage et d'une régularité si douloureuse dans cet horizon convulsé ! Mais la plupart réagissant contre la contraction de leur âme, retournent très vite à la miséreable auberge, en bouffonnant sur l'humeur mélancolique des maçons de Philippe II. Vains efforts pour renier le tremblement de leur être sous la prise du génie castillan !
Ce roi, qui installa sa toute-puissance dans un caveau, met sous nos yeux que la "grandeur de l'homme est grande en ce qu'il se connaît misérable".
Penché sur l'immense Escurial que d'un terte il dominait [(J'imagine qu'il s'agit de ce qu'on appelle là-bas la colline où se trouve le "trône de Philippe II" ou "silla de Felipe II et qui offre une vision stupéfiante de l'ensemble, cf photo ci-dessous)], Delrio s'abandonnait au vertige du gouffre ascétique ; il cédait à l'empire catholique de la douleur. Un crucifié en détresse, déchiré par les fouets, les outrages et les terreurs, impose ses couleurs à la terre : et pour ébranler les ondes profondes de notre conscience, les cordes de l'idéal, rien ne vaut des beautés de lépreuserie. Ce paysage anarchique, tourmenté par les sombres passions et qui supporte le monastère royal comme une dalle écrasante de granit bleuâtre, lui semblait exactement la composition de lieu que présenterait à son imagination, pour la fixer, un Pascal qui médite.
Peu m'importe le fond des doctrines ! C'est l'élan que je goûte. Les ascètes d'Espagne ou de Port-Royal appelaient vivre pour l'éternité ce que nous appelons s'observer, comprendre le néant de la vie. Ces états élevés seraient-ils perdus aujourd'hui ?
Tout le jour, Delrio essaya de communiquer ces réflexions à la Pia, tandis qu'ils ciculaient à travers les cours lugubres, sous des voûtes glacées où manque l'air. Ainsi tombés brusquement du sans-effort de leur terrasse de Tolède, dans un formidable caveau scellé au mileu des sierras pour transmettre à l'éternité le tête-à-tête d'un despote et de Dieu, ils s'y trouvaient perdus comme des enfants dans la Somme, le Code et la Géométrie. ([Somme théologique de Thomas d'Aquin et Code civil]). Malaise d'âme pourtant, plutôt que physique ! Ce qui les oppressait, c'était moins cet impassible et monochrome labyrinthe que toute la conception de vie, la méthode morale, l'éthique qu'il symbolise, Bleu granit éternel, lignes inflexibles qui resserrent l'âme de telle sorte que, ne dépensant rien en gestes, ne perdant rien au dehors de son ardeur, elle soit toute tassée et brisante, comme une cartouche de dynamite placée dans la roche et qui ne peut s'évader qu'en rompant du côté du ciel !"

[img]http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/3/36/San_Lorenzo_de_El_Escorial_view.jpg[/img]

Voilà l'auteur que la jeunesse bourgeoise parisienne admirait en 1896. 100 ans plus tard, la jeunesse bourgeoise parisienne (moi compris en 1996) allait adorer Daft Punk.
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By Maurice
#145698 [url]http://www.lepoint.fr/invites-du-point/gabriel-matzneff/matzneff-ne-vous-trompez-pas-de-barres-monsieur-valls-26-08-2013-1717320_1885.php[/url]
On trouvera ici un très joli hommage à Maurice Barrès par Gabriel Matzneff (je sais, c'est encore ce fichu torchon du Point, mais que voulez-vous, ils doivent avoir passé un contrat secret avec Google, car je passe toujours par Google).
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By Maurice
#145699 Ceci m'amène à cette réflexion : une idéologie, du moins celle qui domine son époque, se concrétise au plus dans l'architecture, de telle sorte qu'on peut juger intuitivement de sa valeur, et de la grandeur de cette époque, par les bâtiments, notamment de prestige, qui en sont l'expression brute, sans même en avoir lu une ligne.
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By Ventel
#145716 Très intéressant.
Merci pour cette découverte.

