- Dim Sep 23, 2007 9:10 pm
#16968
Bel-Ami est un roman dans lequel Georges Duroy, le personnage principal, que l’on suit quasiment tout le temps, grimpe l’échelle sociale dans le milieu du journalisme. Son ascension est en grande partie due aux femmes qu’il fréquente, qui en sont la clef. Petit à petit il prend conscience de son pouvoir de séduction et évolue rapidement.
L’argent et les femmes, tels sont sans doute les deux grand thèmes du livre.
Vous trouverez ci-dessous une petite présentation de l'oeuvre, sous l'angle de la séduction bien entendu, agrémentée de citations intéressantes.
[img]http://maupassant.free.fr/images/belamitn.jpg[/img]
Bel-Ami (1885)
Guy de Maupassant (1850-1893)
[size=150]L’ascension de Duroy : une échelle dont chaque barreau est une nouvelle conquête
[/size]
Quand le roman débute, Duroy vient d’arriver à Paris, normand d’origine (tout comme l’auteur), il laisse derrière lui une carrière d’officier dans l’armée et est monté à la capitale dans l’espoir de vite réussir. Fauché et un peu désabusé, il erre dans les rues en quête de bonne fortune.
[quote="Maupassant – Bel Ami (Première partie – Chapitre I)"]
Il avait envie maintenant de gagner les Champs-Élysées et l’avenue du Bois de Boulogne pour trouver un peu d‘air frais, sous les arbres ; mais un autre désir le travaillait, celui d’une rencontre amoureuse.
Comment se présenterait-elle ? Il n’en savait rien, mais il l’attendait depuis trois mois, tous les jours, tous les soirs. Quelques fois cependant, grâce à sa belle mine et à sa tournure galante, il volait, par-ci, par-là, un peu d’amour, mais il espérait toujours plus et mieux.
C’est donc avec ce sentiment d’ambition impalpable mais déterminée que l’on prend Duroy, la même sans doute que celle qui pousse un jour à dévorer des articles sur des sites de séduction et à s’inscrire sur un forum afin de se prendre en main le plus efficacement possible. C’est par une rencontre anodine (Forestier, un vieil ami croisé par hasard), qu’il va mettre un pied dans le milieu du journalisme. Symboliquement, il finira cette même soirée chez une fille, Rachel, séduite il est vrai bien plus par son joli minois que par sa verve. Ce qui fera dire à Forestier, telle une annonce prémonitoire :
[quote="Maupassant – Bel Ami (Première partie – Chapitre I)"]
« Dis donc mon vieux, sais-tu que tu as vraiment du succès auprès des femmes ? Il faut soigner ça. Ca peut te mener loin. »
[…]
« C’est encore par elles qu’on arrive le plus vite. »
Soigner son apparence, éternelle étape 1 quand on veut plaire, Forestier lui conseillera d’ailleurs de se procurer de nouveaux vêtements, on est loin d’un atelier relooking mais l’idée est la même. S’il veut évoluer, il y a des codes à respecter, et les plus basiques sont vestimentaires, ça me rappelle quelque chose…
Grâce à Forestier, il fait son premier pas dans le monde. Il y côtoie les femmes dont il rêvait, leur fait maladroitement ses premiers compliments, gagne en audace, se surprend à trouver cela plus simple qu’il ne l’imaginait, certaines scènes sont presque la description de ce que l’on peut ressentir quand on fait ses premiers openers.
Et comme tout ambitieux pressé, il se prend encore à rêver :
[quote="Maupassant – Bel Ami (Première partie – Chapitre III)"]
[…] ; il entrevoyait le triomphe au moyen d’évènements encore confus dans son esprit, qu’il saurait assurément faire naître et seconder.
[…]
Il s’était remis, sans s’en apercevoir, à rêvasser, comme il faisait chaque soir. Il imaginait une aventure d’amour magnifique qui l’emmenait, d’un seul coup, à la réalisation de son espérance. Il épousait la fille d’un banquier ou d’un grand seigneur rencontrée dans la rue et conquise à première vue.
