- Jeu Oct 16, 2008 7:37 pm
#61018
Lettre à Elise
On perd toujours en vieillissant du temps pour le jeu ; inexorablement, les longues heures intemporelles d'évasions enfantines vers d'autres mondes se transforment peu à peu en réalité, dure et impitoyable, ou joyeuse et malléable selon la façon dont l'homme que l'on devient apprend à l'aborder. Mais les vacances conservent malgré tout un doux parfum d'enfance, et nous rappellent à intervalles fixes, fidèles jalons estivaux, que nous pouvons malgré tout rester de grands gamins.
Grand gamin, je l'ai été pendant ces vacances au Québec. Avec l'ivresse du jeune oiseau déployant ses ailes, tout juste envolé du nid, je découvrais pour la première fois l'immature plaisir de partir seul à plusieurs milliers de kilomètres de chez moi et de jouer, car c'est encore un jeu, à l'adulte responsable et indépendant. En volant au-dessus de l'Atlantique, afin de supporter la lente monotonie du voyage, je rêvais avec de vagues précisions mes expériences prochaines entre deux chapitres de Maupassant, qui m'incitait encore une fois par son lucide et cynique génie à croquer la vie à belles dents pour échapper à sa fatalité absurde.
Ce mardi était donc un jour comme les autres. Oui, mais c'était un jour de vacances. Et les vacances, chacun le sait, sont l'occasion de défier la routine du quotidien : tout y est plus facile, plus accessible, et les exceptions deviennent la règle. Le loisir est la seule obligation, le jeu, la seule loi ; et surtout, pour les femmes comme pour nous, les vacances sont la saison des amours.
Ce mardi-là, pourtant, ma soirée s'annonçait mal. Bien que la journée ait été étonnement radieuse, me faisant légèrement transpirer dans le jean et la chemise noire qui me collaient à la peau après un après-midi occupé d'une de ces longues promenades solitaires que j'affectionnais dans les rues de Montréal, la nuit me surprit en de fort mauvaises dispositions.
J'avais eu la déplorable idée de me laisser embarquer sans réfléchir dans un before raté, à l'occasion duquel je m'étais retrouvé sans trop savoir comment dans le parc Maisonneuve en compagnie d'une fille à la conversation pauvre et au langage corporel fermé, en contradiction totale avec son intention pourtant éloquente de me « montrer son endroit préféré de la ville ».
Ayant réussi, durant notre déplaisant tête à tête, à éviter ces vides dans la conversation qui vous détruisent définitivement un rapport humain, et accessoirement votre énergie pour toute la soirée, je rejoignis le reste de ma nombreuse compagnie nocturne avec soulagement, mais avec pessimisme ; et je fis rire C, mon principal compagnon, en me composant une mine de dépressif profond, avant d'entrer dans le bar qui allait nous accueillir pour quelques heures en échange des modestes piècettes de nos porte-feuilles, prêtes à être gaiement dilapidées.
Quelques minutes plus tard, ou quelques heures, je ne sais pas, la même fille qui m'avait éteint me présentait une nouvelle illumination en la personne de l'une de ses amies.
Elle se nommait Elise, elle était petite, brune, fine, et elle allait, sans le savoir encore, sauver ma nuit.
Hors de question de perdre du temps, il est assez précieux comme cela : peu après le premier regard, que je jugeai prometteur, je saisis au vol la proposition de C, et nous nous retrouvâmes opposés dans une féroce partie de babyfoot. Il avait choisi sa cousine comme coéquipier, j'avais évidemment autoritairement choisi le mien : Elise assura donc mon arrière-garde, pendant que « j'échauffai » ostensiblement mes attaquants en faisant stupidement tourner les poignées. Je n'avais cure de mettre à mal le matériel, tant que mon équipière riait.
[quote]M : Alors, prête à gagner la coupe du monde ?
E : Ouais !!
Et, de fait, nous gagnâmes. Le résultat de la partie m'étant cependant complètement indifférent, je saisissais chaque occasion pour toucher ma jolie partenaire, qui ne l'était encore que pour ce jeu futile, mais utile.
Ces contacts furent d'une efficacité redoutable ; à chaque évènement, chaque cri, chaque but, je procédai d'une façon différente, faisant varier la pression, l'endroit, passant d'une chaleureuse et exubérante étreinte à une main serrée de manière presque caressante.
