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By SanPé
#65387 Pouvez vous donner une définition simple du nihilisme ?

Un résumé - une série de citations - des exemples de points de vue face à une situation ?

Je viens de parcourir pas mal de pages sans vraiment trouver une réponse claire et objective.

Au plaisir.
By Mail-Moth
#65395 Il n'y a pas qu'un nihilisme. Il te faut distinguer entre le nihilisme politique (celui de Kirilov dans Les Possédés de Dostoïevski), qui prône la destruction systématique des institutions étatiques, et le nihilisme moral d'un Nietzsche, qui revient au constat de la mort de Dieu, autrement dit de la disparition des valeurs fondatrices de l'Occident - disparition qui doit cependant déboucher sur une refondation de la morale, libérée cette fois du joug du christianisme.

On pourrait aussi parler d'un nihilisme métaphysique ou religieux, voué à dénoncer comme une aberration le fait que quelque chose existe plutôt que rien et appelant à la conflagration universelle, mais je ne crois pas que ce soit le plus intéressant : le courant manque un peu d'actualité, et ceux qui s'en réclament aujourd'hui sont le plus souvent des guignols boutonneux qui voudraient bien que le monde finisse avant d'avoir à vivre en adultes.

J'en reviens aux deux précédents.

Le nihilisme politique s'exprimait au tournant du XXème siècle sous la forme des fameux "attentats anarchistes", dirigés contre les emblèmes et les grandes figures d'un capitalisme encore jeune ; plus tard il y aura Action directe, les FAR, etc., qui relèvent manifestement de la même idéologie. Aujourd'hui c'est l'affaire Coupat qui ressuscite dans l'opinion publique la peur ambiguë de l'activiste politique, qui use de violence contre un système vécu par beaucoup comme une source d'oppression. L'idée est simple : tout est pourri, donc détruisons tout, et rebâtissons autre chose à la place. En ce sens, du nihilisme à l'anarchisme et à la pensée révolutionnaire, il n'y a qu'un pas.

Pour le nihilisme moral, c'est autrement plus nébuleux. Pour aller vite, tu vas retrouver des traces plus ou moins évidentes de cette attitude dans le Futurisme des années 20 (et par suite dans le fascisme et le nazisme qu'il a partiellement influencés), et sans doute aussi dans des courants contemporains comme le trans- et le posthumanisme. La ligne reste la même : il n'existe pas de loi morale dans l'absolu ; s'attacher à des conceptions obsolètes est un frein à l'évolution de l'espèce humaine, laquelle est à réinventer de bout en bout. De là la porosité entre genres, la fascination pour le clonage, l'intelligence artificielle, la cybernétique, la génétique des idées (la mémétique)...

Quant aux citations, c'est Bakounine pour le premier, Nietzsche pour le second, une bonne session google et un peu de patience (autrement il y a le "We are nihilists ! We believe in nothing !" des ex-membres du groupe Autobahn dans The Big Lebowski, mais ça ne va pas faire ton affaire, hein.)
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By SanPé
#65413 Si je comprend bien, jusque là, les personnages que l'on apparente au nihilisme sont des extrémistes idéalistes (le mauvais coté de nihilisme donc).

La où je n'arrive pas à trouver de réponse c'est : qu'est ce que le nihilisme positif ?
By Mail-Moth
#65415 [quote]Si je comprend bien, jusque là, les personnages que l'on apparente au nihilisme sont des extrémistes idéalistes (le mauvais coté de nihilisme donc).
Dans le cas du nihilisme politique, ça me semble être le cas. Je dirais qu'ils ne sont jamais purement nihilistes d'ailleurs, ce dernier ne constituant qu'un passage par la violence nécessaire à l'établissement d'un monde neuf, qu'il soit fondé sur l'anarchie ou le socialisme.

[quote]La où je n'arrive pas à trouver de réponse c'est : qu'est ce que le nihilisme positif ?
Nihilisme positif ? Jamais entendu auparavant. Maintenant j'imagine que si tu prends le nihilisme comme une volonté brutale de faire table rase pour laisser émerger autre chose, sa visée finale peut être comprise comme positive. Comme l'est la force destructrice que symbolise Kali chez les Hindous : elle ravage le cosmos pour permettre sa recréation.

Cela dit, si tu avais ne serait-ce qu'une ou deux informations de plus sur cette notion de "nihilisme positif", à commencer par le contexte auquel elle serait attachée, on pourrait essayer de réfléchir là-dessus.
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By SanPé
#65417 [quote]- un nihilisme des forts (ou nihilisme apollonien), lorsque les croyances s'effondrent du fait qu'elles sont dépassées.

Selon Nietzsche, l'état normal du nihilisme, qui est la négation de l'être, est une manière divine de penser, en ce sens qu'elle est un rejet définitif de tout idéalisme (du nihilisme au sens faible) et de ses conséquences (la morale entre autres).

C'est précisément quand j'ai lu cette définition de la pensée de Nietzsche concernant la nihilisme sur Wikipédia que j'ai posé la question sur le forum.
By Mail-Moth
#65419 C'est ce que j'ai appelé nihilisme moral un peu plus haut ; ensuite je suppose qu'on peut trouver à cette dynamique des applications individuelles, en plus des manifestations collectives que je citais.

Cela me semble revenir, pour être aussi simple et concret que possible, à la prise de conscience progressive que tu n'es pas forcé de rester attaché à l'idée que tu te fais de toi-même - une idée pétrie de représentations et de lois morales héritées des autres, de tes parents, de la communauté au sens large - , que tu peux la jeter à bas pour faire enfin l'expérience de la liberté. Une liberté forcément terrible, cela dit : il n'est pas donné à tout le monde de vivre sans repères moraux, même artificieux, même édifiés sur des courants d'air.

Parce qu'il faut bien aller jusqu'au bout de ce que ça implique, cette libération : il n'y a plus de loi, plus d'interdits, d'aucune sorte. Pas de morale transcendante qu'on retrouverait enfin après s'être défait de la morale du troupeau. Cela donne de beaux personnages de fiction à la Tyler Durden, mais sorti du papier ou de la pellicule, qu'est-ce qu'on a, sinon des apprentis sociopathes qui s'illusionnent sur le degré de liberté qu'ils ont atteint ?
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By SanPé
#65423 Voilà ! merci ! c'est exactement le genre d'éclaircissement que j'attendais.

Pour caricaturer, une personne nihiliste (dans le sens positif) sortirait d'on ne sais où, totalement coupé du monde jusque là et vivrait selon ses propres jugement sans aucune influence ni référence.
By Mail-Moth
#65425 [quote="SanPé"]Pour caricaturer, une personne nihiliste (dans le sens positif) sortirait d'on ne sais où, totalement coupé du monde jusque là et vivrait selon ses propres jugement sans aucune influence ni référence.

Pas d'accord avec les italiques : une personne comme celle que tu décris serait seulement amorale ; le nihilisme implique à mon idée la volonté de s'opposer, de détruire, de jeter à bas, de retourner les choses au néant. Ensuite oui, l'issue serait la même.

Autre bon exemple de figure nihiliste, le Pierrot le fou de Godard. Je m'étonne d'ailleurs de ne pas le voir cité plus souvent ici. Hamlet aussi, dans une certaine mesure, mais ce serait une intuition un peu longue à justifier.