Avoir une vie stylée

Modérateurs: animal, Léo

ByOxymore
#42278 se font de la poésie une idée si vague qu'ils prennent ce vague pour l'idée même de la poésie."

Paul valéry.

Remédions y.

Je me sens d'humeur mélancolique ces jours ci. Et donc j'ai envie de vous faire partager quelques poèmes. Si des gens se sentent de compléter ce topic, c'est avec grand plaisir - sauf le premier qui me met Tu seras un homme de Kipling. Celui là se fera émasculer.

Comme d'habitude, veillez à ne pas polluer ce topic de commentaires banals.

[size=150]Ce ne peut être qu'un deuil[/size]


Dans ce petit lit - presque un lit d'enfant - mourut la Droste.
(On peut le voir dans son musée de Mersbourg)
sur ce divan mourut Hölderlin chez un menuisier dans une tour,
Rilke, George moururent sans doute dans des lits d'hopitaux suisses,
A Weimar les grands yeux noirs de Nietzsche
reposèrent sur un oreiller blanc
jusqu'à leur dernier regard -
tout cela, vieilleries à présent ou même n'existant plus, indifinissable, sans être
dans cette destruction indolore et éternelle.

Nous portons en nous les germes de tous les dieux,
le gène de la mort et le gène du plaisir -
qui les sépara: les mots et les choses,
qui les mélangea : les souffrances et le lit
sur qui ils finissent, bois et ruisseau de larmes,
pour de courtes heures un logis pitoyable.

Ce ne peut être un deuil. Trop loin, trop lointains
trop intouchables le lit les larmes,
ni non, ni oui,
naissance, douleur, foi - un ondoiment, anonyme,
un glissement furtif quelque chose de supra-terrestre
se mouvant dans le sommeil
remuait le lit et les larmes -
endors-toi!

Gottfriedd Benn
Modifié en dernier par Oxymore le Jeu Mar 27, 2008 10:49 pm, modifié 3 fois.
ByOxymore
#42279 Imageons pour la suite. Voilà un aster :

[img]http://isaisons.free.fr/aster2.jpg[/img]

Gottfried Benn était un médecin. Il a travaillé dans une morgue ( Précision nécessaire, elle montre qu'on n'a pas affaire ici à un Lautréamont bis)

[size=150]Petit aster[/size]


Un livreur de bière noyé fut hissé sur la table
Quelqu'un lui avait coincé entre les dents
un aster couleur de lilas clair et d'ombre.
Lorsque parti de la poitrine
et sous la peau
j'excisai le palais et la langue
avec un long couteau
je dus l'avoir heurté car il glissa
sur le cerveau posé à coté.
Je l'enfouis dans la cage thoracique
Parmi la laine de bois
quand on se mit à recoudre.
Bois dans ton vase jusqu'à plus soif !
Repose doucement
Petit aster.

Gottfried Benn
ByOxymore
#42280 [size=150]Ozymandias[/size]

J’ai rencontré un voyageur venu d’une terre antique
Qui disait : « Deux immenses jambes de pierre sans le tronc
Se trouvent dans le désert. Près d’elles, sur le sable,
Sombrant à moitié, un visage brisé est allongé, dont les sourcils sont froncés,

Et les lèvres plissées, et qui sourit froidement sur commande,
Ce qui montre que son sculpteur a bien compris ces passions,
Dont survivent encore, empreintes sur ces choses sans vie,
La main qui s'est moquée d'elles et le cœur qui les a nourrit,

Et sur le piédestal ces mots apparaissent :
'Mon nom est Ozymandias, Roi des Rois :
Contemplez mes œuvres, Ô vous les puissants, et désespérez !'

Rien à côté ne reste. Autour de la décomposition
De cette colossale épave, illimitée et nue,
Seul les sables plats s'étirent au loin. "

Percy Bysshe Shelley


Et pour les amateurs de VO, la VO :
[size=150]
OZYMANDIAS of EGYPT

[/size]

I met a traveller from an antique land
Who said:—Two vast and trunkless legs of stone
Stand in the desert. Near them on the sand,
Half sunk, a shatter'd visage lies, whose frown
And wrinkled lip and sneer of cold command
Tell that its sculptor well those passions read
Which yet survive, stamp'd on these lifeless things,
The hand that mock'd them and the heart that fed.
And on the pedestal these words appear:
"My name is Ozymandias, king of kings:
Look on my works, ye mighty, and despair!"
Nothing beside remains: round the decay
Of that colossal wreck, boundless and bare,
The lone and level sands stretch far away.
By Da_FunK
#42292 Pour suivre (ou poursuivre, comme bon vous semblera) sur la mélancolie :

[img]http://rosemarie.dubreucq.free.fr/IMG/anemone_pas_a_pas.jpg[/img]

L'anémone et l'ancolie
Ont poussé dans le jardin
Où dort la mélancolie.
Entre l'amour et le dédain.