Cela reflète à mon avis très bien ce sentiment que l’on a lorsque, fermant les yeux sur le travail à accomplir pour y parvenir, on se laisse aller à anticiper de manière complètement irréaliste ce que l’on pourrait faire, devenir ; on entrevoie l’issue, mais on occulte le chemin. C’est assurément un sentiment commun à bon nombre d’entre nous, au moment où l’on découvre la communauté. Puis viennent les premières difficultés, tout ne fonctionne pas exactement comme prévu, il faut faire plus d’efforts, c’est comme ça qu’on progresse, mais c’est un peu frustrant, il faut persévérer.
C’est exactement ce à quoi est bien vite confronté Duroy, notamment dans son nouvel emploi, au journal. Le succès tarde à venir. C’est encore la rencontre, et la conquête, d’une femme qui va marquer le franchissement d’une nouvelle étape pour lui.
[quote="Maupassant – Bel Ami (Première partie – Chapitre V)"]
On serra les mains des Forestier, et Duroy se trouva seul avec Mme de Marelle dans un fiacre qui roulait.
Il la sentait contre lui, si près, enfermée avec lui dans cette boîte noire, qu'éclairaient brusquement, pendant un instant, les becs de gaz des trottoirs. Il sentait, à travers sa manche, la chaleur de son épaule, et il ne trouvait rien à lui dire, absolument rien, ayant l'esprit paralysé par le désir impérieux de la saisir dans ses bras.
« Si j'osais, que ferait-elle ? » pensait-il. Et le souvenir de toutes les polissonneries chuchotées pendant le dîner l'enhardissait, mais la peur du scandale le retenait en même temps.
Elle ne disait rien non plus, immobile, enfoncée en son coin. Il eût pensé qu'elle dormait s'il n'avait vu briller ses yeux chaque fois qu'un rayon de lumière pénétrait dans la voiture.
« Que pensait-elle ? » Il sentait bien qu'il ne fallait point parler, qu'un mot, un seul mot, rompant le silence, emporterait ses chances ; mais l'audace lui manquait, l'audace de l'action brusque et brutale.
Tout à coup il sentit remuer son pied. Elle avait fait un mouvement, un mouvement sec, nerveux, d'impatience ou d'appel peut-être. Ce geste, presque insensible, lui fit courir, de la tête aux pieds, un grand frisson sur la peau, et, se tournant vivement, il se jeta sur elle, cherchant la bouche avec ses lèvres et la chair nue avec ses mains.
Elle jeta un cri, un petit cri, voulut se dresser, se débattre, le repousser ; puis elle céda, comme si la force lui eût manqué pour résister plus longtemps.
[…]
Il en tenait une, enfin, une femme mariée ! une femme du monde ! du vrai monde ! du monde parisien ! Comme ça avait été facile et inattendu !
Il s'était imaginé jusque-là que pour aborder et conquérir une de ces créatures tant désirées, il fallait des soins infinis, des attentes interminables, un siège habile fait de galanteries, de paroles d'amour, de soupirs et de cadeaux. Et voilà que tout d'un coup, à la moindre attaque, la première qu'il rencontrait s'abandonnait à lui, si vite qu'il en demeurait stupéfait.
Tout est dit, si ce n’est pas la description d’un AFC prenant conscience de la réalité, ça y ressemble grandement !
Cette nouvelle étape va permettre à Duroy d’affirmer sa position sociale. Il va accroître sa confiance en lui et magnifier son ambition, qui ne le quitte jamais : plus il en a, plus il en veut.
Il subira bien quelques revers, comme le refus catégorique d’une autre des femmes qu’il fréquente d’être son amante, lui proposant en revanche d’être bonne amie, ce qui sera le cas, mais ce ne sera que pour mieux l’épouser ensuite, à la mort du mari, s’emparant par là même de la position de ce dernier au sein du journal.
Toujours le même principe : nouvelle femme, nouvelle étape de l’ascension, et, la réussite appelant la réussite, toujours plus d’aisance à séduire. Duroy est de plus en plus riche et de plus en plus reconnu, mais ce n’est jamais assez pour sa soif de conquête.
