- Mar Nov 04, 2008 1:09 pm
#62120
Je vois que ce film attire les foules et déchaîne les passions
Mais j'avais promis une critique. La voici. Tant pis si elle ne sert qu'à moi.
Le film ne passe plus dans les grands cinémas industriels, mais on peut encore le trouver ailleurs, notamment là où je suis allé le voir.
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La frontière de l'aube
En franchissant la porte du [url=http://www.lechampo.com/programme.php?page=programme#programme]Champollion[/url] ce soir-là, j'étais persuadé que ce que j'allais voir serait spécial. A défaut du Génie, que l'on ne trouve jamais nulle part quand on le cherche, l'Original n'est jamais bien difficile à débusquer si l'on prend la peine de quitter les sentiers battus.
La frontière de l'aube, à laquelle j'avais confié le rôle délicat d'achever magistralement une excellente soirée de dîner et de marche nocturne avec un ami, n'était assurément pas un film comme on en voit beaucoup trop à l'affiche depuis des années. La bande-annonce, prometteuse, m'avait alléché par de l'émotion, du noir et blanc, et des prises de vue d'un autre âge ; voilà qui suffisait pour me donner envie de tenter l'expérience, de quitter l'asphalte de la grand route artificielle et saturée pour m'engager sur de déserts chemins de traverse.
Quand certains allaient voir James Bond dégainer son automatique, d'autres Mesrine son fusil à pompe, j'aspirais à plus de sensibilité.
En un sens, je n'ai pas été déçu ; ce qui est, signalons-le, relativement rare. Les choix esthétiques de Philippe Garrel sont tous excellents et remarquablement pensés. A l'aide de bons jeux de contrastes, de Paris revêtue de ses charmes les plus intemporels, et d'une atmosphère de délabrement poétique, le réalisateur gratifie son travail d'une beauté nostalgique puissante et d'une troublante touche de subtile folie.
Fort de ces réussites, le scénario s'éveille doucement, et s'étire paresseusement. Puis, il rejoint l'émotion et la supporte progressivement, assisté de prises de vue intimistes. Pas de plans larges, pas de caméra active : il s'agit de portraits, les portraits de jeunes gens amoureux, fous et perdus. Les acteurs, irréprochables dans leur rôle, campent avec brio les visages d'hommes et de femmes dont chaque trait est un hymne à la vitalité.
Pourtant, on n'accroche pas. A vouloir trop en faire, l'émotion manque le but. Présente à chaque seconde, son trop-plein se déverse sans interruption, trop loin du coeur pour le toucher. On assiste en spectateur aux magnifiques expressions de douceur, de tristesse, d'amour et de haine, et on regarde sans réellement prendre parti évoluer des êtres humains trop égoïstes dans leurs ressentis et auxquels on ne s'identifie pas.
Pris dans le piège que l'on m'a dit courant dans le cinéma français de haute volée, Philippe Garrel exhibe de façon trop évidente son autosatisfaction intellectuelle. Emotion trop présente ou pervertie ; au bout du compte, peu importe.
J'ai quitté le chemin de traverse toujours aussi désert, et j'ai rejoint l'asphalte. Content de mon détour, mais empreint de regrets.
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Il s'agit d'un film plus complexe que la moyenne, je ne considère pas du tout mon avis comme seule réalité possible. L'ami qui l'a vu avec moi, sensiblement plus âgé, s'est reconnu plus facilement dans le personnage joué par Louis Garrel du fait de sa situation personnelle, et a été plus sensible à la psychologie de celui-ci, donc à l'émotion qui s'en dégage.
A conseiller pour les + 25 ans, peut être.
En tout cas, et même si je ne le fais pas souvent, c'est l'une des critiques les plus difficiles que j'ai eu à écrire. Rien que pour ça, ça valait le coup.