Guillaime APOLLINAIRE
ByBluesSpencer
#42302 Rose is a rose is a rose is a rose
Loveliness extreme.
Extra gaiters,
Loveliness extreme.
Sweetest ice-cream.
Pages ages page ages page ages.


Gertrude Stein - Sacred Emily - 1913
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By Stéphane
#45359 Je suce celui-ci comme un sucre d'orge depuis 3 jours déjà


SHE walks in beauty, like the night

Of cloudless climes and starry skies,

And all that's best of dark and bright

Meets in her aspect and her eyes;

Thus mellow'd to that tender light

Which Heaven to gaudy day denies.

(Byron)
By Tom
#45365 Forêt marine à l'aurore,
touffue et trempée de vent,
j'entre et je suffoque en toi.

[size=150]Philippe Jaccottet[/size], L'ignorant

Il faut le lire à haute voix (bon, ils faudrait tous les lire à haute voix), pour saisir déjà la façon dont son jeu de sonorités mime ses mots, même s'il y a d'autres choses à deviner encore au delà.

(Et pour ceux qui comme moi prendraient un mois à s'en rendre compte seuls, c'est un Haïku, bien evidemment...)
By raulaenya
#45465 À une passante

La rue assourdissante autour de moi hurlait.
Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,
Une femme passa, d'une main fastueuse
Soulevant, balançant le feston et l'ourlet;

Agile et noble, avec sa jambe de statue.
Moi, je buvais, crispé comme un extravagant,
Dans son oeil, ciel livide où germe l'ouragan,
La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.

Un éclair... puis la nuit! — Fugitive beauté
Dont le regard m'a fait soudainement renaître,
Ne te verrai-je plus que dans l'éternité?

Ailleurs, bien loin d'ici! trop tard! jamais peut-être!
Car j'ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,
Ô toi que j'eusse aimée, ô toi qui le savais!

— Charles Baudelaire
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By wednesday
#48506 Je relance ce sujet avec les quinze premiers vers de "The Waste Land" de Thomas Stearns Eliot. Ces vers forment le début de la première partie du poème...

[img]http://fc06.deviantart.com/fs12/f/2006/338/5/8/Grey_Sky_by_fullmetalredrose.jpg[/img]

[quote]I : THE BURIAL OF THE DEAD

APRIL is the cruellest month, breeding,
Lilacs out of the dead land, mixing
Memory and desire, stirring
Dull roots with spring rain.
Winter kept us warm, covering
Earth in forgetful snow, feeding
A little life with dried tubers.
Summer surprised us, coming over the Starnbergersee
With a shower of rain; we stopped in the colonnade,
And went on in sunlight, into the Hofgarten,
And drank coffee, and talked for an hour.
Bin gar keine Russin, stamm' aus Litauen, echt deutsch.
And when we were children, staying at the archduke's,
My cousin's, he took me out on a sled,
And I was frightened. He said, Marie,
Marie, hold on tight. And down we went.
In the mountains, there you feel free.
I read, much of the night, and go south in the winter.

Je vous conseille vivement de lire la suite [url=http://www.bartleby.com/201/1.html]ici[/url]
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By Use Your Illusion
#48537 [quote="pasK"]Le Fou et la Vénus

Quelle admirable journée! Le vaste parc se pâme sous l'oeil brûlant du soleil, comme la jeunesse sous la domination de l'Amour.

L'extase universelle des choses ne s'exprime par aucun bruit; les eaux elles-mêmes sont comme endormies. Bien différente des fêtes humaines, c'est ici une orgie silencieuse.