C’est maintenant avec une assurance à toute épreuve et une froideur redoutable, qu’il gère son cheminement. Il a perdu toute sa réserve psychologique pour penser avec pragmatisme. Contrairement à ses début, son jugement des femmes est dorénavant dénué de tout lyrisme :
[quote="Maupassant – Bel Ami (Deuxième partie – Chapitre III)"]
Il regardait la plus jeune des demoiselles Walter, et pensait: « Elle n'est pas mal du tout, cette petite Suzanne, mais pas du tout. » Elle avait l'air d'une frêle poupée blonde, trop petite, mais fine, avec la taille mince, des hanches et de la poitrine, une figure de miniature, des yeux d'émail d'un bleu gris dessinés au pinceau, qui semblaient nuancés par un peintre minutieux et fantaisiste, de la chair trop blanche, trop lisse, polie, unie, sans grain, sans teinte, et des cheveux ébouriffés, frisés, une broussaille savante, légère, un nuage charmant, tout pareil en effet à la chevelure des jolies poupées de luxe qu'on voit passer dans les bras de gamines beaucoup moins hautes que leur joujou.
La sœur aînée, Rose, était laide, plate, insignifiante, une de ces filles qu'on ne voit pas, à qui on ne parle pas et dont on ne dit rien.
Fin calculateur, il s’attaque à la femme du directeur du journal, qui, comme les autres, ne lui résiste pas longtemps. Sa position ne cesse de s’améliorer et il finit par séduire Suzanne, la fille du directeur du journal, qu’il épouse triomphalement, non sans avoir forcé la mains à ses parents. Et cette nouvelle conquête, dont la consécration conclut le roman, laisse présager pour Du Roy la députation, comme nouvelle étape de son incessante ascension.
[size=150]« Je suis Georges Duroy »[/size]
J’ai lu Bel-Ami une dizaine de fois, bien avant de découvrir FTS, et j’avoue avoir, à l’époque, retiré beaucoup de cette œuvre. On y pressent des choses (conceptualisées par la suite au contact de la communauté).
« Je suis Georges Duroy », je me souviens m’être tout à coup dit cette phrase un jour pour me décider, alors que j’hésitait à passer un coup de fil à une fille. Ca peut paraître un peu niais, j’en conviens, mais résume assez bien que le roman, et son personnage principal, est imprégné d’un certain état d’esprit que j’avais perçu comme étant plus ou moins idéal, même si j’avais du mal à en concrétiser le sens.
Bien sûr Duroy est arriviste, il a, selon les convenances, un sens douteux de la morale, le but de Maupassant n’était pas de générer un modèle, de créer un héros vertueux transmettant de « bonnes » valeurs.
Comme il le dit lui même (se défendant d’avoir voulu critiquer le monde du journalisme) :
[quote="Guy de Maupassant (Aux critiques de « Bel-Ami ». Texte publié dans Gil Blas du 7 juin 1885)"]
J'ai voulu simplement raconter la vie d'un aventurier pareil à tous ceux que nous coudoyons chaque jour dans Paris, et qu'on rencontre dans toutes les professions existantes.
[...]
Je le prends au moment où il va se faire écuyer dans un manège. Ce n'est donc pas la vocation qui l'a poussé. J'ai soin de dire qu'il ne sait rien, qu'il est simplement affamé d'argent et privé de conscience. Je montre dès les premières lignes qu'on a devant soi une graine de gredin, qui va pousser dans le terrain où elle tombera. Ce terrain est un journal.
[...]
Il n'a aucun talent. C'est par les femmes seules qu'il arrive.
[…]
Donc, devenu journaliste par hasard, par le hasard d'une rencontre, au moment où il allait se faire écuyer, il s'est servi de la Presse comme un voleur se sert d'une échelle. S'ensuit-il que d'honnêtes gens ne peuvent employer la même échelle ?
[...]
Voulant analyser une crapule, je l'ai développée dans un milieu digne d'elle afin de donner plus de relief à ce personnage. J'avais ce droit absolu comme j'aurais eu celui de prendre le plus honorable des journaux pour y montrer la vie laborieuse et calme d'un brave homme.
Cela transparaît aussi dans l’œuvre elle même :
[quote="Maupassant – Bel-Ami (Première partie – Chapitre III)"]
Ses camarades disaient de lui : « C'est un malin, c'est un roublard, c'est un débrouillard qui saura se tirer d'affaire. » Et il s'était promis en effet d'être un malin, un roublard et un débrouillard.
Sa conscience native de Normand, frottée par la pratique quotidienne de l'existence de garnison, distendue par les exemples de maraudages en Afrique, de bénefs illicites, de supercheries suspectes, fouettée aussi par les idées d'honneur qui ont cours dans l'armée, par les bravades militaires, les sentiments patriotiques, les histoires magnanimes racontées entre sous-offs et par la gloriole du métier, était devenue une sorte de boîte à triple fond où l'on trouvait de tout.
