- Jeu Mai 02, 2019 10:49 pm
#186446
Bonjour,
Je me présente succinctement après avoir lu de nombreux témoignages sur votre forum qui m'a beaucoup distrait et parfois appris. J'écris depuis des années en amateur pour moi-même et tiens un journal dont j'ai récemment réuni toutes les pages concernant mes aventures amoureuses et l'histoire de mes sentiments, j'ai ensuite coupé et mélangé ces notes. Le texte fait 10 pages. J'ai conscience que c'est trop long pour un forum, mais je n'ai pu me résoudre à le réduire davantage, vu qu'il s'agit d'une oeuvre d'art !!!
Bonne lecture. En espérant ne pas vous déranger et vous apporter quelque plaisir esthétique ou de réflexions par cette lecture inattendue d'un parisien qui a vécu ce qu'il décrit.
Mon amour est entièrement physique. Non dans le sens où il ne serait qu’un désir, mais en ce qu’il me dépasse.
Quand je la vois, je suis envahi.
Lorsqu’elle part, sa présence se renforce. Cette nuit, j’ai mal dormi. Elle était en moi. Physiquement et par la pensée, j’étais à l’intérieur d’une sensation englobante contre laquelle, il n’y avait pas d’autre lutte que de la laisser faire.
Une forme de nervosité épidermique, comme pour l’enfant, l’attente du soir de Noël. Sauf qu’ici, une femme. Mieux qu’un jouet.
Elle a du pouvoir. C’est une sorte de joie que je prends à sa compagnie, une rondeur qui l’accompagne, qui assouplit le monde.
Baume, bienfait, légèreté de la complétude.
Il ne se passe rien. Je parle, elle écoute, répond, sourit, se confie. Je ne sais rien de ce qu’elle ressent. Aucune idée. Est-elle en accord ? S’amuse-t-elle ? Je ne sais pas.
Si je lui plais ? Si elle partage ? Je l’ignore.
C’est injuste la séduction, un jugement ou un ressassement. Il est injuste d’aimer. C’est injuste pour moi de fleurir et injuste aussi la froideur inexpliquée, le non-sentiment provoquée par des rencontres passées, où je fus fuyant.
Ce soir, je me sens calme, détaché. Le lien se détisse. Je peux repenser à mes expériences amoureuses passées. En remontant depuis le lycée, refaire le parcours de ce que je sais et mélanger des copiés-collés.
J’aime une tonalité étonnée de son regard, la finesse et des qualités intrinsèques dont elle n’a pas idée… Que faire de cet embarras nouveau qui devrait durer ? Comment être à la hauteur de l’égalité entre nous ?
Voyons, voyons comment se casse davantage la glace entre des êtres doux qui sont prêts à s’aimer mais ignorent ce qui les attend…
Voyons si l’amour nous sculpte d’une haleine chaude ou s’il nous déforme à l’usage…
Rencontré A, nous avons dansé dans le noir, dans le salon avant de nous allonger. Elle m’a tout de suite apprécié, c’est une fille sérieuse qui cherche à être doucement bousculée.
J’ai développé une grande envie d’elle (je la connais depuis 3 semaines), rapidement tel un havre entrevu. Et je crois pouvoir l’aider aussi à mettre du romanesque dans son existence rangée.
L’amour sororale et sensuel pourrait nous lier.
Elle me plait, c’est une créature pointue, très mince et qui est venue chez moi arborant un superbe pantalon rouge, maquillée, et joliment inquiète de se donner. A tel point que la rencontre a manqué d’avorter et que dans son stress elle a pris la fuite 40 minutes avant de revenir dans sa fraîcheur retrouvée.
Etre aimé, s’entendre dire qu’on est beau, quand ce n’est pas ce qu’on voit dans la glace, être un amant, inquiet de chaque soupir, voilà un drame amusant. Dommage que je sois encore personnage, et que je débute dans le rôle.
Etre aimé par une femme timide qui se déshabille, voilà une épreuve…
Dans trois jours, à Marseille avec A. Elle a été très belle au restaurant, elle parlait de son travail avec couleur et modestie. Je me suis vu quelques instants au matin, ressemblant à une statue d’amant. Nous avons beaucoup à apprendre. Et une pente commune.
Il y a longtemps, j’étais allongé sur le lit. Elle me donna une cerise, dans la bouche en me disant qu’elle m’aimait. J’avais dix-sept ou dix-huit ans et je me suis relevé, fâché, lui disant d’arrêter. Gamine, tu ne m’auras pas en minaudant. J’étais ainsi. Tel le petit garçon qui n’aime pas les filles. Car elles passent leur temps à la marelle. J’étais toujours celui dans le préau qui ne veut rien avoir à faire avec ces créatures. C’était encore un jeu. Des différences dans nos jeux qui nous opposaient. Et la sexualité ne suffisait pas à aimanter les jointures, à réparer de son beurre les malentendus. J’étais à l’école non-mixte, catholique. Unisexe. Peut-être est-ce la cause de ma lenteur à m’intéresser aux femmes.
La recette de l’insistance. Avec un chat noir pour dessert. A éviter.
Le harcèlement arrive vite. Il faudrait écouter les femmes dans les instants où on cesse de les comprendre. C’est dans ces moments qu’elles disent la vérité.
C’est une pliure à prendre, plus simple que de se casser par des cris, que d’écouter ce qui déplait.
Il ne faut jamais les affronter, elles gagnent. Cela blesse les hommes que le sexe dit faible l’emporte. Ne pas comprendre rend méchant. La guerre peut continuer. Les deux sexes se valent dans leur cruauté respective.
J’ai un principe, ce que je ne comprends pas chez une femme, je lui laisse. Et j’attends qu’elle revienne avec ses propres résultats. Qui sont souvent bons.
Le plaisir de sa compagnie. Chez moi est intense. Il ne varie pas. Il est à son maximum et reste constant. Je suis détendu et en ligne droite, à pleine puissance. Sans aucun temps mort, sans aucun cahot. C’est un état que je connais aussi dans la solitude, cette complétude, béatitude, hébétude, mais qui m’est nouveau avec une femme. Dans ce type de microclimat.
Il me semble que je l’éveille. Que j’agis sur elle. Qu’elle est un lustre au travers de moi qui brille. Qu’elle devient comme disait Dietrich après avoir vu Welles : Une plante arrosée.
Emerson dit que les femmes veulent être vues, que cachées, elles dépérissent.
Cela explique nombres de leurs attitudes. Et les rend sensibles à celui qui braque le projecteur.
Ambivalence du sentiment envers A.
Elle pourrait devenir ma femme, je pourrais aussi la quitter. Ce que nous avons déjà vécu suffit aux souvenirs. Je l’aime et pourrais ne plus la revoir. C’est le démon de l’amour et ses soubresauts qui s’expriment.
Au téléphone, je lui ai vaguement parlé de cet état flottant où j’étais, elle a répondu par la même lassitude indécise.
Vin blanc. Fromages. Cigarettes. Un chat.
Et la jeune fille pour achèvement du tableau. Dans la lumière ici très forte de la fin d’après-midi, face au grand rectangle dessiné au mur. Tandis que flottent nos paroles. C’est une forme de sport énergétique que nos échanges. Belle partenaire.
Elle est très vive ce soir, malgré son visage fatigué, elle prend des poses de biais et ramène sa chevelure sur sa joue pour se masser. Elle a de petits accessoires charmants. Au débotté, elle se met des boucles d’oreille, pince dans ses lobes deux oiseaux bleus fixés à une épingle. C’est la vérité. Je roucoule. Elle a un porte-monnaie noir en forme de poche avec un fermoir doré, il est tapissé de points rouges. Je mens. Ils étaient blancs. Et nous avons partagé l’addition.
Je m’aperçois depuis que je connais B que j’avais une conception erronée de l’amour construite par des années de solitude, d’inexpérience des femmes et d’une étrange érotomanie ne cherchant pas d’objet pour le dialogue, mais satisfaite jusqu’à l’impasse par son propre désir.
B répond, B existe, parfois aussi elle ne répond pas et n’existe plus. Et c’est ce qui la rend plus réelle, vivante et véritable. Que mes idées anciennes où l’autre n’était pas perçu, ni reconnu, ni vraiment apprécié qu’au travers de ce que je voulais.
Et donc la voici, hier, sonnant à la porte, superbement habillée comme j’aime, en veste de daim clair, contente et fraîche, savante, aimante, douce, ajoutant des adjectifs bénéfiques à son palmarès et à son empire, chez elle déjà chez moi, et m’incitant à la suivre ailleurs, entrée dans ma vie par la porte après avoir frappé.
