- Jeu Jan 21, 2010 12:07 am
#88841
Yo.
Quel dommage qu'un sujet si intéressant ait été lâché (1.), pollué (2.), négligé (3.)...
Je viens juste de terminer Le journal d'un Séducteur, je vous le recommande, lire ceci ou les journaux intimes du site, c'est du pareil au même sauf que Kierkegaard est, je pense, mieux écrit et plus profond au niveau philosophique. désolé pour les écrivains du site - certains sont de vrais génies tout de même... Bref, en tant que préparatoire, je me suis fait une moyenne fiche word pour me rappeler de cette lecture, je vous en fait par, en espérant que ça vous inspirera un peu
Le journal d’un séducteur -
Søren Kierkegaard
Introduction :
Ce roman clôt la première partie de l’ouvrage Ou bien… ou bien qui traite de la philosophie des stades de la vie.
Kierkegaard distingue trois stades principaux: le stade esthétique, le stade éthique et le stade religieux. L’esthéticien est l’homme qui vit dans l’instant, dans le moment isolé ; l’éthicien est celui qui vit dans le temps, dans la continuité vitale – un moraliste ; le religieux est celui qui vit en rapport avec l’éternité. Pour les esthéticiens, la jouissance est le but de l’existence. Ils vivent dans l’instant et cherchent le plaisir dans l’instant. A ce stade, il s’agit de se garder de tout ce qui est lien et devoir, de planer au-dessus de l’existence, de ne toucher que par une tangente au cercle de la vie, d’éviter par exemple, l’amitié, le mariage, l’attachement à une profession. Toute répétition émousse le sentiment. Il faut constamment chercher le changement et prendre une attitude arbitraire en face des problèmes de l’existence. Le personnage qui découvre les écrits retranscrits dans Le Journal d’un séducteur décrit Kierkegaard dans sa jeunesse, mélancolique, de façon à la fois réaliste et poétique. Le personnage principal, Johannes, le séducteur, est, à bien des égards, le contraire : il aime la vie, c’est un homme fort et actif. Selon Kierkegaard, il y a différents types d’esthéticiens, symbolisés par Don Juan, Faust et Ahasvérus. Ils ont en commun de tous les tris être en dehors de l’éthique et de la religion. Don Juan représente la jouissance, Faust le doute et Ahasvérus le désespoir. Kierkegaard s’est apparemment inspiré d’un de ces camarades de classe, P-L Möller pour le personnage du séducteur.
Extraits :
[quote]« Je ne me reconnais guère. Devant les tempêtes de la passion mon esprit est comme une mer orageuse. Si quelqu’un pouvait surprendre mon âme en cet état, il aurait l’impression de voir une barque s’enfoncer à pic dans la mer, comme si dans sa précipitation terrible elle devait mettre le cap sur le fond de l’abîme. Il ne verrait pas qu’au haut du mât veille un marin. Forces frénétiques, échauffez-vous, mettez-vous en mouvement, ô puissances de la passion, même si le choc de vos la mes devait lancer l’écume jusqu’aux nuages, vous ne serez pas capables de vous élever au-dessus de ma tête ; je reste tranquille comme un roi des falaises. » p.48
[quote]« Damné hasard ! Je ne t’ai jamais maudite d’être apparue, je te maudis parce que tu ne te montres pas du tout. Ou serait-ce une nouvelle invention de Toi, être inconcevable, mère stérile de tout, la seule chose qui reste de cette époque où la nécessité donna naissance à la liberté et où la liberté se laissa duper pour rentrer dans le sein de sa mère ? Damné hasard ! Toi, ma seule confidente, seul être que je juge digne d’être mon alliée et mon ennemie, toujours identique malgré ta dissemblance, toujours inconcevable, toujours une énigme ! Toi que j’aime de toute mon âme sympathisante, toi à l’image de laquelle je me crée moi-même, pourquoi n’apparais-tu pas ? Je ne mendie pas, je ne te supplie pas humblement de te montrer de