Mais le désir d'arriver y régnait en maître.
Egalement, dans la bouche de l’une de ses conquêtes :
[quote="Maupassant – Bel-Ami (Deuxième partie – Chapitre X)"]
Elle murmura, frémissante
« Oh ! comme tu es roué et dangereux, toi ! »
Il se remit à sourire :
« Parbleu ! Les imbéciles et les niais sont toujours des dupes ! »
Mais elle suivait son idée :
« Comme j'aurais dû te deviner dès le commencement. Mais non, je ne pouvais pas croire que tu serais crapule comme ça. »
Il prit un air digne:
« Je te prie de faire attention aux mots que tu emploies. »
Elle se révolta contre cette indignation :
« Quoi! tu veux que je prenne des gants pour te parler maintenant ! Tu te conduis avec moi comme un gueux depuis que je te connais, et tu prétends que je ne te le dise pas ? Tu trompes tout le monde, tu exploites tout le monde, tu prends du plaisir et de l'argent partout, et tu veux que je te traite comme un honnête homme ? »
Mais au delà du type d’homme dépeint : une « crapule », une « graine de gredin », qui n’a rien d’enviable, c’est son détachement, son charisme, les croyances qui le transportent, qu’il faut s’attacher à repérer, et dans le sillage desquelles il faut s’inscrire.
Après tout, l’état d’esprit, la philosophie du player a quelques traits communs avec celui d’un homme sans scrupules, certaines valeurs en plus (qui ne sont pas les mêmes pour tous).
[quote="Maupassant – Bel-Ami (Deuxième partie – Chapitre II)"]
Puis, peu à peu, une espèce de calme se fit en son esprit, et se roidissant contre sa souffrance, il pensa : « Toutes les femmes sont des filles, il faut s'en servir et ne rien leur donner de soi. »
L'amertume de son cœur lui montait aux lèvres en paroles de mépris et de dégoût. Il ne les laissa point s'épandre cependant. Il se répétait: « Le monde est aux forts. Il faut être fort. Il faut être au-dessus de tout. »
Pour plus d'informations sur Guy de Maupassant et l'intégrale de son œuvre, vous pouvez consulter [url=http://maupassant.free.fr]ce site[/url].
L’argent et les femmes, tels sont sans doute les deux grand thèmes du livre.
Vous trouverez ci-dessous une petite présentation de l'oeuvre, sous l'angle de la séduction bien entendu, agrémentée de citations intéressantes.
[img]http://maupassant.free.fr/images/belamitn.jpg[/img]
Bel-Ami (1885)
Guy de Maupassant (1850-1893)
[size=150]L’ascension de Duroy : une échelle dont chaque barreau est une nouvelle conquête
[/size]
Quand le roman débute, Duroy vient d’arriver à Paris, normand d’origine (tout comme l’auteur), il laisse derrière lui une carrière d’officier dans l’armée et est monté à la capitale dans l’espoir de vite réussir. Fauché et un peu désabusé, il erre dans les rues en quête de bonne fortune.
[quote="Maupassant – Bel Ami (Première partie – Chapitre I)"]
Il avait envie maintenant de gagner les Champs-Élysées et l’avenue du Bois de Boulogne pour trouver un peu d‘air frais, sous les arbres ; mais un autre désir le travaillait, celui d’une rencontre amoureuse.
Comment se présenterait-elle ? Il n’en savait rien, mais il l’attendait depuis trois mois, tous les jours, tous les soirs. Quelques fois cependant, grâce à sa belle mine et à sa tournure galante, il volait, par-ci, par-là, un peu d’amour, mais il espérait toujours plus et mieux.