A la fin de la partie, son toucher et son expression, devenus de moins en moins naturels, étaient devenu franchement amusants, et il était visible à travers ses gestes maladroits que toute spontanéité avait quitté la demoiselle.
Nous n'avions alors échangé que peu de mots, et, déjà, la partie semblait gagnée. Pourtant, il me restait à accomplir le plus dur : maintenir la tension créée tout en nouant réellement le contact.
[quote]M : Viens, on va s'asseoir là-bas et boire comme des trous.
E : Pourquoi, t'es alcoolique ?
M : Non, mais si on est capable de gagner une partie de babyfoot à cette heure-là, c'est qu'on n'a pas du tout assez bu. Que je n'ai pas assez bu, en fait, parce que t'étais tellement utile que c'est comme si j'avais joué tout seul.
E : Hey !!!
Perdu au milieu des vapeurs d'alcools, de l'infernal tapage de la musique trop forte et des vociférations absurdes d'ex-teenagers, mécaniquement entassés dans cet espace surchauffé suintant d'un mauvais goût que je n'aurais jamais connu si j'avais choisi seul le lieu de la soirée, je suis incapable de me souvenir des dialogues qui suivirent. Ils durent être efficaces, car je conservai la totale attention d'Elise et me retrouvai debout, au milieu de la cohue générale, discutant de choses et d'autres, de Lisbonne notamment, avec Elise et l'une de ses connaissances aux origines compliquées car franco-portugaises, habitant Montréal.
Remarquant que ladite connaissance, moins jolie cependant et dont j'ai oublié le prénom le lendemain, s'investissait également un peu trop dans le dialogue pour que cela soit innocent, je décidai d'en jouer en pariant sur la compétition des deux copines, et je plaisantai avec elle tout en servant mes objectifs mieux que je ne l'aurais espéré.
[quote]M : Ca doit poser problèmes, des origines trop diverses comme ça.
Inconnue : Oh, non, pourquoi ?
M : On doit s'emmêler dans les coutumes sexuelles différentes et ne plus s'y retrouver, ça doit beaucoup affecter la libido tous ces déracinements.
I : [rire] T'inquiète pas pour moi, je me débrouille.
M : Mouais, j'ai quand même un doute. Les portugais font la cuisine simplement et à l'huile d'olive, je suis sûr qu'ils font aussi l'amour trop simplement. Alors que, tu vois, avec le mythe du french lover, c'est déjà plus classe et sophistiqué.
Au milieu de ce monceau de bêtises et d'amusants préjugés, qui avait tout de même le mérite de faire filer le temps en ma faveur, j'adressai régulièrement la parole à Elise, en vérifiant l'évolution de son sourire et de son regard, tout en socialisant au moindre prétexte avec tous les gens passant à ma portée. L'énergie était revenue, l'insolente réussite aussi.
Lorsque survinrent trois garçons, débarquant de nulle part, Elise était collée contre moi : son bras et son épaule touchant les miens, elle ne bougea pas lorsque les importuns s'adressèrent à elle. J'étais suffisamment certain de ma victoire pour continuer, après avoir jaugé les arrivants en échangeant quelques phrases avec eux, à converser avec la franco-portugaise.
Mon bras et ma main discrètement audacieuse assuraient le travail, tandis que les apprentis-sorciers s'éliminaient d'eux-même en pratiquant une séduction aussi fine que le beuglement d'un orignal.
Suprême erreur du stratège, ils abandonnèrent le terrain à un instant critique, et Elise me glissa un agréable :
[quote]E : Vite, on se barre, je ne veux plus les voir, ils me saoulent.
Je l'entrainai rapidement dans un recoin, et la fit asseoir sur une chaise en face de moi. Dos au reste du bar, je l'entendis me supplier :
[quote]E : Oh non, regarde, ils reviennent !
M : J'ai une méthode infaillible pour qu'ils arrêtent de t'emmerder.
Peut être m'interrogea-t-elle, peut être eut-elle simplement un regard éloquent en réponse au mien, qui aurait pu soutenir en ce moment toutes les audaces ; je passai ma main derrière sa nuque, et caressai un instant ses cheveux.
Puis, je l'embrassai.
Quelques minutes plus tard, ou quelques heures, je ne sais pas, Elise me murmura à l'oreille, avant que je ne retourne mordiller doucement la sienne :
[quote]
E : Tu sens bon...
Oh, j'allais oublier : Andrea, 19 ans, étudiant.