telle ou telle façon, car un tel culte serait une idolâtrie, et peu agréable pour toi. Je te provoque au combat, pourquoi ne te montres-tu pas ? Ou est-ce que le balancier de l’univers s’est arrêté, et que tu t’es jetée, toi aussi, dans les eaux éternelles ? Pensée terrible ! Le monde se serait arrêté d’ennui ! Damné hasard ! Je t’attends. Je ne veux pas te vaincre par des principes, ni par ce que des imbéciles appellent le caractère, non, je veux te rêver ! Je ne veux pas être un poète pour les autres ; montres-toi, je te crée en rêve, et je dévorerai mon propre poème, et ce sera ma nourriture. (…) Surprends-moi, je suis prêt, aucun enjeu, luttons pour l’honneur. Faites-moi la voir, montrez-moi une chance qui paraitra impossible, montrez-la-moi parmi les ombres du royaume des morts, je la ramènerai au jour, qu’elle me haïsse, me méprise, qu’elle soit indifférente envers moi, qu’elle en aime un autre, je n’ai pas peur ; mais remuez l’eau, interrompez le silence. M’affamer ainsi est une honte de ta part, toi qui pourtant t’imagines être plus forte que moi. » p. 52
[quote]« Quand au premier coup d’œil une jeune fille me fait une impression assez profonde pour provoquer l’image de l’idéal, en général la réalité n’est pas particulièrement désirable ; mais si elle le fait, si éprouvé qu’on soit, le bonheur vous accable presque toujours. A celui qui alors n’a pas une grande sureté de main et n’ose pas compter sur ses yeux et sur sa victoire, je conseillerai toujours de risquer l’attaque dès ce premiers état où, justement parce qu’il se sent accablé, il possède des forces surnaturelles ; car cet accablement est un mélange bizarre de sympathie et d’égoïsme. » p. 65
[quote]« Enfin, chacun doit connaître ses forces. Mais j’ai souvent été révolté de voir que même ceux qui sont doués se comportent avec tant de maladresse. Au fond, chez toute jeune fille victime d’amour d’un autre ou, plutôt, du sien propre, on devrait pouvoir discerner immédiatement, en la regardant, dans quel sens elle a été dupée. Un assassin rompu au métier porte toujours ses coups de la même façon, et une police experte reconnaît tout de suite l’auteur du crime en regardant la blessure. Mais où rencontre-t-on de tels psychologues ? Séduire une jeune fille signifie pour la plupart des gens : séduire une jeune fille, et tout est dit, et pourtant, tout un langage se cache dans cette pensée. » p. 113
[quote]« Ma fierté chevaleresque méprise les promesses. Je méprise un juge lorsqu’il arrache l’aveu d’un délinquant par la promesse de liberté. Un tel juge renonce à sa force et à son talent. Dans ma pratique s’ajoute encore le fait que je ne désire rien qui au sens le plus strict ne soit pas librement donné. Que les piètres séducteurs se servent de tels moyens ! Par surcroit, qu’est-ce qu’ils y gagnent ? Celui qui ne sait pas circonvenir une jeune fille jusqu’à ce qu’elle perde tout de vue, celui qui ne sait pas, au fur et à mesure de sa volonté, faire croire à une jeune fille que c’est elle qui prend toutes les initiatives, il est et il restera un maladroit ; je ne lui envierai pas sa jouissance. Un tel homme est et restera un maladroit, un séducteur, termes qu’on ne peut pas du tout m’appliquer. Je suis un esthéticien, un érotique, qui a saisi la nature de l’amour, son essence, qui croit à l’amour et le connaît à fond, et qui me réserve seulement l’opinion personnelle qu’une aventure galante ne dure que six mois au plus, et que tout est fini lorsqu’on a joui des dernières faveurs. Je sais tout cela, mais je sais en outre que la suprême jouissance imaginable est d’être aimé, d’être aimé au-dessus de tout. S’introduire comme un rêve dans l’esprit d’une jeune fille est un art, en sortir est un chef-d’œuvre. » p. 122
