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Modérateurs: animal, Léo

By Pascin
#133614 Les souvenirs de ma rencontre avec Esther ont cet air brumeux qu'ont les rêves quand on se les remémore quelques heures après le réveil. J'étais comme dans un état second ce jour là. Alors que je savourais une excellente tequila, un serveur a voulu étaler son incompétence et a mis un de ces airs qui s’étale sur toutes les ondes. Nous étions pourtant au Ballroom, un lieux tamisé, fin, secret au bon sens du terme, et j’avais cru jusque là certains lieux exemptés du bruit. Mais l’époque confond le bruit, et le son, quelle différence pourrait dire le dernier homme ? La plupart des gens seront bouleversés par une musique qui les entraine, ma sensibilité envers la musique va jusqu'à être chamboulé par la médiocrité musicale.

J’étais en train de contempler le sac de ma nouvelle acquisition, une paire de Camina d’une patine sublime, à rendre jaloux une commode Louis XV. Les yeux sur le parquet, je voyais chaque paire de chaussures défiler, me révélant plus surement la personnalité de chacun que ne le ferait leurs visages. Les souliers permettent à coup sur de différencier la canaille du gentilhomme. Au milieu de cette réalité trop réelle, je vis deux chaussures à talon blanches avec ce petit nœud qui donne par avance un air de cadeau à celle qui les porte. La dureté de leurs claquements au sol contrastait avec sa peau laiteuse, et dont je sentais rien qu’au regard la douceur. Je gardais malgré tout mon sang froid et attendait que ces pieds finissent de passer pour me retourner, prétextant quelque chose à chercher dans ma veste.

En voyant ses épaules menues, je la crus sortie d’une peinture. A la confusion musicale se succédait une poussée d'illusion comme on parlerait d'une poussée de fièvre, la température vous monte a la tête et on titube, ne sachant plus très bien ce qu'on fait. Oui, Esther m'a fait cet effet la la première fois. Je la vis s’installer à une table de moi. Elle était seule, attendait probablement quelqu’un et se tachait de se donner une contenance en tapotant bovinement sur son clavier. Si les femmes passaient autant de temps à observer leur environnement qu’à vouloir paraitre occupées, elles seraient toutes artistes. C’est pour ca qu’il y en a si peu.
La table était à coté de la caisse, ce qui avait le double avantage de me faire sortir de ce lieu à la sonorité misérable et de me faire passer à coté d’elle. Je me levais, enfilais ma veste d’une manière sexuée, prit le sac contenant mes nouvelles Carmina. Bien que je sois droitier, je fis en sorte de le laisser du coté gauche, pour qu’elle le voit. Si aborder dans un bar est difficile, se donner les chances d’être normal permet de rassurer. Au moins je ne risquais pas de passer pour Patrick Bateman avec mon sac Carmina.

En me rapprochant, je me rendis compte que son haut rouge ne mettait pas en valeur sa peau de nacre. Elle ignorait les couleurs qui lui sied ; on dit que les femmes savent mieux s'habiller que les hommes, c'est vrai, à ceci près qu'elles ignorent encore les tonalités de couleur, et qu'un rouge peut avoir la profondeur d'une toile de Rubens, ou celle d'une Audi. Le sien, de rouge, ne lui allait tout simplement pas. Je lui fit la remarque. Quand elle tourna la tête vers moi, je fus aspiré dans ses yeux, dont le vert rappelait les lagons de mon dernier voyage en Océanie. Mais si ses yeux rappelaient la mer, à cet instant son visage rappelait celui du merlan frit. Je lui expliquais que le look était une de mes passions, puis prit le temps de jouer avec elle en lui montrant quatre rouges différents parmi les habits de la clientèle. Si je lui indiquais les deux premiers, elle trouva d’elle-même les suivants, ce qui indiquait qu’elle rentrait dans mon univers. Puis nous parlâmes un peu de nos vies, puisqu’il faut bien le faire. Elle menait une vie de bureau. C’était là sa soirée hebdomadaire. Evidemment, elle prit soin de mentionner qu’elle sortait souvent. Quand je lui expliquais que je travaillait en freelance, elle eut une moue bizarre. J’hésitais à lui dire la phrase de Nietzsche « Ceux qui n’ont pas les deux tiers de leur temps pour eux même sont des esclaves. » Je n’aurais fait qu’éveiller sa jalousie.
Quand elle me demanda si j’étais sur le point de partir, j’ignorais une première fois. Quand elle reposa la question, je lui répondais que oui, je ne supportais pas la musique qui passait ce soir. Elle me répondit qu’elle, si. Les femmes aiment les rythmes, mais dans le fond n’aiment pas la musique. Elle insista pour que je reste un peu, une amie allait la rejoindre. Le repli s’imposait donc. Je pris son numéro et fit sonner le sien par erreur. Le délire de la fièvre faisait toujours son effet. Je la complimentais sur sa fraicheur. Au moment de lui faire la bise, je mis ma main sur son épaule. Elle était un peu moite, comme une éponge après la vaisselle.
Quand je passais devant la terrasse, je la vis faire la bise à une amie. Mon sens du timing était bon.
Je croyais la soirée achevée, quand je l'entendis crier mon prénom. Je la laissais crier deux, trois fois, avant de me retourner et de revenir à mon désir. Madame voulait que je reste, me présenter à des " amies", ce qui signifie dans la bouche d'une jeune citadine me faire valider en l'instant par ses complices. Les filles ne prennent même plus la peine d'attendre. Je laissais transparaître un air de malice, et d'agacement, et dit je ne pouvais pas : j'avais promis à un vieil ami de venir chez lui écouter du Monk ( Ruby My Dear ) sur un matos qui, de ses propres dires, n'avait aucun équivalent sur Paris.
Ainsi je rebroussais chemin, faisant volte face, en la laissant émietter avec ses amies des suppositions et rires trop bruyants pour être sincères.

A suivre.