On dirait qu'une lumière toujours croissante fait de plus en plus étinceler les objets; que les fleurs excitées brûlent du désir de rivaliser avec l'azur du ciel par l'énergie de leurs couleurs, et que la chaleur, rendant visibles les parfums, les fait monter vers l'astre, comme des fumées.

Cependant, dans cette jouissance universelle, j'ai aperçu un être affligé. Aux pieds d'une colossale Vénus, un de ces fous artificiels, un de ces bouffons volontaires chargés de faire rire les rois quand le Remords ou l'Ennui les obsède, affublé d'un costume éclatant et ridicule, coiffé de cornes et de sonnettes, tout ramassé contre le piédestal, lève des yeux pleins de larmes vers l'immortelle Déesse.

Et ses yeux disent : -- « Je suis le dernier et le plus solitaire des humains, privé d'amour et d'amitié, et bien inférieur en cela au plus imparfait des animaux. Cependant je suis fait, moi aussi, pour comprendes et sentir l'immortelle Beauté! Ah! Déesse! ayez pitié de ma tristesse et de mon délire! »

Mais l'implacable Vénus regarde au loin je ne sais quoi avec ses yeux de marbre.


Charles Baudelaire

[quote="Neoxys"] J'aimerai aussi savoir si on peut-être poète sans être faible avec les femmes.

[quote="pasK"]Je comprends pas trop ce que tu entends par là.. c'est une force que d'être poète, donc par définition ça te procure un avantage sur ceux qui ne le sont pas.
Ca n'engage que moi bien sur.. Baudelaire voyait dans la poèsie une sorte de malédiction, cf L'Albatros.

Un autre poème que j'apprècie, Baudelaire toujours, Petits poèmes en prose toujours :

Le Chien et le Flacon

"- Mon beau chien, mon bon chien, mon cher toutou, approchez et venez respirer un excellent parfum acheté chez le meilleur parfumeur de la ville."
Et le chien, en frétillant de la queue, ce qui est, je crois, chez ces pauvres êtres, le signe correspondant du rire et du sourire, s'approche et pose curieusement son nez humide sur le flacon débouché; puis, reculant soudainement avec effroi, il aboie contre moi, en manière de reproche.
"- Ah! misérable chien, si je vous avais offert un paquet d'excréments, vous l'auriez flairé avec délices et peut-être dévoré. Ainsi, vous-même, indigne compagnon de ma triste vie, vous ressemblez au public, à qui il ne faut jamais présenter des parfums délicats qui l'exaspèrent, mais des ordures soigneusement choisies."

[quote="Fladrif"]
[quote]
J'aimerai aussi savoir si on peut-être poète sans être faible avec les femmes.


Oui, il n'y a pas incompatibilité.

Je pense à André Breton, chantre du Surréalisme, écrivain et poète de son état, qui a closé sa future femme en street pick-up dans le secteur des Halles des années 30.

Question séduction, on trouve le meilleur comme le pire chez les poètes. Mais l'association poète = AFC est inapropriée, sauf à considérer que tous les Bob qui remplissent leurs blogs et les forums de doctissimo de vers sirupeux et insipides sont des poètes.



[quote="Woken"][quote]Question séduction, on trouve le meilleur comme le pire chez les poètes. Mais l'association poète = AFC est inapropriée, sauf à considérer que tous les Bob qui remplissent leurs blogs et les forums de doctissimo de vers sirupeux et insipides sont des poètes.

Tout à fait d'accord avec toi Fladrif. Ce n'est pas parcqu'on a écrit un poème que l'on est poète...

[quote]
Ainsi, vous-même, indigne compagnon de ma triste vie, vous ressemblez au public, à qui il ne faut jamais présenter des parfums délicats qui l'exaspèrent, mais des ordures soigneusement choisies."

Terrible ce vers !
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By Renovatio
#48540 [img]http://innomineveritas.free.fr/Seguidille%20-%20Verlaine.jpg[/img]
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By Sparda
#48547
    [size=150]Au Lecteur[/size]


    [img]http://dl.lib.brown.edu/baudelaire/img/fleursdumal/pari001622_308px.jpg[/img]


    La sottise, l'erreur, le péche, la lésine,
    Occupent nos esprits et travaillent nos corps,
    Et nous alimentons nos aimables remords,
    Comme les mendiants nourrissent leur vermine.

