- Dim Oct 20, 2013 8:53 pm
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Two-blade knifeDécouvrir sa chambre ou comment faire retomber le soufflé en quelques secondes. Au deuxième étage d’un triste immeuble des années 80, un sol en plastique, et des stores en plastiques aussi, fermés. C’est pas vraiment ce que je m’imaginais. Mais le pire, ça reste tous ces petits détails. Des petits détails qui donnent l’impression qu’elle traine encore laborieusement son enfance et son adolescence avec elle.
Quelques heures auparavant, j’étais chez moi et m’apprêtai à avaler une omelette, j’ai jamais très faim avant les rencards. C’est là qu’elle m’a appelé.
« Je crois que je vais encore être en retard, je commence à peine à me préparer à manger.
-Tu en as pour combien de temps ?
-Au moins trois quarts d’heure, tu veux passer manger un morceau avant de sortir?
D’accord.
Bon, je mange une demie-omelette histoire de pouvoir honorer sa cuisine, je suis pas pressé. Je sors la bouteille de blanc du frigo, et direction le guet-apens. Je sonne chez elle, elle me fait monter et m’ouvre la porte. Et là, c’est la première fois qu’elle me déçoit. Elle n’est pas aussi belle que les autres fois. Elle n’a visiblement pas fait d’effort pour s’habiller : elle porte un jean quelconque et un débardeur blanc, quelconque lui aussi. Et ses cheveux sont attachés. Bien qu’elle soit très cordiale au moment de me faire entrer chez elle, j’ai l’impression qu’elle est devenue encore plus froide que lors de notre première rencontre.
Je me retrouve attablé en face d’elle, nous mangeons, buvons et bavardons un peu. Nous sommes tous les deux assez détendu et la conversation est fluide, tout se passait bien. La sensation de froideur laisse vite place à de la complicité et beaucoup de légèreté. Mais même si l’on rit beaucoup, qu’on se chamaille un peu, quelque chose me retient. Je n’arrive pas à la suivre dans tous ses jeux, certaines de ses opinions et de ses valeurs me déçoivent, même sa manière d’être me semble moins gracieuse. Deuxième déception donc.
Quoiqu’il en soit, une ou deux heures plus tard, après que nous ayons vidé la bouteille de vin, elle s’asseyait sur son lit et je l’y rejoignais. La conversation s’arrêta naturellement lorsque je l’embrassai. Et c’est allongés que nous avons commencé une conversation d’un autre genre. Le sexe donnait à Cass un autre visage. Elle se révélait plus sauvage, plus spontanée et plus ouverte. C’était une autre fille. Mais ce fut un changement de courte durée. Après quelques minutes allongés côte à côte à savourer notre montée d’endorphine, elle s’est levée, s’est enfermée dans la salle de bain et est revenue transformée : factuelle et distante. Je dois dormir, je suis crevée. Elle s’est couchée et a éteint la lumière. Sa petite transformation aurait dû me mettre la puce à l’oreille, et j’aurais peut-être dû me barrer. A la place je suis resté et j’ai très mal dormis. Je la quittais après le traditionnel café du lendemain matin. Tout enorgueillis par la nuit passée avec elle, je m’en allais chez moi le pas léger et un sourire béat au bout des lèvres. Je n’allais pas le garder longtemps, ce sourire.
Une leçon pour s’inventer un mirageJ’ai continué à voir Cass pendant un peu plus d’un mois. Nous nous voyions environ une fois par semaine, toujours à mon initiative. C’est après notre première nuit ensemble que les choses ont commencées à tourner au vinaigre. C’est dingue comme on tombe facilement dans le piège de l’excès de confiance qui suit cette première nuit. Ça ne se passe rarement mal, on pense avoir atteint le nec plus ultra de la connexion, et on se dit que le reste devrait suivre sans trop de problème. J’ai essayé de ne pas tomber dedans, parce que je le voyais venir. Mais même en me répétant « t’emballe-pas, vas-y doucement », je me suis fait avoir comme un bleu.
