- Mer Mar 12, 2008 12:14 pm
#40535
Petits passages que je voulais partager :
[quote]
Etre aimé plus qu'on n'aime est une des croix de la vie. Parceque cela vous contraint soit à feindre un sentiment de retour qu'on n'éprouve pas, soit à faire souffrir par sa froideur et ses rebuts. De toutes façon une contrainte (et un homme comme moi ne peut pas se sentir contraint, sous peine de devenir malfaisant), et de toutes façons de la souffrance. Bossuet a écrit fortement : <<
On fait un tort irréparable à la personne qu'on aime trop.>> C'est presque ce que j'ai écrit moi-même : <<
Vouloir aimer sans être aimé, c'est faire plus de mal que de bien.>> La conséquence est dans La Rochefoucauld : <<
Nous sommes plus prêts d'aimer ceux qui nous haïssent, que ceux qui nous aiment plus que nous ne voulons. >> Et votre serviteur de conclure : on ne devrait jamais dire à quelqu'un qu'on l'aime, sans lui demander pardon.
Qui j'aime, me prend partie de ma liberté, mais là, c'est moi qui l'ai voulu ; et on éprouve tant de plaisir à aimer, qu'on y sacrifie de grand coeur quelque chose. Qui m'aime, me la prend toute. Qui m'admire (comme écrivain), risque de me la prendre. Je redoute même ceux qui me comprennent, et c'est pourquoi je passe mon temps à brouiller mes traces : à la fois dans ma vie privée, et dans la personnalité que j'exprime par mes livres. Ce qui m'aurait charmé, si j'avais aimé Dieu, c'est la pensée que Dieu ne me rend rien.
Je redoute tout autant faut-il le dire, un désir physique qui se porterait sur moi, sans que j'en pusse rendre l'équivalent.
[...]
Je sais si bien comme il est dur d'être aimé plus qu'on n'aime, que je me suis toujours surveillé beaucoups quand je sentais que j'aimais plus que je n'étais aimé. Cela m'est arrivé quelquefois, pardi, et aussi de sentir que mon désir n'était accueilli que par complaisance : on avait des scrupules, ou on était froide. Quel soin j'apportait alors à ce que ma présence fût légère, de quels pas de chat j'avançais, avec quelle attention je guettais le premier signe de lassitude, pour faire machine arrière, espacer les rencontres!...Si j'en souffrais, faut-il le dire? Mais je savais que cela étais vital pour mes affaires, que je perdrais tout en cherchant à m'imposer, et enfin que c'était moi qui étais dans mon tort, en aimant trop.
Je connais bien l'amour ; c'est un sentiment pour lequel je n'ai pas d'estime. D'ailleurs il n'existe pas dans la nature; il est une invention des femmes. Ma tête serait mise à prix, que je me sentirais plus en sécurité dans le maquis, comme une bête traquée, que réfugié chez une femme qui m'aime d'amour.
Mais il y a l'affection. Et il y a l'affection mêlée de désir, grande chose.
[...]
Et enfin je n'aime pas qu'on ait besoin de moi, intellectuellement, <<
sentimentalement >>, ou charnellement. L'inexplicable plaisir que des êtres éprouvent de ma présence, les diminue à mes yeux. Que voulez-vous que ça me fasse, de compter dans l'univers des autres!
[quote]
... A cette répugnance à être aimés, qu'ont certains hommes, je vois plusieurs raisons, contradictoires comme de juste, l'incohérence étant trait de mâle.
Orgueil. : Désir de
garder l'initiative. Dans l'amour qu'on nous porte, il y a quelquechose qui nous échappe, qui risque de nous sureprendre, peut-etre de nous déborder, qui attente à nous, qui veut nous manoeuvrer. Même dans l'amour, même en étant deux, on ne veut pas être deux, on veut rester seul.
Humilité, ou si le mot paraît trop fort, absence de fatuité. : L'humilité d'un homme lucide, qui ne se connaît pas tant de beauté ni tant de valeur, et trouve qu'il y a quelquechose de
ridicule à ce que ses moindres gestes, paroles, silences, etc., créent bonheur ou malheur. Quel injuste pouvoir on lui donne ! Je ne fais pas grand cas de quelqu'un qui ose penser tout haut : <<
Elle m'aime >>, qui n'essaye pas au moins de diminuer la chose en disant : <<
Elle se monte la tête sur moi. >> Par quoi sans doute il rabaisse la femme, mais ne le fait que parceq que d'abord il s'est rabaissé soi-même.
Sentiment que je rapproche, par exemple, de celui de l'écrivain qui trouverait
ridicule d'avoir des <<
disciples >>, parce qu'il sait de quoi est faite sa personnalité, et ce qu'il en retourne des <<
messages >>. Un homme digne de ce nom méprise l'influence qu'il exerce, en quelque sens qu'elle exerce, et
subit de devoir en exercer une, comme la rançon de sa tarentule de s'exprimer. Nous, nous voulons ne pas dépendre. Et nous estimerions les âmes qui se mettent sous notre dépendance? C'est par une haute idée de la nature humaine, qu'on refuse à être chef.
Dignité. : Gêne et honte du rôle
passif que joue un homme qui est aimé. Etre aimé, pense-t-il, est un état qui ne convient qu'aux femmes, aux bêtes et aux enfants. Se laisser embrasser, câliner, pressurer la main, regarder avec l'oeil noyé : pour un homme, pouah ! (La plupart des enfants eux-mêmes, si féminins qu'ils soient en France, n'aiment pas du tout qu'on les embrasse. Ils se laissent faire par politesse, et parce qu'il le faut bien, les grandes personnes étant plus musclées qu'eux. Leur impatience de ces suçotements n'échappe qu'au suçoteur, qui croit qu'ils en sont ravis.)
Désir de rester libre, de se préserver. : Un homme qui est aimé est prisonnier. Cela est trop connu, n'y insistons pas.
Pierre Costals (
Henry de Montherland - Les jeunes filles)