    Nos péchés sont têtus, nos repentirs sont lâches;
    Nous nous faisons payer grassement nos aveux,
    Et nous rentrons gaiement dans le chemin bourbeux,
    Croyant par de vils pleurs laver toutes nos taches.

    Sur l'oreiller du mal c'est Satan Trismégiste
    Qui berce longuement notre esprit enchanté,
    Et le riche métal de notre volonté
    Est tout vaporisé par ce savant chimiste.

    C'est le Diable qui tient les fils qui nous remuent.
    Aux objets répugnants nous trouvons des appas;
    Chaque jour vers l'Enfer nous descendons d'un pas,
    Sans horreur, à travers des ténèbres qui puent.

    Ainsi qu'un débauché pauvre qui baise et mange
    Le sein martyrisé d'une antique catin,
    Nous volons au passage un plaisir clandestin
    Que nous pressons bien fort comme une vieille orange.

    Serré, fourmillant comme un million d'helminthes,
    Dans nos cerveaux ribote un peuple de démons,
    Et quand nous respirons, la Mort dans nos poumons
    Descend, fleuve invisible, avec de sourdes plaintes.

    Si le poison, le poignard, l'incendie,
    N'ont pas encore brodé de leurs plaisants dessins
    Le canevas banal de nos piteux destins,
    C'est que notre âme, hélas! n'est pas assez hardie.

    Mais parmi les chacals, les panthères, les lices,
    Les singes, les scorpions, les vautours, les serpents,
    Les monstres glapissants, hurlants, grognants, rampants,
    Dans la ménagerie infâme de nos vices,

    Il en est un plus laid, plus méchant, plus immonde!
    Quoiqu'il ne pousse ni grands gestes, ni grands cris,
    Il ferait volontiers de la terre un débris
    Et dans un bâillement avalerait le monde.

    C'est l'Ennui!- L'oeil chargé d'un pleur involontaire,
    Il rêve d'échafauds en fumant son houka.
    Tu le connais, lecteur, ce monstre délicat,
    Hypocrite lecteur, mon semblable, mon frère!

    Charles Baudelaire
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By Sparda
#48566 Je m'exprime à nouveau pour vous faire partager un lien que j'avais découvert il y a quelques années. C'est une mise en animation d'un poème de Baudelaire : L'horloge. J'espère que cela vous plaira.
http://www.perte-de-temps.com/

[size=75]Comme je sens que certains vont galérer je vous informe qu'il faut cliquer sur la petite horloge en haut à droite pour passer d'une page à l'autre.[/size]
By Mara
#49395 Une poétesse, cela manquait à ce florilège!
Catherine Pozzi:

"Mais le futur dont vous attendez vivre
Est moins présent que le bien disparu.
Toute vendange qu'à la fin il nous livre,
Vous la boirez sans pouvoir qu'être ivre
Du vin perdu

J'ai retrouvé le céleste et sauvage
Le paradis où l'angoisse est désir,
Le haut passé qui grandit d'âge en âge,
Il est mon corps et sera mon partage
Après mourir"

Je vous fais grâce des autres strophes.
By lolly
#49413 Je vous propose un de mes préférés...

[size=150]Don Juan[/size]

[quote]Tu ne fus rien, pas même un cœur de peu de temps,
Un jeu de femmes nues sur ta pensée d’amant
Mêle de lourds cheveux ouverts comme un automne.
La roue du paon qui tourne en ton cœur monotone.

On te respire comme un lit. Tu crois qu’on t’aime.
On te boit, ô Juan, sur ta bouche d’oubli.
On se couche sur toi pour rêver à soi-même,
On te perd, on te gagne aux dés, comme un pari.

Tu es tout ocellé de tristes bouches peintes,
Tu es tout traversé d’appels et sourd de plaintes
Qui ont crié sur toi comme à travers la mer.
Un jour, tu seras vieux, ta chair sera la terre
Où dorment trop de mortes.
Tu seras ce hochet du plaisir qu’on emporte...

Sais-tu, malgré ton feu, combien court est ton temps,
Que des femmes sont nées dont tu n’es pas l’amant,
Que blessé mille fois aux dents de tes mortelles,
Tu t’en iras, Juan, juste avant la plus belle.

Andrée Sondenkamp

[size=75]Je tiens tout de même à préciser qu'il n'y a aucune attaque personnelle, c'est juste un poeme que j'apprécie beaucoup...[/size]