Pas une obsession amoureuse, non. C’était différent. Je commençais à me projeter avec elle, à m’imaginer en couple, les après-midi au parc et tout le toutim… Je ne pensais pas à elle, je fantasmais une relation. C’est vrai qu’elle était belle, bien sapée, une fille en soirée m’avait dit qu’on allait bien ensemble… bref, j’aurais été fière de la présenter à mes potes. Du moins au début. Parce qu’au bout de deux/trois semaines, chaque fois que je la voyais, c’était comme un premier rencard : l’impression de voir une inconnue. La même gêne, qui est justifiée au début, s’installait à certains de nos rencards. J’avais l’impression de ramer toute la soirée pour arriver à un minimum de jeu et de confort. Mais c’était peine perdue. Je parlais à un mur. Elle de son côté se contentait de bailler et de se plaindre.
Je me disais chaque semaine que je ne l’appellerais pas, que ça ne valait pas le coup. Je croyais même réussir à abandonner mon petit fantasme de relation. Pourtant, à chaque fois je me disais que je ne pouvais pas partir sans essayer encore une fois. Je m’acharnais en me disant : « on va bien finir par accrocher, je vais enfin réussir à être à l’aise, à la trouver, cette satanée connexion ! ». Mais rien à faire, ça ne marchait pas et la même petite chanson recommençait chaque semaine.
Vint notre dernier rendez-vous. Peut-être le pire de tous. Je faisais tout pour essayer de faire monter la sauce. Une fois mon chargeur vide, résigné, je me sentais bizarrement libéré. Bon, on pourra pas dire que j’ai pas essayé. A partir de ce moment, je me foutais un peu de ce qu’elle pouvait penser. Je partais pour un long voyage la semaine suivante, et je l’ai raccompagnée pour passer une dernière nuit avec elle, en me disant déjà que sa saveur ne serait plus la même. Dans un moment de long silence embarrassant (j’avais totalement abandonné, toute mes tentatives pour relancer l’affaire s’écrasant sur le mur de son indifférence), elle m’a regardé et m’a demandé :
« Ça va ? »
J’ai vu l’anguille sous la roche, je lui répondis avec un sourire ironique et une fausse naïveté :
« Ouais, ça va, et toi ? »
Ses bras étaient croisés et elle me dit, gênée :
-C’est juste que… je me posais des questions sur la nature de notre relation…
Ah tiens, je ne suis pas tout seul alors. Je lui répondis d’une manière évasive sans trop me mouiller que les choses me convenaient telles qu’elles étaient, qu’on ne voyait pas encore très souvent, mais que je ne me fermais aucune porte pour la suite…
-Moi, quand on me demande si j’ai un copain, je réponds : « non ».
Okay. Merci, en une phrase j’ai compris à quel point je n’étais pas lucide et ce que voulait vraiment dire « projeter son intérêt sur quelqu’un ». J’ai choisis de changer de cap et d’aller plutôt dans son sens :
-De toute façon, je m’en vais dans une semaine je ne sais pas si je vais rester ici ensuite, et toi non plus.
Je n’ai pas voulu passer la nuit avec elle ce soir-là.
EpilogueA mon retour, elle m’a recontacté, par un simple sms :
« Hello ! Comment ça va ? Bien rentré de ton voyage ? »
Elle devait sûrement s’ennuyer ferme. J’avais perdu tout mon répertoire après un malheureux vol de téléphone. Je ne savais pas que c’était elle. Je ne répondis pas. Quelques jours plus tard, je réalisais que ça ne pouvait être qu’elle (elle me le confirmera ensuite). Il était trop tard pour répondre, ou disons plutôt que ça me donnait un excellent prétexte pour ne pas lui répondre. Je ne voulais pas avoir la faiblesse de la revoir.
Nous nous sommes tout de même recroisés il y a quelques jours, par la force des choses. Je n’arrive vraiment pas à me contrôler : rétrospectivement, je me dis que cette histoire est d’une banalité affligeante, et qu’il ne s’est rien passé d’extraordinaire. Et pourtant, quand j’ai revue Cass, le mirage est instantanément réapparu : je l’ai revue lors de notre première rencontre, je l’ai revue attirante et soupirante. Mais maintenant j’ai marché assez longtemps pour que le mirage disparaisse.
Professor Shorthair