C’est donc avec ce sentiment d’ambition impalpable mais déterminée que l’on prend Duroy, la même sans doute que celle qui pousse un jour à dévorer des articles sur des sites de séduction et à s’inscrire sur un forum afin de se prendre en main le plus efficacement possible. C’est par une rencontre anodine (Forestier, un vieil ami croisé par hasard), qu’il va mettre un pied dans le milieu du journalisme. Symboliquement, il finira cette même soirée chez une fille, Rachel, séduite il est vrai bien plus par son joli minois que par sa verve. Ce qui fera dire à Forestier, telle une annonce prémonitoire :
[quote="Maupassant – Bel Ami (Première partie – Chapitre I)"]
« Dis donc mon vieux, sais-tu que tu as vraiment du succès auprès des femmes ? Il faut soigner ça. Ca peut te mener loin. »
[…]
« C’est encore par elles qu’on arrive le plus vite. »
Soigner son apparence, éternelle étape 1 quand on veut plaire, Forestier lui conseillera d’ailleurs de se procurer de nouveaux vêtements, on est loin d’un atelier relooking mais l’idée est la même. S’il veut évoluer, il y a des codes à respecter, et les plus basiques sont vestimentaires, ça me rappelle quelque chose…
Grâce à Forestier, il fait son premier pas dans le monde. Il y côtoie les femmes dont il rêvait, leur fait maladroitement ses premiers compliments, gagne en audace, se surprend à trouver cela plus simple qu’il ne l’imaginait, certaines scènes sont presque la description de ce que l’on peut ressentir quand on fait ses premiers openers.
Et comme tout ambitieux pressé, il se prend encore à rêver :
[quote="Maupassant – Bel Ami (Première partie – Chapitre III)"]
[…] ; il entrevoyait le triomphe au moyen d’évènements encore confus dans son esprit, qu’il saurait assurément faire naître et seconder.
[…]
Il s’était remis, sans s’en apercevoir, à rêvasser, comme il faisait chaque soir. Il imaginait une aventure d’amour magnifique qui l’emmenait, d’un seul coup, à la réalisation de son espérance. Il épousait la fille d’un banquier ou d’un grand seigneur rencontrée dans la rue et conquise à première vue.
Cela reflète à mon avis très bien ce sentiment que l’on a lorsque, fermant les yeux sur le travail à accomplir pour y parvenir, on se laisse aller à anticiper de manière complètement irréaliste ce que l’on pourrait faire, devenir ; on entrevoie l’issue, mais on occulte le chemin. C’est assurément un sentiment commun à bon nombre d’entre nous, au moment où l’on découvre la communauté. Puis viennent les premières difficultés, tout ne fonctionne pas exactement comme prévu, il faut faire plus d’efforts, c’est comme ça qu’on progresse, mais c’est un peu frustrant, il faut persévérer.
C’est exactement ce à quoi est bien vite confronté Duroy, notamment dans son nouvel emploi, au journal. Le succès tarde à venir. C’est encore la rencontre, et la conquête, d’une femme qui va marquer le franchissement d’une nouvelle étape pour lui.
[quote="Maupassant – Bel Ami (Première partie – Chapitre V)"]
On serra les mains des Forestier, et Duroy se trouva seul avec Mme de Marelle dans un fiacre qui roulait.
Il la sentait contre lui, si près, enfermée avec lui dans cette boîte noire, qu'éclairaient brusquement, pendant un instant, les becs de gaz des trottoirs. Il sentait, à travers sa manche, la chaleur de son épaule, et il ne trouvait rien à lui dire, absolument rien, ayant l'esprit paralysé par le désir impérieux de la saisir dans ses bras.
« Si j'osais, que ferait-elle ? » pensait-il. Et le souvenir de toutes les polissonneries chuchotées pendant le dîner l'enhardissait, mais la peur du scandale le retenait en même temps.
Elle ne disait rien non plus, immobile, enfoncée en son coin. Il eût pensé qu'elle dormait s'il n'avait vu briller ses yeux chaque fois qu'un rayon de lumière pénétrait dans la voiture.
« Que pensait-elle ? » Il sentait bien qu'il ne fallait point parler, qu'un mot, un seul mot, rompant le silence, emporterait ses chances ; mais l'audace lui manquait, l'audace de l'action brusque et brutale.
Tout à coup il sentit remuer son pied. Elle avait fait un mouvement, un mouvement sec, nerveux, d'impatience ou d'appel peut-être. Ce geste, presque insensible, lui fit courir, de la tête aux pieds, un grand frisson sur la peau, et, se tournant vivement, il se jeta sur elle, cherchant la bouche avec ses lèvres et la chair nue avec ses mains.
Elle jeta un cri, un petit cri, voulut se dresser, se débattre, le repousser ; puis elle céda, comme si la force lui eût manqué pour résister plus longtemps.
