Modérateurs: animal, Léo

By Blusher
#5328 Je suis tombe sur un article qui offre une illustration interessante du paradoxe du comedien. Il y est question de Nicolas Sarkozy mais je fais confiance au discernement des membres du Spike Club our tirer de cet article la subsatntifique moelle, notez la representation de Dom Juan au debut de l'article, plutot que de transformer une conversation interessante en un debat sur tel ou tel candidat aux elections presidentielles.

Ces petites precautions etant prises, voici l'article:

http://medias.blog.lemonde.fr/

[quote]Nicolas Sarkozy ou le paradoxe du comédien

En meeting ce week-end en Provence, Nicolas Sarkozy a tenu à voir la mère de Ghofrane Haddaoui, cette jeune fille sauvagement assassinée à coups de pierre il y a trois ans par deux jeunes gens qui viennent d’être condamnés pour ces faits à vingt-trois ans de réclusion criminelle. Le procès des deux assassins, mineurs au moment du crime, s’était tenu à huis-clos. Ce ne fut pas le cas de la rencontre entre le candidat et la mère de la victime: c’est devant une forêt de caméras, d’appareils photos et de micros qu’il a étreint la main de cette dernière avec des mots de réconfort, avant que de lui promettre, s’il est élu, le vote d’une loi plus répressive sur les multirécidivistes.
L'intention électoraliste qui a présidé à cette entrevue est peu douteuse; la mise en scène à destination des journalistes, flagrante; le coup médiatique, patent; mais cela signifie-t-il pour autant que Nicolas Sarkozy s’est comporté en l’occasion de manière cynique? Rien n’est moins évident si l’on accepte la définition du cynisme, précise et technique, donnée par le sociologue Erving Goffman : “Quand l’acteur ne croit pas en son propre jeu, on parlera de cynisme par opposition à la sincérité qu’on réservera aux acteurs qui croient en l’impression produite par leur propre représentation”. http://fr.wikipedia.org/wiki/Erving_Goffman
http://fr.wikipedia.org/wiki/Erving_GoffmanGoffman vise à distinguer là “deux possibilités extrêmes” dans l’attitude que nous pouvons prendre en public, qui forment, dit-il, “un continuum“: d’un côté, cultiver une très grande “distance au rôle” que nous sommes en train de jouer (cynisme); de l’autre, nous retrouver “complètement pris par [notre] propre jeu” et “sincèrement convaincus que l’impression de réalité que [nous] produi[sons] est la réalité même” (conviction).
Goffman a en quelque sorte traduit en des concepts opératoires pour la sociologie, le propos central de Diderot dans son Paradoxe sur le comédien. Jusque dans cette remarque: “Il va de soi que l’acteur cynique, en dépit de son détachement de professionnel, peut tirer de son hypocrisie une jouissance personnelle résultant http://michel.balmont.free.fr/pedago/ac ... adoxe.html
http://michel.balmont.free.fr/pedago/ac ... oxe.htmldu
sentiment de domination spirituelle que peut lui procurer la possibilité de jouer à volonté avec une situation que son public doit prendre au sérieux”. Toutefois, Goffman se démarque de la conception de Diderot sur un point d’importance: il n’oppose pas radicalement sincérité et cynisme. Ainsi, même une fois la représentation de soi commencée, l’acteur cynique peut, sans susciter nécessairement une rupture de représentation, basculer vers la conviction. Car il existe, dans toute interaction en public, des mouvements “de va-et-vient entre le cynisme et la sincérité”, des “points intermédiaires” et des “mélanges”.

Voilà pourquoi, au moment où il saisit la main de la mère de Gophrane, Nicolas Sarkozy n’est pas nécessairement cynique. Il peut ressentir, dans ce geste compassionnel que la situation qu’il a provoquée, appelle, une réelle émotion, une émotion non feinte, qui affecte jusque sa voix et son corps, et le fait devenir soudain “dupe de son propre jeu”. Bien entendu, dans les situations qui ont précédé (lorsque la rencontre a été décidée et programmée

avec son staff de communication) comme dans les situations qui suivront (lorsque seront évaluées avec ce même staff les reprises médiatiques de l’évènement et ses effets sur les sondages), le cynisme (au sens goffmanien) redeviendra l’attitude dominante chez ce professionnel de la politique. (Quoique même alors, toute trace d’affectivité et de sincérité n’aura pas nécessairement disparu !).
Voilà qui suggère que s’il est vrai que la professionnalisation politique conduit les candidats à devoir cultiver toujours plus de “distance au rôle” et à ne produire en public

que des gestes savamment calculés et des “impressions maîtrisées”, elle est cependant incapable de faire disparaître complètement la croyance de l’acteur en son propre jeu. Au fond, hommes et femmes politiques n’ont nullement besoin, pour respecter leurs objectifs instrumentaux, d’être cyniques et “distants au rôle” jusqu’au bout. Cela serait même contre-productif. C’est-à-dire aussi: peu professionnel.