La castration s’est bien passée. Elle a fait ça, avec tact. C’était hier et je me doutais que j’aurais à la subir. Elle l’a fait rapidement, sans torture excessive. C’est pour tous les prétendants au western sentimental comme moi, l’épreuve la plus difficile, presque une forme de rituel du passage à l’âge d’homme que de se laisser castrer sans hurlement.
Il paraît que ça repousse, mais en combien de temps ?
Je me coupe des questions. Je m’absorbe et de l’extérieur en place de la dépression, arrive l’événement qui me dirige vers un but. Je repeins la salle de bain et m’oublie dans l’acte crémeux du rouleau contre le mur. Une heure s’étale dans un geste simple, presque automatique. Mes soucis, une fois traités en artisan se vident de pensées nocives, l’oubli des problèmes façonne du concret. Je retourne ensuite au salon et c’est debout, tâché, pinceau en main, que je recommence mon amour à me demander combien d’appartements j’aurais à repeindre pour te supprimer.
Mon amour n’est qu’une souris affolée que tout aveugle dans sa cage, qui bondit au premier bruit, un animal miniature, nerveux et circonspect qui s’agite vainement à des préparatifs. Je la croyais morte, cette souris, d’un arrêt cardiaque après le dernier refus. Elle avait palpité puis s’était blottie, elle s’était mise en boule dans un angle pour qu’on la laisse mourir.
Mais voilà, elle revit. Et j’en suis ennuyé mais ses bonds, ses supplications, ses yeux implorants, son excitation de petit mammifère inquiet me sont devenus précieux. Et je suis content de la revoir courir, s’emballer dans sa roue.
Une crise a réenchanté la relation. Les sentiments négatifs partagés nous ont unit, nous ne voulions pas que l’amour s’arrête. Cette idée lui tordait le ventre, je me sentais plongé dans l’obscur, déchiré, luttant contre l’évidence.
Depuis cela va mieux,
Tu remplaces les autres femmes, tu les éclipses dans la monogamie de la complétude. La tendresse nous isole dans des draps particuliers.
J’ai bien connu l’amour, me dit-il, et c’est ainsi que je me suis aperçu qu’il ne m’intéressait pas, que j’avais peu de goût pour son loisir paisible, et que sitôt quittée ma promise, je l’oubliais, pouvant reporter jusqu’à la semaine suivante, un autre rendez-vous. Il me l’aurait fallu le week-end et à petite dose, comme un passe-temps.
Pire, il arrivait que ses gentillesses m’irritent, qu’un baiser me lasse, une attention douce devienne écoeurante et que je souhaite me retrouver seul, dégagé, sans compromis.
Souvent, à regret et en reculant, je la revoyais. Son sourire me désarmait, j’accédais à la domesticité et oubliant mes promesses de révolte, sentant combien était tendre son licol, j’accédais à des heures de rêverie troublante, où vivant l’intensité du moment présent, touchant sa peau, fusionnant dans sa délicatesse et appréciant sa sagesse, je me sentais amoureux, suivant un sentiment flottant de bercement.
La semaine prochaine. Plage. Pérégrinations immobiles aquatiques et poissons grillés en esprit pour la communion des couples. Natures et découvertes. Vices cachés. Conversations au balcon. Et l’immensité du sable sur nos corps de gloire.
A n’est pas chrétienne. Et rien dans sa sensibilité ne la pousse à comprendre la religion. Soit, immédiatement, elle voit derrière les théories, les hommes qui les prononcèrent, soit elle devine un masochisme, une froideur cachée dans les textes et les tableaux religieux.
Au lit, discutant sur l’oreiller, je lui dis qu’elle ne peut ressentir le besoin de pardon, de rédemption, étant sage par nature, ascète de naissance, sérieuse par le cœur, n’ayant pas péché, elle ignore l’appel forcément à la transformation. Sa transgression est l’amour, en ce sujet, elle explore plus loin que moi, elle y est versée davantage. Par l’amour, tout lui devient tolérable.
Et parfois, elle m’admire de sentir ce qu’elle ne comprend pas.
Comme me l’expliquait B, il ne faut pas discuter, il faut plier l’autre à sa volonté, le surplomber pour qu’il recule.
L’amour est la recherche d’un accord des températures. Si je bous, il faut qu’elle brûle. Si je tiédis, elle doit devenir tendre. Afin que l’accord dure, et qu’aucune rupture des climats n’altère le cadenas. Il n’y a que la froideur qui ne demande pas de jumeau.
A qui longtemps n’a pas aimé, je le sais d’expérience, l’amour fait figure de tempête. Il ne peut se retenir, toute la retenue d’eau saute d’un coup. Effet bouchon de champagne des sentiments comprimés.
Apollinaire est très beau dans ce sentiment. Mais le résultat fut triste.
On ne dit jamais que l’amour peut faire peur, qu’être aimé se refuse et que c’est même le cas presque toujours. Et que dans un lit, on ne partage au fond pas la même expérience.
Guillaume Apollinaire, un de mes auteurs favoris, pour ce qu’il est parfaitement à cheval entre les derniers rejetons de la tradition et les modernes. Dans une sorte de lyrisme moins verbal mais qui possède encore la croyance du texte. Contrairement aux doutes qui verront la ruine du poème contemporain.
Le poème aujourd’hui est entièrement négation de l’effet verbal, c’est un objet pauvre, faits par de vieux enfants avec des bâtons et des galets dans une aire-de-jeu, personne ne croit plus à ses jardins.
Ainsi en moi, j’ai crée un parc naturel pour espèce protégé. Je pourrais évidemment le détruire, replanter avec du ciment. Et me contenter d’une compagne, une aide à mes vieux jours, à mes vieux soirs, à mes besoins.
Mais j’aime trop ce jeu pour ne vouloir que gagner.
Cette fiction amoureuse me manquerait. Plus que son échec probable, c’est ce qu’elle réveille qui importe. Ce qu’elle soulève et m’inspire. Ces inventions que j’avais oubliées et qui reviennent en nombre, au son de sa voix.
Personne d’autre ne fait germer autant qu’elle. C’est très mystérieux. Pourquoi ? Qu’a-t-elle de particulier ?
Voudrais-tu qu’à mon âge je fasse de l’amour le vil apprentissage ?
Qu’un cœur qu’ont endurci la fatigue et les ans
Suivît d’un vain plaisir les conseils imprudents ?
(Racine. Bajazet)
Je vois combien tes vœux sont loin de mes pensées.
Je ne te presse plus, ingrat, d’y consentir.
Rentre dans le néant dont je t’ai fait sortir.
[...]
Ecoutez, je sens que je vous aime.
Le chemin est encore ouvert au repentir
Ne désespérez pas une amante en furie
S’il m’échappait un mot, c’est fait de votre vie.
(Racine. Bajazet)
Elle rêve de communauté d’esprit, de cercles de proches et de liens bâtis sur la reconnaissance. Elle est lasse de cette ville de la non-rencontre et des désirs rabotés.
Peut-être serons-nous adultes en même temps.
Bien qu’elle ne soit pas idiote, elle privilégie le non-langage, soit paresse, soit habitude, voici ce qu’elle écrit : Je dois aller un truc pour la perceuse.
Je commence à la connaître et donc à maîtriser son idiome qui est un constant refus du dialogue, elle écrit pour clore, pour séparer.
Elle écrit sans expression, sans imaginer qu’on la lise. Même dans ce détail d’un SMS informatif, pourtant il me semble qu’elle dit quelque chose. Qui est une non-émotion. Une forme de sécheresse informative qui contraste étrangement avec sa présence si ronde, tactile et veloutée.
Que pourrais-je faire avec une femme qui n’a pas de langage ? Dont le monde est entièrement physique et pour ainsi dire borné ?
Je ne suis pas assez physique pour remplir cette absence de verbe chez elle. Mes pieds ne sont pas assez ancrés, mon centre de gravité est très différent. Elle veut du solide. Elle veut des trucs avec une perceuse.
Je viens de commettre l’irréparable et de quitter brutalement A. Au milieu d’un repas, me suis levé, et j’ai claqué la porte. Non comme on prend la fuite, mais décidé à ne plus écouter le mal que je pouvais lui faire, prêt à assumer les conséquences.
Je suis arrivé chez elle vers 20h, dans un appartement silencieux et froid. La querelle n’a pas commencé immédiatement, à peine si l’agacement mutuel se fit entendre en préliminaire, pour annoncer l’énervement qui allait suivre.
Mais il est vrai que je me sens facilement observé quand je suis chez elle, par son regard qui oblige au respect. Et que parler, dès lors revient à trancher sur son calme d’ascète. Ce qui est un problème aussi pour elle, qui n’aime pas s’imposer, que toujours elle ressent mon mode de communication, comme une irruption. C’est une femme trop fade pour mes manières.