[…]
Il en tenait une, enfin, une femme mariée ! une femme du monde ! du vrai monde ! du monde parisien ! Comme ça avait été facile et inattendu !
Il s'était imaginé jusque-là que pour aborder et conquérir une de ces créatures tant désirées, il fallait des soins infinis, des attentes interminables, un siège habile fait de galanteries, de paroles d'amour, de soupirs et de cadeaux. Et voilà que tout d'un coup, à la moindre attaque, la première qu'il rencontrait s'abandonnait à lui, si vite qu'il en demeurait stupéfait.
Tout est dit, si ce n’est pas la description d’un AFC prenant conscience de la réalité, ça y ressemble grandement !
Cette nouvelle étape va permettre à Duroy d’affirmer sa position sociale. Il va accroître sa confiance en lui et magnifier son ambition, qui ne le quitte jamais : plus il en a, plus il en veut.
Il subira bien quelques revers, comme le refus catégorique d’une autre des femmes qu’il fréquente d’être son amante, lui proposant en revanche d’être bonne amie, ce qui sera le cas, mais ce ne sera que pour mieux l’épouser ensuite, à la mort du mari, s’emparant par là même de la position de ce dernier au sein du journal.
Toujours le même principe : nouvelle femme, nouvelle étape de l’ascension, et, la réussite appelant la réussite, toujours plus d’aisance à séduire. Duroy est de plus en plus riche et de plus en plus reconnu, mais ce n’est jamais assez pour sa soif de conquête.
C’est maintenant avec une assurance à toute épreuve et une froideur redoutable, qu’il gère son cheminement. Il a perdu toute sa réserve psychologique pour penser avec pragmatisme. Contrairement à ses début, son jugement des femmes est dorénavant dénué de tout lyrisme :
[quote="Maupassant – Bel Ami (Deuxième partie – Chapitre III)"]
Il regardait la plus jeune des demoiselles Walter, et pensait: « Elle n'est pas mal du tout, cette petite Suzanne, mais pas du tout. » Elle avait l'air d'une frêle poupée blonde, trop petite, mais fine, avec la taille mince, des hanches et de la poitrine, une figure de miniature, des yeux d'émail d'un bleu gris dessinés au pinceau, qui semblaient nuancés par un peintre minutieux et fantaisiste, de la chair trop blanche, trop lisse, polie, unie, sans grain, sans teinte, et des cheveux ébouriffés, frisés, une broussaille savante, légère, un nuage charmant, tout pareil en effet à la chevelure des jolies poupées de luxe qu'on voit passer dans les bras de gamines beaucoup moins hautes que leur joujou.
La sœur aînée, Rose, était laide, plate, insignifiante, une de ces filles qu'on ne voit pas, à qui on ne parle pas et dont on ne dit rien.
Fin calculateur, il s’attaque à la femme du directeur du journal, qui, comme les autres, ne lui résiste pas longtemps. Sa position ne cesse de s’améliorer et il finit par séduire Suzanne, la fille du directeur du journal, qu’il épouse triomphalement, non sans avoir forcé la mains à ses parents. Et cette nouvelle conquête, dont la consécration conclut le roman, laisse présager pour Du Roy la députation, comme nouvelle étape de son incessante ascension.
[size=150]« Je suis Georges Duroy »[/size]
J’ai lu Bel-Ami une dizaine de fois, bien avant de découvrir FTS, et j’avoue avoir, à l’époque, retiré beaucoup de cette œuvre. On y pressent des choses (conceptualisées par la suite au contact de la communauté).
« Je suis Georges Duroy », je me souviens m’être tout à coup dit cette phrase un jour pour me décider, alors que j’hésitait à passer un coup de fil à une fille. Ca peut paraître un peu niais, j’en conviens, mais résume assez bien que le roman, et son personnage principal, est imprégné d’un certain état d’esprit que j’avais perçu comme étant plus ou moins idéal, même si j’avais du mal à en concrétiser le sens.
Bien sûr Duroy est arriviste, il a, selon les convenances, un sens douteux de la morale, le but de Maupassant n’était pas de générer un modèle, de créer un héros vertueux transmettant de « bonnes » valeurs.