[quote]« L’amour cesse s’il n’y a pas de lutte. » p. 139
[quote]« J’aurais vraiment beaucoup d’intérêt à reproduire exactement mes conversations avec Cordélia. Mais je vois bien que c’est impossible ; car même si je réussissais à me souvenir de chaque parole échangée entre nous, il est naturellement impossible de rendre l’ambiance, qui au fond est le nerf de la conversation, la passion, principe vital de la conversation. » p. 174
[quote]« Si c’était possible j’aimerais bien être derrière Corélia quand elle reçoit une lettre de moi. Il me serait alors facile de vérifier à quel point elle parvient à la comprendre du point de vue strictement érotique. Les lettres, après tout, sont et seront toujours un moyen hors de prix pour faire impression sur une jeune file ; les mots écrits ont souvent une influence beaucoup plus grande que le verbe vivant. Une lettre est une communication pleine de mystère ; on commande la situation, on ne ressent pas la présence d’un tiers présent, je crois qu’une jeune fille préfère être toute seule avec son idéal, à certaines heures tout au moins, à celles justement où l’idéal a le plus de force en elle. » p. 201
[quote]« Pourquoi une telle nuit ne dure-t-elle pas plus longtemps ? Alectryon a bien pu s’oublier, pourquoi le soleil n’a-t-il pas assez de pitié pour faire comme lui ? Tout est fini pourtant, et je ne désire plus jamais le voir. Une jeune fille est faible quand elle a tout donné, - elle a tout perdu ; car l’innocence chez l’homme est un élément négatif, mais chez la femme c’est l’essence de sa nature. A présent toute résistance est impossible, et il n’est beau d’aimer que tant qu’elle dure, lorsqu’elle a pris fin, ce n’est que faiblesse et habitude. » Dernière page
Analyse critique :
Ce roman présente le séducteur, l’esthéticien sous la forme de Don Juan comme le voit Kierkegaard. Ce n’est pas un hédoniste invertébré, abruti et totalement inconscient de ses actes. A contraire, Kierkegaard met en avant le contrôle qu’a le séducteur sur ses actes sur le long terme et le court terme. Il montre que celui-ci sait, dès le début, où il veut en venir et comment il va s’y prendre. Ce séducteur, machiavélique et calculateur, tente de briser tous les carcans sociaux, ici entre autre les fiançailles, pour élever sa relation à un stade plus esthétique à son goût, où la fille se donne totalement, et où, finalement, il la laissera tomber car elle ne peut lui apporter aucune jouissance. Il est intéressant de voir que, si le livre se termine en effet par l’évocation de la défloration de Cordélia, tout le long du roman, le personnage retranscrit son contentement à voir Cordélia évoluer de la manière qu’il attend, comme un professeur, il se satisfait de l’évolution et de l’apprentissage de son élève. Il remplit parfaitement la maxime de Lana Turner : “A gentleman is simply a patient wolf.”. Du point de vue philosophique, Kierkegaard, à travers le séducteur, met en avant l’importance de l’instant présent tout comme du contrôle du flux temporel. Il montre ainsi que selon les esthéticiens, la vraie vie se situe dans l’instant présent, dans la jouissance de l’instant présent. Et que pour se faire, l’esthéticien doit opérer un jonglage permanent entre le long et le court terme, le hasard et ses prévisions, ses attentes et la réalité d’autrui, Kierkegaard semble aussi s'opposer aux "techniques" de drague proprement dîtes et aux "méthodistes" et "psychologues" et prône à ce niveau l' "esthéticien", l' "érotique", plus emphatique. A ce niveau – autrui – la force du type de séducteur mit en avant par Kierkegaard provient de sa compréhension d’autrui et de son empathie.
"Une personne qui n’a jamais commis d’erreurs n’a jamais tenté d’innover."
[Albert Einstein]