Dès le réveil, des ruminations. Il me semble qu’en choisissant la séparation hier, et d’abandonner A au camp de base, j’ai condamné l’expédition. C’est seul que je vais devoir grimper, sans aucun soutien. Quant à elle, j’imagine qu’elle est redescendue dans les plaines, après avoir paqueté sa tente et qu’elle pleure dans le train en me maudissant.
Fatigué, je pense à l’amour de soi, à l’amour de protection, à l’amour des objets d’art.
Moralité ??? Certaines catastrophes sont tragi-comiques et la parole est un matelas par lequel, on transforme les mauvaises chutes.
Misère des sentiments et joie du conflit. J’entends un couple dans la rue, chacun sur son trottoir se disputer. Je suis en hauteur, au balcon, j’observe un spectacle qui me concerne.
La femme est en tailleur noir, l’homme en basket. Elle porte des talons et clopine après lui pour le rattraper. J’ignore ce qu’elle a dit, comment elle l’a blessé d’une phrase qui devait couver depuis plusieurs semaines, toujours est-il qu’il s’enfuit agressivement, fâché à mort qu’elle ne l’ait pas connu et se soit permis l’attaque, l’incompréhension d’une juge sur un coupable.
Il la traite de mongole. Je n’ai besoin de personne. Dit-il.
Comment te dire que tu ne manques pas ?
Tout se remplace, cher objet de désir.
Demandez à une femme si elle vous aime. Non, monsieur et je ne sais pas même votre prénom. Cessez de me harceler. Voilà, vous vivrez l’échec. Mais reposez la question dix fois pour la même réponse, voilà un jeu divertissant. Une erreur pour peu qu’on l’accepte pour telle enrichit autant que la vérité qui conduit à une sagesse âpre, toujours il faut donner des coups de cornes contre le réel.
Ce matin, j’étais misogyne. Je le suis parfois pour contredire ma nature qui est de les aimer. Et je le suis également car elles sont insupportables et qu’il faut que je me dévoue à leur faire comprendre, puisque personne ne leur dit jamais qu’elles sont des émotives compliquées, soucieuses d’apparence et de correction ménagère sous leurs airs libres. Des vedettes qui périssent à quarante ans, sans le plus léger bagage.
Et que pour faire un trou dans le monde, un peu de rimmel qui escroque et ment n’est qu’un destin sexuel.
Eros est dans la mythologie fils de la pauvreté et de la richesse. (Socrate)
Pauvreté car il vit d’expédients, de troubles, d’angoisses fatales. (Penia).
Richesse (Poros) car il est le souverain bien pour celui qui l’a appelé. L’accomplissement réalisé, le bonheur humain manifesté.
Et c’est un enfant à peine pubère, un jeune adolescent.
Une heure de discussion avec A, d’impasses, de rejets, de pleurs et de compréhensions. Nous sommes à la radio deux voix qui s’écartent et se disputent, s’accordent puis se quittent. Je ne veux pas baisser le rideau et pourtant je suis devenu raisonnable, je me débats comme un poisson qui ne comprend pas l’air qu’elle respire, j’acquiesce. Et la nuit tombe quand elle raccroche.
Deux cœurs et deux sexes séparés par leur courage.
La séparation a été actée. Elle est arrivée en larmes, et j’étais ému également, la bouche tremblante. J’ai tout essayé pour la convaincre de rester, la philosophie, la fidélité, l’espérance mais elle est partie.
Regardant le chat, tandis qu’il voulait monter sur mes genoux, je dis : « Non, c’est fini entre nous, petit chat, je vais te remettre dans la rue. Tout est terminé. » Elle sourit vaguement.
Alors qu’elle s’apprête à partir, je la préviens, si tu franchis cette porte, nous ne nous reverrons jamais. Elle hésite, reviens sur ces pas, elle se tient dans le couloir. Il faut que je rentre chez moi. Dit-elle. Je vais te raccompagner. Ai-je répondu. Dans la rue, j’arrive à la faire rire par des acrobaties verbales. Nous nous serrons dans les bras en haut de l’escalator, mais elle refuse de m’embrasser et disparaît. Je n’ai presque pas dormi de la nuit. J’ai lu Novalis pour me calmer (son portrait de Clarisse).
Georg Simmel : L’amour immérité fait honte. Cette idée m’a frappé. Et en effet, repensant à des filles m’ayant aimé sans que je fasse rien pour elles, j’avais toujours été un peu méprisant comme ces adolescents dont la gloriole consiste à se vanter.
C’est avec tristesse, monsieur P, que nous vous annonçons la fin de l’aventure imaginaire que vous entreteniez.
Recevez ce faire-part, accrochez le au-dessus de votre bureau pour rappel à l’ordre, si vous deviez dans un moment d’oubli, vouloir vous brûler une centième fois.
L’amour m’avait rendu hyper-sensible, et je passais avec une désespérante facilité du bonheur enfantin de la possession ludique, aux amertumes de la punition, si m’était retiré ce doudou (fétiche) mental dont l’obtention dirigeait les trois-quarts de mes après-midis.
Je montais des montagnes russes dont les pentes changeaient journellement.
Etant peu expérimenté, Eros se jouait de moi, m’enseignant ses contradictions, m’apprenant ce qu’il nierait ensuite, en professeur paradoxal, il faisait miroiter ce qu’il briserait, il est même entré dans mes rêves (comme je l’ai raconté) pour m’octroyer la plus divine image, comme un leurre.
Et à chaque station triste, quand je pensais renoncer, il m’aiguillonnait menteur pour que je crois le but proche. Et toujours, il me donnait en excès pour mieux faire subir son manque.
Elle est amoureuse. Je n’ai pas eu d’efforts particuliers à faire pour qu’elle entre dans le ravissement. Il a suffit que je dise bonjour et j’étais aimé.
Cela ne tient pas à mes qualités personnelles, ni à des charmes foudroyants, mais je suppose à l’attente dans laquelle elle vivait avant notre rencontre.
Sans doute, était-elle gonflée d’espérance, et réceptive, suffisamment creusée par la solitude et les désagréments pour s’ouvrir au phénomène amoureux avant même qu’il ne commence. Préparé son être tendait vers le soulagement, au réconfort, à la passion du partage.
Je ne suis pas certain que ce soit moi qu’elle aime, peut-être est-ce l’idée de l’amour qu’elle aime à travers moi, qui suis seulement un représentant…
Aux inquiétudes amoureuses, il faut un tiers. Un extérieur qui interrompe la fascination pour la faire redescendre à terre, dans le réel où l’amoureux n’est pas. Ce rôle, c’est celui de l’ami, presque du frère qui connaît et modère. Qui dégrise.
Elle vient manger chez toi, la belle affaire. Il est encore temps qu’elle annule.
Depuis le temps que tu attends, si j’étais toi, j’éviterai les illusions. Il y a de fortes de chances pour ce que tu ressentes, ne la concerne pas. Lorsque je vous ai vu ensemble, c’est l’impression que j’ai eu. Je suis le seul dont tu acceptes une bonne gifle pour redescendre. Alors, je t’abaisse pour éviter que ce soit-elle.
L’amitié n’est pas le mensonge. Je te plains d’aimer. Tu dois souffrir pour des bêtises et des infériorités du sentiment. Je te souhaite de réussir. Mais je n’y crois pas. Je ne suis peut-être qu’un chien qui aboie pour protéger son maître, mais c’est mon naturel que de guider les aveugles.
Parlé longuement au téléphone avec B,
Je crois que je l’étonne, qu’elle a pressenti en moi une personnalité et des richesses qu’elle n’accorde pas aux inconnus, qu’elle se plait à me donner, son oreille, sa bouche et ses heures. Qu’elle ressent une attirance complexe de compréhension vers la totalité de l’autre. Qu’elle a saisi que je n’étais pas n’importe qui, me voyant, lors même que je n’étais personne.
La reconnaissance eut donc lieu.
Puissance des émotions amoureuses : Je ne peux plus dormir. La pensée m’échappe. Colère, tristesse, lucidité, énervement, rabâchage, vengeance. Absolument tout ce que je vois est immédiatement rattaché au sujet qui me préoccupe. Je regardais la télévision et 25 programmes différents firent allusion à A ! Rien n’est neutre, indifférent, tout est contaminé.
La souffrance n’est pas si vive. Je ne souffre pas vraiment, c’est autre chose. Une monomanie. Un délire. Je la traite de sorcière, puis l’imagine ministre.