Comme il le dit lui même (se défendant d’avoir voulu critiquer le monde du journalisme) :
[quote="Guy de Maupassant (Aux critiques de « Bel-Ami ». Texte publié dans Gil Blas du 7 juin 1885)"]
J'ai voulu simplement raconter la vie d'un aventurier pareil à tous ceux que nous coudoyons chaque jour dans Paris, et qu'on rencontre dans toutes les professions existantes.
[...]
Je le prends au moment où il va se faire écuyer dans un manège. Ce n'est donc pas la vocation qui l'a poussé. J'ai soin de dire qu'il ne sait rien, qu'il est simplement affamé d'argent et privé de conscience. Je montre dès les premières lignes qu'on a devant soi une graine de gredin, qui va pousser dans le terrain où elle tombera. Ce terrain est un journal.
[...]
Il n'a aucun talent. C'est par les femmes seules qu'il arrive.
[…]
Donc, devenu journaliste par hasard, par le hasard d'une rencontre, au moment où il allait se faire écuyer, il s'est servi de la Presse comme un voleur se sert d'une échelle. S'ensuit-il que d'honnêtes gens ne peuvent employer la même échelle ?
[...]
Voulant analyser une crapule, je l'ai développée dans un milieu digne d'elle afin de donner plus de relief à ce personnage. J'avais ce droit absolu comme j'aurais eu celui de prendre le plus honorable des journaux pour y montrer la vie laborieuse et calme d'un brave homme.
Cela transparaît aussi dans l’œuvre elle même :
[quote="Maupassant – Bel-Ami (Première partie – Chapitre III)"]
Ses camarades disaient de lui : « C'est un malin, c'est un roublard, c'est un débrouillard qui saura se tirer d'affaire. » Et il s'était promis en effet d'être un malin, un roublard et un débrouillard.
Sa conscience native de Normand, frottée par la pratique quotidienne de l'existence de garnison, distendue par les exemples de maraudages en Afrique, de bénefs illicites, de supercheries suspectes, fouettée aussi par les idées d'honneur qui ont cours dans l'armée, par les bravades militaires, les sentiments patriotiques, les histoires magnanimes racontées entre sous-offs et par la gloriole du métier, était devenue une sorte de boîte à triple fond où l'on trouvait de tout.
Mais le désir d'arriver y régnait en maître.
Egalement, dans la bouche de l’une de ses conquêtes :
[quote="Maupassant – Bel-Ami (Deuxième partie – Chapitre X)"]
Elle murmura, frémissante
« Oh ! comme tu es roué et dangereux, toi ! »
Il se remit à sourire :
« Parbleu ! Les imbéciles et les niais sont toujours des dupes ! »
Mais elle suivait son idée :
« Comme j'aurais dû te deviner dès le commencement. Mais non, je ne pouvais pas croire que tu serais crapule comme ça. »
Il prit un air digne:
« Je te prie de faire attention aux mots que tu emploies. »
Elle se révolta contre cette indignation :
« Quoi! tu veux que je prenne des gants pour te parler maintenant ! Tu te conduis avec moi comme un gueux depuis que je te connais, et tu prétends que je ne te le dise pas ? Tu trompes tout le monde, tu exploites tout le monde, tu prends du plaisir et de l'argent partout, et tu veux que je te traite comme un honnête homme ? »
Mais au delà du type d’homme dépeint : une « crapule », une « graine de gredin », qui n’a rien d’enviable, c’est son détachement, son charisme, les croyances qui le transportent, qu’il faut s’attacher à repérer, et dans le sillage desquelles il faut s’inscrire.
Après tout, l’état d’esprit, la philosophie du player a quelques traits communs avec celui d’un homme sans scrupules, certaines valeurs en plus (qui ne sont pas les mêmes pour tous).
[quote="Maupassant – Bel-Ami (Deuxième partie – Chapitre II)"]
Puis, peu à peu, une espèce de calme se fit en son esprit, et se roidissant contre sa souffrance, il pensa : « Toutes les femmes sont des filles, il faut s'en servir et ne rien leur donner de soi. »
L'amertume de son cœur lui montait aux lèvres en paroles de mépris et de dégoût. Il ne les laissa point s'épandre cependant. Il se répétait: « Le monde est aux forts. Il faut être fort. Il faut être au-dessus de tout. »
Pour plus d'informations sur Guy de Maupassant et l'intégrale de son œuvre, vous pouvez consulter [url=http://maupassant.free.fr]ce site[/url].