Néanmoins, il n'y a rien à faire : je reste indifférent lorsque je lis cette description.Je la trouve trop chargée. Je ne sais pas si ça vient de la pragmatique, du lexique, de l'accumulation des épithètes, de l'Escurial, ou l'emploi du registre laudatif.
Barrès me fait le même effet qu'un Mauriac, qu'un Montherlant, qu'un Malraux, ou qu'un Marras. Ces bonshommes ne m’inspirent rien grand chose ; alors que Bourget, Aragon, et Proust passent sans soucis.

Je dois être conditionné par l'inconscient collectif qui met en lumière des auteurs et qui obscurcit les autres.

[quote="Maurice"]Ceci m'amène à cette réflexion : une idéologie, du moins celle qui domine son époque, se concrétise au plus dans l'architecture, de telle sorte qu'on peut juger intuitivement de sa valeur, et de la grandeur de cette époque, par les bâtiments, notamment de prestige, qui en sont l'expression brute, sans même en avoir lu une ligne.

Prenons le cas de notre époque où l'on construit des gratte-ciel à la pelle et presque indémontables — des tours, disons-le bien, assez souvent dépourvues de fioritures et de détails qui témoignent d'un esthétisme travaillé.

Si l'on suivait ton raisonnement pour l'appliquer à l'architecture d'aujourd'hui, cela signifierait que nous vivons dans un siècle où l'homme veut à tout prix atteindre une puissance céleste (et qu'il ne veut plus perdre son temps) ?
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By Maurice
#145720 J'ai été étonné de trouver au contraire une très brillante explication de l'Escurial... tu devrais la relire. Je suppose qu'il ne faut pas réduire Barrès à cette description, mais connaissant l'Escurial (et pour ceux qui ne connaissent pas, la photo aide), je trouve ce passage vraiment juste et bien balancé. Ceci étant, je comprends où tu veux en venir, et c'est peu ou prou mon impression de début de lecture - sauf ce passage justement !-, mais je suspends mon jugement.

[quote]nous vivons dans un siècle où l'homme veut à tout prix atteindre une puissance céleste (et qu'il ne veut plus perdre son temps)

Ce que tu dis est assez juste, nous vivons dans une époque :
- de disâgne industriel, où l'ingénieur disâgneur industriel galvaude totalement le titre d'architecte.
- du fonctionnalisme-roi (le grand point commun entre toutes les idéologies dominatrices du XXème siècle), du futurisme, du modernisme garanti 100 ans d'âge.
- où l'homme se rêve en culture hors-sol, désincarnée, comme flottant dans le monde des idées (de nombreuses constructions n'ont pas de rez de chaussée mais juste des piliers (université de Jussieu par exemple) et nomade (inspiration de la construction navale, du paquebot)

Plus de précisions (que l'on peut nuancer en fonction de son propre savoir) :

[video]http://www.youtube.com/watch?v=rNozfdE8jCM[/video]
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By Ventel
#145962 Merci pour cette conférence.
C'est flippant de savoir que l'architecture est influencée par l'idéologie dominante...

Hier, je passais sur la place de ma ville natale où figure la nouvelle extension de la mairie...
Il m'a fallu deux secondes pour reconnaître la culture hors-sol, la construction supérieur en forme de conteneur, les matériaux en métal, et les couleurs sombres proche de l'anthracite...
C'était d'un moche... à faire resurgir une dépression automnale ...

P-S : J'ai terminé de lire la correspondance de Rilke... :wink:
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By Maurice
#145983 [quote="Ventel"]C'est flippant de savoir que l'architecture est influencée par l'idéologie dominante...

Ca, ça a toujours été le cas, du moins pour les bâtiments de prestige. Il faut bien que quelqu'un paie, et celui qui paie décide en quelque sorte. Le château de Versailles est bien le reflet de l'idéologie dominante. Si les pseudo-architectes, qui ne sont en réalité que des disâgneurs industriels galvaudant le titre, font de tels choses tellement dépressiogènes, c'est bien parce qu'en face on a aussi des gens (dans le public comme dans le privé) qui n'ont absolument aucun goût, des technocrates dénué du moindre sens esthétique primaire, des espèces de reptiles à brasser des pépètes et des "utopies" à la con. Je conseille la deuxième vidéo sur l'urbanisme - moins la troisième qui présente certaines oeuvres discutables de l'architecte (mais il faut dire qu'il partait de loin).
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By Maurice
#146040 L'ouvrage que je lis est disponible à [url]http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k81645g[/url]

[img]http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k81645g/f4.highres[/img]

Contrairement à ce que je pensais, il s'agit d'un recueil de nouvelles, de nouvelles poétiques plus précisément. Rien à voir avec le Barrès de 1914.