Perte de contrôle et fonction dévoratrice de l’émotion principale qui phagocyte les autres.
Je ne dors pas et ne ressens pas de fatigue. Je me nourris peu. Je dois presque me forcer pour manger.
Puis je repense à la personne concrète qui provoque ce chaos, cette femme pourtant fluette, discrète, inoffensive qui n’avait pas ce pouvoir avant de partir et dont le manque est démesuré en proportion du poids concret de sa présence.
Pour bien jouer à la bataille, un art différent de la guerre, il faut une femme qui joue contre vous, incapable de tricher et qui accepte de perdre ou de gagner, en vous faisant comprendre à quel adversaire, elle s’adresse.
Avec A, nous avions des visions différentes de l’amour. Pour elle, il fallait qu’il soit partagé et maintenu, pour moi il existe même lorsqu’il cesse, il est donné dès le départ.
Je suis impressionnable mais je ne suis pas un amoureux. Je préfère la gentillesse et me rétracte vite. Je crains les blessures et n’accepte pas d’être dominé par la beauté. Je me grise facilement et repars vite avant même qu’il y ait contact. Je suis prude et entreprenant.
Un visage vu de près est un problème. La peau se dilate, le nez s’agrandit, les joues s’élargissent, trois poils apparaissent que ne filtrera pas photoshop mais seulement le charme. Ou la force supérieur d’un désir de se rapprocher, de coller, s’aboucher, de faire cuillère. Malgré tout.
Demain, j’écrirai si elle donne signe de vie. Et comme, elle n’en donnera pas, j’aurais mieux à faire. Je dois voir mon fils et manger un kebab avec des amis. Dans un restaurant rôti où fume de la viande en broches, du riz et de l’harissa.
Quel jour est-on ?
Elle a la manie de me faire attendre. Il lui faut toujours deux jours pour me répondre et je m’impatiente, autant que devenant patient, je me lasse.
Mon idéal amoureux, je l’ai connu au lycée, car quoiqu’il arrivât entre nous, j’étais certain de la revoir dès le lendemain et d’ajouter un épisode. J’étais d’une fraîcheur impressionnable et nous nous ressemblions. Je me souviens de la peur que j’ai ressentie, la première fois où je l’ai appelé sur un téléphone à cadran et qu’en composant, les sept chiffres du numéro, je suis passé du courage, à la prostration, de l’abattement à la témérité. J’ai raccroché plusieurs fois, en cours de composition avant de renoncer.
Ensuite, l’homme timide étant cette cocotte-minute qui risque l’implosion s’il n’agit pas, j’ai fini par téléphoner. Une petite voix m’a répondu, sûre d’elle et peu surprise. A l’aise et comme habituée aux appels inopinés.
Je lui en ai voulu de ne pas trembler davantage.
Suis-je encore capable d’amour ? De sacrifier à cet état imaginaire mon temps ? Ne suis-je pas plutôt aujourd’hui matérialiste ? Prêt à substituer au cheminement compliqué de désirs, de retards et de vexations, le couperet d’une réponse claire ? Veux-tu ? Voyons-nous ou n’en parlons plus.
Ne suis-je pas devenu démocrate en amour comme ces gens que je conchiais plus jeune et qui remplacent l’un(e) par l’autre, qui réfléchissent l’offre et la demande et l’indexent sur leur emploi du temps ?
Un test comparatif a récemment prouvé que passé une certaine heure, grâce aux boissons, à la danse, l’idée même de choisir, d’élire se révélait inopérant. Qu’il n’existait que des permissivités cadrant avec les humeurs dans un monde de reflets.
Dans le métro, au printemps, à Paris, aux Buttes-Chaumont, au jardin du Luxembourg, des milliers de partenaires. Des bourgeons et des socquettes. De jeunes moustaches et des aisselles rasées. Unis dans le même amour général du oui aux rencontres.
Et moi ? Où suis-je ? Jeune divorcé, détrompé de l’amour mais amoureux d’une femme qui est partie, je retrouve ce soir dans la rue, C qui m’invite. Je perds mon temps, je me rends disponible, j’ennuie les gens, ils m’interrompent.
Je déteste l’amour. Il est injuste, frivole, aussi obsédant que l’horoscope ou la météo.
Je m’appelle R, je suis propriétaire d’un appartement sans muscle, d’une grande bibliothèque et d’une discothèque de huit étages avec vue sur les toits de Paris, il y a des courants d’air où vivent des hommes de fumée.
Quand elle est entrée, je ne l’ai pas reconnu, j’avais oublié son visage et il m’a surpris. Elle était comme d’habitude très féminine et quasiment pieds nus dans des sandales tressées.
Sa présence n’est pas venue à moi tout de suite, elle s’est installée progressivement mais à la fin, elle rayonnait, j’étais à son service, naturellement attiré par cette moitié dorée, parfumée, sous son attraction.
Ni sexuelle, ni mentale, son attirance, quoique dans la rue, je me sois demandé, sans rire ni glousser à quoi ressemblait sa chatte. Et me sois arrêté avant de trop descendre dans cette voie.
Maintenant, il faudra être sage, progresser comme dit le Tao en renard sur la glace. Ne pas déraper, ne pas être pris au piège des sentiments, ne pas s’énerver de désirs mais traverser, passer de l’autre côté intact, irrésistible. Vers la neige où on s’endort l’œil renversé.
Je me souviens de ce feu rouge, du goudron de la chaussée, d’un trou banal avec une flaque, d’une poubelle verte comme le décor d’un lieu où je l’aimais. C’est encore un jeu. Je suis à l’endroit précis de la rencontre, venu aux retrouvailles.
C’était ici. Dans ce périmètre, exactement circonscrit. Elle se tenait sur la chaussée, avec le passage zébré dans son dos. Clic-clac. Le feu-rouge devient un monument à côté duquel, je passe. Je pourrais presque souhaiter faire un détour pour augmenter le souvenir.
L’anecdote dérisoire peut fleurir et sa pauvreté se gonfler jusqu’au non-sens. Puisque tout fait sens aujourd’hui.
Dans la Recherche, Swann en soirée entendant citer une rue près de laquelle vit Odette, engage aussitôt la conversation, oblige l’interlocuteur à répéter le nom de rue dont il se grise et ouvre la discussion sur le quartier, jusqu’à atteindre son but : L’immeuble d’Odette. Il refait le chemin secret et écoute les noms qui le rapprochent magiquement de la présence convoitée. La soirée lui semblait terne, lourde d’obligations, elle vient de s’illuminer, il savoure le temps devenu chair de pensée. Mais chez Proust, le grand domaine amoureux, ce n’est pas la possession, ni l’imaginaire, c’est la jalousie. Et dans ces moments où Swann écoute parler du quartier d’Odette, il n’est pas en paix, une autre rue où vit un homme qu’elle connaît plante son aiguillon, l’agite de doutes nouveaux. Et le parcours se complique de la possibilité d’un tiers. Chez Proust, l’amour est un tourment. Aimer est une instabilité permanente.
Je n’ai jamais été très doué en amour, c’est qu’il se rencontre rarement, se lasse vite ou s’épuise avant de commencer. Je n’ai jamais aimé souffrir pour plaire, et pour moi, la limite naturelle au désir est justement la douleur qu’il comporte. Je ne peux voir de l’amour que son optimisme, sa valeur énergétique, son rapt léger qui insuffle.
Ce qui est doute, chagrin, rivalité, attente, malentendu, tout ce qui dans cet appel vers l’autre, se dérobe sans réponse claire d’un « oui » m’est insupportable.
Et bien que les instants de perplexité souvent m’aient permis de m’interroger sur la personnalité de l’aimée, d’aller plus avant dans cette forme de répétition qui est une sorte de torture douce, le ressassement d’une blessure, j’ai toujours reculé d’un grand pas émotionnel et perdu confiance au premier indice qu’il me faudrait souffrir et résister si je voulais m’approcher ou maintenir l’unité bancale d’une relation finissante.
Je crois qu’il faut abandonner avant. Et dès le premier signe.
Cela dit, je ne crois pas que la volonté puisse suffire et je ne crois pas aux résolutions négatives causées par une déception. J’ai plutôt l’habitude dans ces matières de rencontrer trois fois un mur et de persévérer sans changer.
Ainsi, il faut qu’une femme, dix fois répète ce que je ne veux pas entendre pour que je finisse par lâcher prise. Sans doute, suis-je de ceux qui rentrent loin dans leur hypnose et à qui, seule une gifle fait prendre conscience qu’ils déraillent.
L’amour se propage difficilement, le désamour agit vite, avec efficacité.
Le désamour n’est pas sujet au changement.