Merci Spike.
On perd toujours en vieillissant du temps pour le jeu ; inexorablement, les longues heures intemporelles d'évasions enfantines vers d'autres mondes se transforment peu à peu en réalité, dure et impitoyable, ou joyeuse et malléable selon la façon dont l'homme que l'on devient apprend à l'aborder. Mais les vacances conservent malgré tout un doux parfum d'enfance, et nous rappellent à intervalles fixes, fidèles jalons estivaux, que nous pouvons malgré tout rester de grands gamins.
Grand gamin, je l'ai été pendant ces vacances au Québec. Avec l'ivresse du jeune oiseau déployant ses ailes, tout juste envolé du nid, je découvrais pour la première fois l'immature plaisir de partir seul à plusieurs milliers de kilomètres de chez moi et de jouer, car c'est encore un jeu, à l'adulte responsable et indépendant. En volant au-dessus de l'Atlantique, afin de supporter la lente monotonie du voyage, je rêvais avec de vagues précisions mes expériences prochaines entre deux chapitres de Maupassant, qui m'incitait encore une fois par son lucide et cynique génie à croquer la vie à belles dents pour échapper à sa fatalité absurde.
Ce mardi était donc un jour comme les autres. Oui, mais c'était un jour de vacances. Et les vacances, chacun le sait, sont l'occasion de défier la routine du quotidien : tout y est plus facile, plus accessible, et les exceptions deviennent la règle. Le loisir est la seule obligation, le jeu, la seule loi ; et surtout, pour les femmes comme pour nous, les vacances sont la saison des amours.
Ce mardi-là, pourtant, ma soirée s'annonçait mal. Bien que la journée ait été étonnement radieuse, me faisant légèrement transpirer dans le jean et la chemise noire qui me collaient à la peau après un après-midi occupé d'une de ces longues promenades solitaires que j'affectionnais dans les rues de Montréal, la nuit me surprit en de fort mauvaises dispositions.
J'avais eu la déplorable idée de me laisser embarquer sans réfléchir dans un before raté, à l'occasion duquel je m'étais retrouvé sans trop savoir comment dans le parc Maisonneuve en compagnie d'une fille à la conversation pauvre et au langage corporel fermé, en contradiction totale avec son intention pourtant éloquente de me « montrer son endroit préféré de la ville ».
Ayant réussi, durant notre déplaisant tête à tête, à éviter ces vides dans la conversation qui vous détruisent définitivement un rapport humain, et accessoirement votre énergie pour toute la soirée, je rejoignis le reste de ma nombreuse compagnie nocturne avec soulagement, mais avec pessimisme ; et je fis rire C, mon principal compagnon, en me composant une mine de dépressif profond, avant d'entrer dans le bar qui allait nous accueillir pour quelques heures en échange des modestes piècettes de nos porte-feuilles, prêtes à être gaiement dilapidées.
Quelques minutes plus tard, ou quelques heures, je ne sais pas, la même fille qui m'avait éteint me présentait une nouvelle illumination en la personne de l'une de ses amies.
Elle se nommait Elise, elle était petite, brune, fine, et elle allait, sans le savoir encore, sauver ma nuit.
Hors de question de perdre du temps, il est assez précieux comme cela : peu après le premier regard, que je jugeai prometteur, je saisis au vol la proposition de C, et nous nous retrouvâmes opposés dans une féroce partie de babyfoot. Il avait choisi sa cousine comme coéquipier, j'avais évidemment autoritairement choisi le mien : Elise assura donc mon arrière-garde, pendant que « j'échauffai » ostensiblement mes attaquants en faisant stupidement tourner les poignées. Je n'avais cure de mettre à mal le matériel, tant que mon équipière riait.
[quote]M : Alors, prête à gagner la coupe du monde ?
E : Ouais !!
Et, de fait, nous gagnâmes. Le résultat de la partie m'étant cependant complètement indifférent, je saisissais chaque occasion pour toucher ma jolie partenaire, qui ne l'était encore que pour ce jeu futile, mais utile.
Ces contacts furent d'une efficacité redoutable ; à chaque évènement, chaque cri, chaque but, je procédai d'une façon différente, faisant varier la pression, l'endroit, passant d'une chaleureuse et exubérante étreinte à une main serrée de manière presque caressante.