De ce que je ressens, on baigne en plein décadentisme, qui n'est pas sans nous rappeler notre époque actuelle. Décadence d'une France qui se sent déjà faible, d'une faiblesse justifiée par la débâcle de 1870, où les écrivains sont soumis au genre de l'époque, la poésie, et se perdent dans un sensualisme spiritualisé, à la suite d'un Baudelaire, d'un Verlaine, d'une spiritualité qui confine parfois au néant, comme chez Mallarmé. On baigne dans du Sang, de la Volupté et de la Mort, dans les questions des amours hors-norme, mais sans son côté socialisard bureaucratique qui cherche à faire rentrer tout ça dans le moule d'une normalité post-orwellienne absolument insupportable.

Amours nécessairement stériles, qui côtoient effectivement la mort, qui conduisent à la mort, dans une volupté toujours présente en filigrane, d'une volupté élitiste aussi : car on est aussi dans une sexualité comme éthérée, une sexualité où un baiser peut entraîner la mort, pour peu qu'elle côtoie la plus intense des dévotions espagnoles.

Amours platoniciennes assurément : nos âmes ne sont sur terre et n'aiment qu'en tant que cela les amènent à découvrir la stérilité des amours terrestres, semble-t-il, sauf en ceci qu'elles sont la révélations qu'il existerait des trésors dans l'au-delà.

Amours d'une époque si peu étudiée (de toute façon, qu'étudie-t-on maintenant en Histoire ?), capable de donner ça :

[img]http://artifexinopere.com/wp-content/uploads/2011/04/Rolla_buste.jpg[/img]

De ce que j'ai compris de la première nouvelle - que je devrai relire et que je déconseille en première lecture, même si elle donne son ton à l'ouvrage - nous parcourons l'Espagne entre sensualité (l'Andalousie) et spiritualité (la Castille) en suivant un trio amoureux : un Français, un espagnol et sa demie-soeur... tout un programme.
Les deux suivantes : le très joli conte "Les deux femmes du bourgeois de Bruges". et l'incroyablement sublime mais complètement artificiel "Un amour de Thulé", malheureusement absent de la première édition (je possède une édition de 1910), un Amour de 8 ans de volupté, où les amants cachés de l'Avenue Montaingne épuisés, las d'eux-mêmes, mais toujours en état d'adoration, où la femme part en Extrême-Orient provoquer de là un dernier soupir...

Il est possible que l'auteur mérite une entrée à part, si je continue à lire de lui des choses comme :

"Les jeunes filles nous paraissent une chose très compliquée, parce que nous ne pouvons nous rendre assez compte qu'elles sont gouvernées uniquement par l'instinct, étant de petits animaux sournois, égoïstes et ardents".

Ma curiosité m'a poussé à aller du côté de sa correspondance avec Rachilde. Il semble qu'il se soit agi là d'une drôle de relation : Rachilde semblant se sentir plus homme que femme et cherchant à féminiser Barrès. Il va me falloir lire non seulement la correspondance entre ces deux-là mais encore L'Homme Vénus de Rachilde, préfacé par Barrès, et dont les précédentes lignes en sont extraites. Ca tombe bien, les deux sont disponibles sur internet.

Oui... une époque capable de donner ce genre de trésor, qui illustre presque mon "Amour de Thullé", ne peut pas ne pas être inintéressante (tout ce site n'est-il pas dans ce tableau ?) :

[img]http://artifexinopere.com/wp-content/uploads/2011/04/GervexHenri_Rolla.jpg[/img]
(Henri Gervex : Rolla)