Ma bulle de savon émotionnelle détruite.
Je me présente succinctement après avoir lu de nombreux témoignages sur votre forum qui m'a beaucoup distrait et parfois appris. J'écris depuis des années en amateur pour moi-même et tiens un journal dont j'ai récemment réuni toutes les pages concernant mes aventures amoureuses et l'histoire de mes sentiments, j'ai ensuite coupé et mélangé ces notes. Le texte fait 10 pages. J'ai conscience que c'est trop long pour un forum, mais je n'ai pu me résoudre à le réduire davantage, vu qu'il s'agit d'une oeuvre d'art !!!
Bonne lecture. En espérant ne pas vous déranger et vous apporter quelque plaisir esthétique ou de réflexions par cette lecture inattendue d'un parisien qui a vécu ce qu'il décrit.
Mon amour est entièrement physique. Non dans le sens où il ne serait qu’un désir, mais en ce qu’il me dépasse.
Quand je la vois, je suis envahi.
Lorsqu’elle part, sa présence se renforce. Cette nuit, j’ai mal dormi. Elle était en moi. Physiquement et par la pensée, j’étais à l’intérieur d’une sensation englobante contre laquelle, il n’y avait pas d’autre lutte que de la laisser faire.
Une forme de nervosité épidermique, comme pour l’enfant, l’attente du soir de Noël. Sauf qu’ici, une femme. Mieux qu’un jouet.
Elle a du pouvoir. C’est une sorte de joie que je prends à sa compagnie, une rondeur qui l’accompagne, qui assouplit le monde.
Baume, bienfait, légèreté de la complétude.
Il ne se passe rien. Je parle, elle écoute, répond, sourit, se confie. Je ne sais rien de ce qu’elle ressent. Aucune idée. Est-elle en accord ? S’amuse-t-elle ? Je ne sais pas.
Si je lui plais ? Si elle partage ? Je l’ignore.
C’est injuste la séduction, un jugement ou un ressassement. Il est injuste d’aimer. C’est injuste pour moi de fleurir et injuste aussi la froideur inexpliquée, le non-sentiment provoquée par des rencontres passées, où je fus fuyant.
Ce soir, je me sens calme, détaché. Le lien se détisse. Je peux repenser à mes expériences amoureuses passées. En remontant depuis le lycée, refaire le parcours de ce que je sais et mélanger des copiés-collés.
J’aime une tonalité étonnée de son regard, la finesse et des qualités intrinsèques dont elle n’a pas idée… Que faire de cet embarras nouveau qui devrait durer ? Comment être à la hauteur de l’égalité entre nous ?
Voyons, voyons comment se casse davantage la glace entre des êtres doux qui sont prêts à s’aimer mais ignorent ce qui les attend…
Voyons si l’amour nous sculpte d’une haleine chaude ou s’il nous déforme à l’usage…
Rencontré A, nous avons dansé dans le noir, dans le salon avant de nous allonger. Elle m’a tout de suite apprécié, c’est une fille sérieuse qui cherche à être doucement bousculée.
J’ai développé une grande envie d’elle (je la connais depuis 3 semaines), rapidement tel un havre entrevu. Et je crois pouvoir l’aider aussi à mettre du romanesque dans son existence rangée.
L’amour sororale et sensuel pourrait nous lier.
Elle me plait, c’est une créature pointue, très mince et qui est venue chez moi arborant un superbe pantalon rouge, maquillée, et joliment inquiète de se donner. A tel point que la rencontre a manqué d’avorter et que dans son stress elle a pris la fuite 40 minutes avant de revenir dans sa fraîcheur retrouvée.
Etre aimé, s’entendre dire qu’on est beau, quand ce n’est pas ce qu’on voit dans la glace, être un amant, inquiet de chaque soupir, voilà un drame amusant. Dommage que je sois encore personnage, et que je débute dans le rôle.
Etre aimé par une femme timide qui se déshabille, voilà une épreuve…
Dans trois jours, à Marseille avec A. Elle a été très belle au restaurant, elle parlait de son travail avec couleur et modestie. Je me suis vu quelques instants au matin, ressemblant à une statue d’amant. Nous avons beaucoup à apprendre. Et une pente commune.
Il y a longtemps, j’étais allongé sur le lit. Elle me donna une cerise, dans la bouche en me disant qu’elle m’aimait. J’avais dix-sept ou dix-huit ans et je me suis relevé, fâché, lui disant d’arrêter. Gamine, tu ne m’auras pas en minaudant. J’étais ainsi. Tel le petit garçon qui n’aime pas les filles. Car elles passent leur temps à la marelle. J’étais toujours celui dans le préau qui ne veut rien avoir à faire avec ces créatures. C’était encore un jeu. Des différences dans nos jeux qui nous opposaient. Et la sexualité ne suffisait pas à aimanter les jointures, à réparer de son beurre les malentendus. J’étais à l’école non-mixte, catholique. Unisexe. Peut-être est-ce la cause de ma lenteur à m’intéresser aux femmes.
La recette de l’insistance. Avec un chat noir pour dessert. A éviter.
Le harcèlement arrive vite. Il faudrait écouter les femmes dans les instants où on cesse de les comprendre. C’est dans ces moments qu’elles disent la vérité.
C’est une pliure à prendre, plus simple que de se casser par des cris, que d’écouter ce qui déplait.
Il ne faut jamais les affronter, elles gagnent. Cela blesse les hommes que le sexe dit faible l’emporte. Ne pas comprendre rend méchant. La guerre peut continuer. Les deux sexes se valent dans leur cruauté respective.
J’ai un principe, ce que je ne comprends pas chez une femme, je lui laisse. Et j’attends qu’elle revienne avec ses propres résultats. Qui sont souvent bons.
Le plaisir de sa compagnie. Chez moi est intense. Il ne varie pas. Il est à son maximum et reste constant. Je suis détendu et en ligne droite, à pleine puissance. Sans aucun temps mort, sans aucun cahot. C’est un état que je connais aussi dans la solitude, cette complétude, béatitude, hébétude, mais qui m’est nouveau avec une femme. Dans ce type de microclimat.
Il me semble que je l’éveille. Que j’agis sur elle. Qu’elle est un lustre au travers de moi qui brille. Qu’elle devient comme disait Dietrich après avoir vu Welles : Une plante arrosée.
Emerson dit que les femmes veulent être vues, que cachées, elles dépérissent.
Cela explique nombres de leurs attitudes. Et les rend sensibles à celui qui braque le projecteur.
Ambivalence du sentiment envers A.
Elle pourrait devenir ma femme, je pourrais aussi la quitter. Ce que nous avons déjà vécu suffit aux souvenirs. Je l’aime et pourrais ne plus la revoir. C’est le démon de l’amour et ses soubresauts qui s’expriment.
Au téléphone, je lui ai vaguement parlé de cet état flottant où j’étais, elle a répondu par la même lassitude indécise.
Vin blanc. Fromages. Cigarettes. Un chat.
Et la jeune fille pour achèvement du tableau. Dans la lumière ici très forte de la fin d’après-midi, face au grand rectangle dessiné au mur. Tandis que flottent nos paroles. C’est une forme de sport énergétique que nos échanges. Belle partenaire.
Elle est très vive ce soir, malgré son visage fatigué, elle prend des poses de biais et ramène sa chevelure sur sa joue pour se masser. Elle a de petits accessoires charmants. Au débotté, elle se met des boucles d’oreille, pince dans ses lobes deux oiseaux bleus fixés à une épingle. C’est la vérité. Je roucoule. Elle a un porte-monnaie noir en forme de poche avec un fermoir doré, il est tapissé de points rouges. Je mens. Ils étaient blancs. Et nous avons partagé l’addition.
Je m’aperçois depuis que je connais B que j’avais une conception erronée de l’amour construite par des années de solitude, d’inexpérience des femmes et d’une étrange érotomanie ne cherchant pas d’objet pour le dialogue, mais satisfaite jusqu’à l’impasse par son propre désir.
B répond, B existe, parfois aussi elle ne répond pas et n’existe plus. Et c’est ce qui la rend plus réelle, vivante et véritable. Que mes idées anciennes où l’autre n’était pas perçu, ni reconnu, ni vraiment apprécié qu’au travers de ce que je voulais.
Et donc la voici, hier, sonnant à la porte, superbement habillée comme j’aime, en veste de daim clair, contente et fraîche, savante, aimante, douce, ajoutant des adjectifs bénéfiques à son palmarès et à son empire, chez elle déjà chez moi, et m’incitant à la suivre ailleurs, entrée dans ma vie par la porte après avoir frappé.