A la fin de la partie, son toucher et son expression, devenus de moins en moins naturels, étaient devenu franchement amusants, et il était visible à travers ses gestes maladroits que toute spontanéité avait quitté la demoiselle.
Nous n'avions alors échangé que peu de mots, et, déjà, la partie semblait gagnée. Pourtant, il me restait à accomplir le plus dur : maintenir la tension créée tout en nouant réellement le contact.
[quote]M : Viens, on va s'asseoir là-bas et boire comme des trous.
E : Pourquoi, t'es alcoolique ?
M : Non, mais si on est capable de gagner une partie de babyfoot à cette heure-là, c'est qu'on n'a pas du tout assez bu. Que je n'ai pas assez bu, en fait, parce que t'étais tellement utile que c'est comme si j'avais joué tout seul.
E : Hey !!!
Perdu au milieu des vapeurs d'alcools, de l'infernal tapage de la musique trop forte et des vociférations absurdes d'ex-teenagers, mécaniquement entassés dans cet espace surchauffé suintant d'un mauvais goût que je n'aurais jamais connu si j'avais choisi seul le lieu de la soirée, je suis incapable de me souvenir des dialogues qui suivirent. Ils durent être efficaces, car je conservai la totale attention d'Elise et me retrouvai debout, au milieu de la cohue générale, discutant de choses et d'autres, de Lisbonne notamment, avec Elise et l'une de ses connaissances aux origines compliquées car franco-portugaises, habitant Montréal.
Remarquant que ladite connaissance, moins jolie cependant et dont j'ai oublié le prénom le lendemain, s'investissait également un peu trop dans le dialogue pour que cela soit innocent, je décidai d'en jouer en pariant sur la compétition des deux copines, et je plaisantai avec elle tout en servant mes objectifs mieux que je ne l'aurais espéré.
[quote]M : Ca doit poser problèmes, des origines trop diverses comme ça.
Inconnue : Oh, non, pourquoi ?
M : On doit s'emmêler dans les coutumes sexuelles différentes et ne plus s'y retrouver, ça doit beaucoup affecter la libido tous ces déracinements.
I : [rire] T'inquiète pas pour moi, je me débrouille.
M : Mouais, j'ai quand même un doute. Les portugais font la cuisine simplement et à l'huile d'olive, je suis sûr qu'ils font aussi l'amour trop simplement. Alors que, tu vois, avec le mythe du french lover, c'est déjà plus classe et sophistiqué.
Au milieu de ce monceau de bêtises et d'amusants préjugés, qui avait tout de même le mérite de faire filer le temps en ma faveur, j'adressai régulièrement la parole à Elise, en vérifiant l'évolution de son sourire et de son regard, tout en socialisant au moindre prétexte avec tous les gens passant à ma portée. L'énergie était revenue, l'insolente réussite aussi.
Lorsque survinrent trois garçons, débarquant de nulle part, Elise était collée contre moi : son bras et son épaule touchant les miens, elle ne bougea pas lorsque les importuns s'adressèrent à elle. J'étais suffisamment certain de ma victoire pour continuer, après avoir jaugé les arrivants en échangeant quelques phrases avec eux, à converser avec la franco-portugaise.
Mon bras et ma main discrètement audacieuse assuraient le travail, tandis que les apprentis-sorciers s'éliminaient d'eux-même en pratiquant une séduction aussi fine que le beuglement d'un orignal.
Suprême erreur du stratège, ils abandonnèrent le terrain à un instant critique, et Elise me glissa un agréable :
[quote]E : Vite, on se barre, je ne veux plus les voir, ils me saoulent.
Je l'entrainai rapidement dans un recoin, et la fit asseoir sur une chaise en face de moi. Dos au reste du bar, je l'entendis me supplier :
[quote]E : Oh non, regarde, ils reviennent !
M : J'ai une méthode infaillible pour qu'ils arrêtent de t'emmerder.
Peut être m'interrogea-t-elle, peut être eut-elle simplement un regard éloquent en réponse au mien, qui aurait pu soutenir en ce moment toutes les audaces ; je passai ma main derrière sa nuque, et caressai un instant ses cheveux.
Puis, je l'embrassai.
Quelques minutes plus tard, ou quelques heures, je ne sais pas, Elise me murmura à l'oreille, avant que je ne retourne mordiller doucement la sienne :
[quote]
E : Tu sens bon...
Oh, j'allais oublier : Andrea, 19 ans, étudiant.
Merci Spike.