La castration s’est bien passée. Elle a fait ça, avec tact. C’était hier et je me doutais que j’aurais à la subir. Elle l’a fait rapidement, sans torture excessive. C’est pour tous les prétendants au western sentimental comme moi, l’épreuve la plus difficile, presque une forme de rituel du passage à l’âge d’homme que de se laisser castrer sans hurlement.
Il paraît que ça repousse, mais en combien de temps ?
Je me coupe des questions. Je m’absorbe et de l’extérieur en place de la dépression, arrive l’événement qui me dirige vers un but. Je repeins la salle de bain et m’oublie dans l’acte crémeux du rouleau contre le mur. Une heure s’étale dans un geste simple, presque automatique. Mes soucis, une fois traités en artisan se vident de pensées nocives, l’oubli des problèmes façonne du concret. Je retourne ensuite au salon et c’est debout, tâché, pinceau en main, que je recommence mon amour à me demander combien d’appartements j’aurais à repeindre pour te supprimer.
Mon amour n’est qu’une souris affolée que tout aveugle dans sa cage, qui bondit au premier bruit, un animal miniature, nerveux et circonspect qui s’agite vainement à des préparatifs. Je la croyais morte, cette souris, d’un arrêt cardiaque après le dernier refus. Elle avait palpité puis s’était blottie, elle s’était mise en boule dans un angle pour qu’on la laisse mourir.
Mais voilà, elle revit. Et j’en suis ennuyé mais ses bonds, ses supplications, ses yeux implorants, son excitation de petit mammifère inquiet me sont devenus précieux. Et je suis content de la revoir courir, s’emballer dans sa roue.
Une crise a réenchanté la relation. Les sentiments négatifs partagés nous ont unit, nous ne voulions pas que l’amour s’arrête. Cette idée lui tordait le ventre, je me sentais plongé dans l’obscur, déchiré, luttant contre l’évidence.
Depuis cela va mieux,
Tu remplaces les autres femmes, tu les éclipses dans la monogamie de la complétude. La tendresse nous isole dans des draps particuliers.
J’ai bien connu l’amour, me dit-il, et c’est ainsi que je me suis aperçu qu’il ne m’intéressait pas, que j’avais peu de goût pour son loisir paisible, et que sitôt quittée ma promise, je l’oubliais, pouvant reporter jusqu’à la semaine suivante, un autre rendez-vous. Il me l’aurait fallu le week-end et à petite dose, comme un passe-temps.
Pire, il arrivait que ses gentillesses m’irritent, qu’un baiser me lasse, une attention douce devienne écoeurante et que je souhaite me retrouver seul, dégagé, sans compromis.
Souvent, à regret et en reculant, je la revoyais. Son sourire me désarmait, j’accédais à la domesticité et oubliant mes promesses de révolte, sentant combien était tendre son licol, j’accédais à des heures de rêverie troublante, où vivant l’intensité du moment présent, touchant sa peau, fusionnant dans sa délicatesse et appréciant sa sagesse, je me sentais amoureux, suivant un sentiment flottant de bercement.
La semaine prochaine. Plage. Pérégrinations immobiles aquatiques et poissons grillés en esprit pour la communion des couples. Natures et découvertes. Vices cachés. Conversations au balcon. Et l’immensité du sable sur nos corps de gloire.
A n’est pas chrétienne. Et rien dans sa sensibilité ne la pousse à comprendre la religion. Soit, immédiatement, elle voit derrière les théories, les hommes qui les prononcèrent, soit elle devine un masochisme, une froideur cachée dans les textes et les tableaux religieux.
Au lit, discutant sur l’oreiller, je lui dis qu’elle ne peut ressentir le besoin de pardon, de rédemption, étant sage par nature, ascète de naissance, sérieuse par le cœur, n’ayant pas péché, elle ignore l’appel forcément à la transformation. Sa transgression est l’amour, en ce sujet, elle explore plus loin que moi, elle y est versée davantage. Par l’amour, tout lui devient tolérable.
Et parfois, elle m’admire de sentir ce qu’elle ne comprend pas.
Comme me l’expliquait B, il ne faut pas discuter, il faut plier l’autre à sa volonté, le surplomber pour qu’il recule.
L’amour est la recherche d’un accord des températures. Si je bous, il faut qu’elle brûle. Si je tiédis, elle doit devenir tendre. Afin que l’accord dure, et qu’aucune rupture des climats n’altère le cadenas. Il n’y a que la froideur qui ne demande pas de jumeau.
A qui longtemps n’a pas aimé, je le sais d’expérience, l’amour fait figure de tempête. Il ne peut se retenir, toute la retenue d’eau saute d’un coup. Effet bouchon de champagne des sentiments comprimés.
Apollinaire est très beau dans ce sentiment. Mais le résultat fut triste.
On ne dit jamais que l’amour peut faire peur, qu’être aimé se refuse et que c’est même le cas presque toujours. Et que dans un lit, on ne partage au fond pas la même expérience.
Guillaume Apollinaire, un de mes auteurs favoris, pour ce qu’il est parfaitement à cheval entre les derniers rejetons de la tradition et les modernes. Dans une sorte de lyrisme moins verbal mais qui possède encore la croyance du texte. Contrairement aux doutes qui verront la ruine du poème contemporain.
Le poème aujourd’hui est entièrement négation de l’effet verbal, c’est un objet pauvre, faits par de vieux enfants avec des bâtons et des galets dans une aire-de-jeu, personne ne croit plus à ses jardins.
Ainsi en moi, j’ai crée un parc naturel pour espèce protégé. Je pourrais évidemment le détruire, replanter avec du ciment. Et me contenter d’une compagne, une aide à mes vieux jours, à mes vieux soirs, à mes besoins.
Mais j’aime trop ce jeu pour ne vouloir que gagner.
Cette fiction amoureuse me manquerait. Plus que son échec probable, c’est ce qu’elle réveille qui importe. Ce qu’elle soulève et m’inspire. Ces inventions que j’avais oubliées et qui reviennent en nombre, au son de sa voix.
Personne d’autre ne fait germer autant qu’elle. C’est très mystérieux. Pourquoi ? Qu’a-t-elle de particulier ?
Voudrais-tu qu’à mon âge je fasse de l’amour le vil apprentissage ?
Qu’un cœur qu’ont endurci la fatigue et les ans
Suivît d’un vain plaisir les conseils imprudents ?
(Racine. Bajazet)
Je vois combien tes vœux sont loin de mes pensées.
Je ne te presse plus, ingrat, d’y consentir.
Rentre dans le néant dont je t’ai fait sortir.
[...]
Ecoutez, je sens que je vous aime.
Le chemin est encore ouvert au repentir
Ne désespérez pas une amante en furie
S’il m’échappait un mot, c’est fait de votre vie.
(Racine. Bajazet)
Elle rêve de communauté d’esprit, de cercles de proches et de liens bâtis sur la reconnaissance. Elle est lasse de cette ville de la non-rencontre et des désirs rabotés.
Peut-être serons-nous adultes en même temps.
Bien qu’elle ne soit pas idiote, elle privilégie le non-langage, soit paresse, soit habitude, voici ce qu’elle écrit : Je dois aller un truc pour la perceuse.
Je commence à la connaître et donc à maîtriser son idiome qui est un constant refus du dialogue, elle écrit pour clore, pour séparer.
Elle écrit sans expression, sans imaginer qu’on la lise. Même dans ce détail d’un SMS informatif, pourtant il me semble qu’elle dit quelque chose. Qui est une non-émotion. Une forme de sécheresse informative qui contraste étrangement avec sa présence si ronde, tactile et veloutée.
Que pourrais-je faire avec une femme qui n’a pas de langage ? Dont le monde est entièrement physique et pour ainsi dire borné ?
Je ne suis pas assez physique pour remplir cette absence de verbe chez elle. Mes pieds ne sont pas assez ancrés, mon centre de gravité est très différent. Elle veut du solide. Elle veut des trucs avec une perceuse.
Je viens de commettre l’irréparable et de quitter brutalement A. Au milieu d’un repas, me suis levé, et j’ai claqué la porte. Non comme on prend la fuite, mais décidé à ne plus écouter le mal que je pouvais lui faire, prêt à assumer les conséquences.
Je suis arrivé chez elle vers 20h, dans un appartement silencieux et froid. La querelle n’a pas commencé immédiatement, à peine si l’agacement mutuel se fit entendre en préliminaire, pour annoncer l’énervement qui allait suivre.
Mais il est vrai que je me sens facilement observé quand je suis chez elle, par son regard qui oblige au respect. Et que parler, dès lors revient à trancher sur son calme d’ascète. Ce qui est un problème aussi pour elle, qui n’aime pas s’imposer, que toujours elle ressent mon mode de communication, comme une irruption. C’est une femme trop fade pour mes manières.
Dès le réveil, des ruminations. Il me semble qu’en choisissant la séparation hier, et d’abandonner A au camp de base, j’ai condamné l’expédition. C’est seul que je vais devoir grimper, sans aucun soutien. Quant à elle, j’imagine qu’elle est redescendue dans les plaines, après avoir paqueté sa tente et qu’elle pleure dans le train en me maudissant.
Fatigué, je pense à l’amour de soi, à l’amour de protection, à l’amour des objets d’art.
Moralité ??? Certaines catastrophes sont tragi-comiques et la parole est un matelas par lequel, on transforme les mauvaises chutes.
Misère des sentiments et joie du conflit. J’entends un couple dans la rue, chacun sur son trottoir se disputer. Je suis en hauteur, au balcon, j’observe un spectacle qui me concerne.
La femme est en tailleur noir, l’homme en basket. Elle porte des talons et clopine après lui pour le rattraper. J’ignore ce qu’elle a dit, comment elle l’a blessé d’une phrase qui devait couver depuis plusieurs semaines, toujours est-il qu’il s’enfuit agressivement, fâché à mort qu’elle ne l’ait pas connu et se soit permis l’attaque, l’incompréhension d’une juge sur un coupable.
Il la traite de mongole. Je n’ai besoin de personne. Dit-il.
Comment te dire que tu ne manques pas ?
Tout se remplace, cher objet de désir.
Demandez à une femme si elle vous aime. Non, monsieur et je ne sais pas même votre prénom. Cessez de me harceler. Voilà, vous vivrez l’échec. Mais reposez la question dix fois pour la même réponse, voilà un jeu divertissant. Une erreur pour peu qu’on l’accepte pour telle enrichit autant que la vérité qui conduit à une sagesse âpre, toujours il faut donner des coups de cornes contre le réel.
Ce matin, j’étais misogyne. Je le suis parfois pour contredire ma nature qui est de les aimer. Et je le suis également car elles sont insupportables et qu’il faut que je me dévoue à leur faire comprendre, puisque personne ne leur dit jamais qu’elles sont des émotives compliquées, soucieuses d’apparence et de correction ménagère sous leurs airs libres. Des vedettes qui périssent à quarante ans, sans le plus léger bagage.
Et que pour faire un trou dans le monde, un peu de rimmel qui escroque et ment n’est qu’un destin sexuel.
Eros est dans la mythologie fils de la pauvreté et de la richesse. (Socrate)
Pauvreté car il vit d’expédients, de troubles, d’angoisses fatales. (Penia).
Richesse (Poros) car il est le souverain bien pour celui qui l’a appelé. L’accomplissement réalisé, le bonheur humain manifesté.
Et c’est un enfant à peine pubère, un jeune adolescent.
Une heure de discussion avec A, d’impasses, de rejets, de pleurs et de compréhensions. Nous sommes à la radio deux voix qui s’écartent et se disputent, s’accordent puis se quittent. Je ne veux pas baisser le rideau et pourtant je suis devenu raisonnable, je me débats comme un poisson qui ne comprend pas l’air qu’elle respire, j’acquiesce. Et la nuit tombe quand elle raccroche.
Deux cœurs et deux sexes séparés par leur courage.
La séparation a été actée. Elle est arrivée en larmes, et j’étais ému également, la bouche tremblante. J’ai tout essayé pour la convaincre de rester, la philosophie, la fidélité, l’espérance mais elle est partie.
Regardant le chat, tandis qu’il voulait monter sur mes genoux, je dis : « Non, c’est fini entre nous, petit chat, je vais te remettre dans la rue. Tout est terminé. » Elle sourit vaguement.
Alors qu’elle s’apprête à partir, je la préviens, si tu franchis cette porte, nous ne nous reverrons jamais. Elle hésite, reviens sur ces pas, elle se tient dans le couloir. Il faut que je rentre chez moi. Dit-elle. Je vais te raccompagner. Ai-je répondu. Dans la rue, j’arrive à la faire rire par des acrobaties verbales. Nous nous serrons dans les bras en haut de l’escalator, mais elle refuse de m’embrasser et disparaît. Je n’ai presque pas dormi de la nuit. J’ai lu Novalis pour me calmer (son portrait de Clarisse).
Georg Simmel : L’amour immérité fait honte. Cette idée m’a frappé. Et en effet, repensant à des filles m’ayant aimé sans que je fasse rien pour elles, j’avais toujours été un peu méprisant comme ces adolescents dont la gloriole consiste à se vanter.
C’est avec tristesse, monsieur P, que nous vous annonçons la fin de l’aventure imaginaire que vous entreteniez.
Recevez ce faire-part, accrochez le au-dessus de votre bureau pour rappel à l’ordre, si vous deviez dans un moment d’oubli, vouloir vous brûler une centième fois.
L’amour m’avait rendu hyper-sensible, et je passais avec une désespérante facilité du bonheur enfantin de la possession ludique, aux amertumes de la punition, si m’était retiré ce doudou (fétiche) mental dont l’obtention dirigeait les trois-quarts de mes après-midis.
Je montais des montagnes russes dont les pentes changeaient journellement.
Etant peu expérimenté, Eros se jouait de moi, m’enseignant ses contradictions, m’apprenant ce qu’il nierait ensuite, en professeur paradoxal, il faisait miroiter ce qu’il briserait, il est même entré dans mes rêves (comme je l’ai raconté) pour m’octroyer la plus divine image, comme un leurre.
Et à chaque station triste, quand je pensais renoncer, il m’aiguillonnait menteur pour que je crois le but proche. Et toujours, il me donnait en excès pour mieux faire subir son manque.
Elle est amoureuse. Je n’ai pas eu d’efforts particuliers à faire pour qu’elle entre dans le ravissement. Il a suffit que je dise bonjour et j’étais aimé.
Cela ne tient pas à mes qualités personnelles, ni à des charmes foudroyants, mais je suppose à l’attente dans laquelle elle vivait avant notre rencontre.
Sans doute, était-elle gonflée d’espérance, et réceptive, suffisamment creusée par la solitude et les désagréments pour s’ouvrir au phénomène amoureux avant même qu’il ne commence. Préparé son être tendait vers le soulagement, au réconfort, à la passion du partage.
Je ne suis pas certain que ce soit moi qu’elle aime, peut-être est-ce l’idée de l’amour qu’elle aime à travers moi, qui suis seulement un représentant…
Aux inquiétudes amoureuses, il faut un tiers. Un extérieur qui interrompe la fascination pour la faire redescendre à terre, dans le réel où l’amoureux n’est pas. Ce rôle, c’est celui de l’ami, presque du frère qui connaît et modère. Qui dégrise.
Elle vient manger chez toi, la belle affaire. Il est encore temps qu’elle annule.
Depuis le temps que tu attends, si j’étais toi, j’éviterai les illusions. Il y a de fortes de chances pour ce que tu ressentes, ne la concerne pas. Lorsque je vous ai vu ensemble, c’est l’impression que j’ai eu. Je suis le seul dont tu acceptes une bonne gifle pour redescendre. Alors, je t’abaisse pour éviter que ce soit-elle.
L’amitié n’est pas le mensonge. Je te plains d’aimer. Tu dois souffrir pour des bêtises et des infériorités du sentiment. Je te souhaite de réussir. Mais je n’y crois pas. Je ne suis peut-être qu’un chien qui aboie pour protéger son maître, mais c’est mon naturel que de guider les aveugles.
Parlé longuement au téléphone avec B,
Je crois que je l’étonne, qu’elle a pressenti en moi une personnalité et des richesses qu’elle n’accorde pas aux inconnus, qu’elle se plait à me donner, son oreille, sa bouche et ses heures. Qu’elle ressent une attirance complexe de compréhension vers la totalité de l’autre. Qu’elle a saisi que je n’étais pas n’importe qui, me voyant, lors même que je n’étais personne.
La reconnaissance eut donc lieu.
Puissance des émotions amoureuses : Je ne peux plus dormir. La pensée m’échappe. Colère, tristesse, lucidité, énervement, rabâchage, vengeance. Absolument tout ce que je vois est immédiatement rattaché au sujet qui me préoccupe. Je regardais la télévision et 25 programmes différents firent allusion à A ! Rien n’est neutre, indifférent, tout est contaminé.
La souffrance n’est pas si vive. Je ne souffre pas vraiment, c’est autre chose. Une monomanie. Un délire. Je la traite de sorcière, puis l’imagine ministre.
Perte de contrôle et fonction dévoratrice de l’émotion principale qui phagocyte les autres.
Je ne dors pas et ne ressens pas de fatigue. Je me nourris peu. Je dois presque me forcer pour manger.
Puis je repense à la personne concrète qui provoque ce chaos, cette femme pourtant fluette, discrète, inoffensive qui n’avait pas ce pouvoir avant de partir et dont le manque est démesuré en proportion du poids concret de sa présence.
Pour bien jouer à la bataille, un art différent de la guerre, il faut une femme qui joue contre vous, incapable de tricher et qui accepte de perdre ou de gagner, en vous faisant comprendre à quel adversaire, elle s’adresse.
Avec A, nous avions des visions différentes de l’amour. Pour elle, il fallait qu’il soit partagé et maintenu, pour moi il existe même lorsqu’il cesse, il est donné dès le départ.
Je suis impressionnable mais je ne suis pas un amoureux. Je préfère la gentillesse et me rétracte vite. Je crains les blessures et n’accepte pas d’être dominé par la beauté. Je me grise facilement et repars vite avant même qu’il y ait contact. Je suis prude et entreprenant.
Un visage vu de près est un problème. La peau se dilate, le nez s’agrandit, les joues s’élargissent, trois poils apparaissent que ne filtrera pas photoshop mais seulement le charme. Ou la force supérieur d’un désir de se rapprocher, de coller, s’aboucher, de faire cuillère. Malgré tout.
Demain, j’écrirai si elle donne signe de vie. Et comme, elle n’en donnera pas, j’aurais mieux à faire. Je dois voir mon fils et manger un kebab avec des amis. Dans un restaurant rôti où fume de la viande en broches, du riz et de l’harissa.
Quel jour est-on ?
Elle a la manie de me faire attendre. Il lui faut toujours deux jours pour me répondre et je m’impatiente, autant que devenant patient, je me lasse.
Mon idéal amoureux, je l’ai connu au lycée, car quoiqu’il arrivât entre nous, j’étais certain de la revoir dès le lendemain et d’ajouter un épisode. J’étais d’une fraîcheur impressionnable et nous nous ressemblions. Je me souviens de la peur que j’ai ressentie, la première fois où je l’ai appelé sur un téléphone à cadran et qu’en composant, les sept chiffres du numéro, je suis passé du courage, à la prostration, de l’abattement à la témérité. J’ai raccroché plusieurs fois, en cours de composition avant de renoncer.
Ensuite, l’homme timide étant cette cocotte-minute qui risque l’implosion s’il n’agit pas, j’ai fini par téléphoner. Une petite voix m’a répondu, sûre d’elle et peu surprise. A l’aise et comme habituée aux appels inopinés.
Je lui en ai voulu de ne pas trembler davantage.
Suis-je encore capable d’amour ? De sacrifier à cet état imaginaire mon temps ? Ne suis-je pas plutôt aujourd’hui matérialiste ? Prêt à substituer au cheminement compliqué de désirs, de retards et de vexations, le couperet d’une réponse claire ? Veux-tu ? Voyons-nous ou n’en parlons plus.
Ne suis-je pas devenu démocrate en amour comme ces gens que je conchiais plus jeune et qui remplacent l’un(e) par l’autre, qui réfléchissent l’offre et la demande et l’indexent sur leur emploi du temps ?
Un test comparatif a récemment prouvé que passé une certaine heure, grâce aux boissons, à la danse, l’idée même de choisir, d’élire se révélait inopérant. Qu’il n’existait que des permissivités cadrant avec les humeurs dans un monde de reflets.
Dans le métro, au printemps, à Paris, aux Buttes-Chaumont, au jardin du Luxembourg, des milliers de partenaires. Des bourgeons et des socquettes. De jeunes moustaches et des aisselles rasées. Unis dans le même amour général du oui aux rencontres.
Et moi ? Où suis-je ? Jeune divorcé, détrompé de l’amour mais amoureux d’une femme qui est partie, je retrouve ce soir dans la rue, C qui m’invite. Je perds mon temps, je me rends disponible, j’ennuie les gens, ils m’interrompent.
Je déteste l’amour. Il est injuste, frivole, aussi obsédant que l’horoscope ou la météo.
Je m’appelle R, je suis propriétaire d’un appartement sans muscle, d’une grande bibliothèque et d’une discothèque de huit étages avec vue sur les toits de Paris, il y a des courants d’air où vivent des hommes de fumée.
Quand elle est entrée, je ne l’ai pas reconnu, j’avais oublié son visage et il m’a surpris. Elle était comme d’habitude très féminine et quasiment pieds nus dans des sandales tressées.
Sa présence n’est pas venue à moi tout de suite, elle s’est installée progressivement mais à la fin, elle rayonnait, j’étais à son service, naturellement attiré par cette moitié dorée, parfumée, sous son attraction.
Ni sexuelle, ni mentale, son attirance, quoique dans la rue, je me sois demandé, sans rire ni glousser à quoi ressemblait sa chatte. Et me sois arrêté avant de trop descendre dans cette voie.
Maintenant, il faudra être sage, progresser comme dit le Tao en renard sur la glace. Ne pas déraper, ne pas être pris au piège des sentiments, ne pas s’énerver de désirs mais traverser, passer de l’autre côté intact, irrésistible. Vers la neige où on s’endort l’œil renversé.
Je me souviens de ce feu rouge, du goudron de la chaussée, d’un trou banal avec une flaque, d’une poubelle verte comme le décor d’un lieu où je l’aimais. C’est encore un jeu. Je suis à l’endroit précis de la rencontre, venu aux retrouvailles.
C’était ici. Dans ce périmètre, exactement circonscrit. Elle se tenait sur la chaussée, avec le passage zébré dans son dos. Clic-clac. Le feu-rouge devient un monument à côté duquel, je passe. Je pourrais presque souhaiter faire un détour pour augmenter le souvenir.
L’anecdote dérisoire peut fleurir et sa pauvreté se gonfler jusqu’au non-sens. Puisque tout fait sens aujourd’hui.
Dans la Recherche, Swann en soirée entendant citer une rue près de laquelle vit Odette, engage aussitôt la conversation, oblige l’interlocuteur à répéter le nom de rue dont il se grise et ouvre la discussion sur le quartier, jusqu’à atteindre son but : L’immeuble d’Odette. Il refait le chemin secret et écoute les noms qui le rapprochent magiquement de la présence convoitée. La soirée lui semblait terne, lourde d’obligations, elle vient de s’illuminer, il savoure le temps devenu chair de pensée. Mais chez Proust, le grand domaine amoureux, ce n’est pas la possession, ni l’imaginaire, c’est la jalousie. Et dans ces moments où Swann écoute parler du quartier d’Odette, il n’est pas en paix, une autre rue où vit un homme qu’elle connaît plante son aiguillon, l’agite de doutes nouveaux. Et le parcours se complique de la possibilité d’un tiers. Chez Proust, l’amour est un tourment. Aimer est une instabilité permanente.
Je n’ai jamais été très doué en amour, c’est qu’il se rencontre rarement, se lasse vite ou s’épuise avant de commencer. Je n’ai jamais aimé souffrir pour plaire, et pour moi, la limite naturelle au désir est justement la douleur qu’il comporte. Je ne peux voir de l’amour que son optimisme, sa valeur énergétique, son rapt léger qui insuffle.
Ce qui est doute, chagrin, rivalité, attente, malentendu, tout ce qui dans cet appel vers l’autre, se dérobe sans réponse claire d’un « oui » m’est insupportable.
Et bien que les instants de perplexité souvent m’aient permis de m’interroger sur la personnalité de l’aimée, d’aller plus avant dans cette forme de répétition qui est une sorte de torture douce, le ressassement d’une blessure, j’ai toujours reculé d’un grand pas émotionnel et perdu confiance au premier indice qu’il me faudrait souffrir et résister si je voulais m’approcher ou maintenir l’unité bancale d’une relation finissante.
Je crois qu’il faut abandonner avant. Et dès le premier signe.
Cela dit, je ne crois pas que la volonté puisse suffire et je ne crois pas aux résolutions négatives causées par une déception. J’ai plutôt l’habitude dans ces matières de rencontrer trois fois un mur et de persévérer sans changer.
Ainsi, il faut qu’une femme, dix fois répète ce que je ne veux pas entendre pour que je finisse par lâcher prise. Sans doute, suis-je de ceux qui rentrent loin dans leur hypnose et à qui, seule une gifle fait prendre conscience qu’ils déraillent.
L’amour se propage difficilement, le désamour agit vite, avec efficacité.
Le désamour n’est pas sujet au changement.
Ma bulle de savon émotionnelle détruite.