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Modérateurs: animal, Léo

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By Maurice
#154035 Un mouvement littéraire dont vous n'avez jamais entendu parler au lycée (trop subversif et puis, on ne sait jamais, vous auriez pu préférer ça au Nouveau roman, or on souhaite en haut lieu que la littérature soit perçue comme un truc pour vieilles filles névrosées - vos anciennes profs de français peuvent en témoigner) mais dont deux auteurs vous diront peut-être quelque chose - Antoine Blondin, Jacques Laurent, l'homme aux deux Goncourt...

Un extrait de son chef de file, Roger Nimier (1925-1962), mort dans son Aston Martin (mais il semble que ce fut cette folle du volant aux pieds nus, Sunsiaré de Larcône qui conduisait).

[quote]"Ils veulent nous persuader qu'on peut être fort dans un cabinet de travail. Ce sont des bohiscoutes, ils mentent. Dans un cabinet de travail, on n'est pas fort, on est puissant, c'est le contraire. Les puissants sont victimes de l'esprit de perfection qui les enchaîne au temps et fait de leur vie l'esclave de leur mort. On prétend que le pouvoir apporte avec lui ses gendarmes et que dix gendarmes sont plus forts que le plus intrépide des hommes. On oublie d'ajouter que les gendarmes vous gardent beaucoup plus qu'ils ne vous servent. Avec eux commence l'abstraction. On pense se faire le maquereau d'une grande idée. C'est l'idée qui vous possède. On s'amuse à conquérir des provinces pour l'amusement des hommes et, justement, dans ce but, il se trouve qu'on a besoin de son pire ennemi. On le ménage, on le cajole. Il faudrait l'étrangler.
J'éprouve, Dieu merci, une grande confiance dans la force physique. D'abord, il y a la peur des autres. J'accepte sa présence sans beaucoup y croire tant je la trouve stupide. Un enfant de sept ans comprendrait qu'un homme n'est pas une tragédie classique et que les larmes protègent mal des coups de poing. Il est vrai qu'ils adorent les coups. Quand on lui a cassé la gueule, le Français se sent bon.
Je me rappelle un type d'une quarantaine d'années... ses épaule effacées... Il parlait fort pour se rassurer. Je l'ai poussé devant moi et il a reculé encore plus vite. Alors il s'est trouvé coincé contre une porte de métro et il a compris qu'il devait se battre. Ils en sont tous là. La vanité, la mauvaise humeur, l'insouciance leur servent de porte de métro. Ils s'y adossent et l'on reconnaît les faibles à ce qu'ils se battent le dos au mur: autrement ils tomberaient. (...)
Je rencontre également des gens dont le métier est de se battre. Derrière leur petit oeil obtus, il ne peut bondir qu'une idée: le meilleur endroit pour frapper. Alors, faute d'avoir les muscles plus rapides, j'ai la morale plus vive. Quand ils se demandent s'ils vont me faire un croc-en-jambe, je les frappe dans le ventre. Lorsqu'ils balancent pour m'étrangler, je les atteins dans les couilles. Plus déloyal que ces policiers, ces boxeurs, je l'emporte assez souvent.
D'ailleurs, je préviens que je ne cherche pas à être l'homme le plus fort du monde. Qui parle de hiérarchie parle aussi de discipline, d'esclavage. J'ai dans l'idée que l'homme le plus fort du monde n'a presque jamais le temps de se battre, tant il passe de mois à s'entraîner. Au contraire, je ne m'entraîne jamais et je me bats. De cette habitude sont venues mes réflexions. Elles ne s'arrêtent pas là. "
Roger Nimier, Les Epées

Attention, littérature dangereuse que je vais découvrir moi aussi petit à petit au fil des mois...

[img]http://mauditseptembre62.hautetfort.com/album/roger-nimier/4122125390.jpg[/img]
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By Maurice
#154038 Tant mieux, Stéphane ;) !...

De ce groupe d'écrivains bouffeurs de vie, aux personnalités affirmées et diverses, unis cependant dans le monarchisme antigaulliste lorsque la politique ne les dégoûtait pas trop, êtres de passions brutes : pour le sport, pour l'alcool, pour les voyages, pour les voitures de course, pour les femmes ou pour leur femme, auquels ils finiront, pour certains par sacrifier leur vie. L'alcool emportant Antoine Blondel (lui, le meilleur journaliste qu'ait connu l'Equipe et qui a contribué à faire du Tour de France ce qu'il est devenu, l'auteur d'un Singe en hiver (Gabin/Belmondo, si ça vous dit quelque chose )), la mort de sa femme poussant au suicide Jacques Laurent, dont voici sa lettre d'adieu en 2000 :

[quote]« La décision de me suicider a été spontanée ; c’est l’exécution qui m’a posé des problèmes. Le plus atroce c’est cette saloperie d’instinct de survie. La Fontaine, qui fut le plus grand psychologue de son siècle, l’a résumé en quelques vers :

Qu’on me rende impotent/ Cul de jatte, gouteux, manchot, pourvu qu’en somme/ Je vive, c’est assez, je suis plus que content/ Ne viens jamais, ô Mort.

Alors que j’ai toutes les raisons d’en finir, que je n’en ai aucune de m’accrocher, je ne peux dissiper le halo de peur et de tristesse qui m’assiègent au moment d’accomplir l’acte décisif qui me soulagera de la mémoire d’Elisabeth. Cet acte ne devrait pas être redoutable puisqu’avant de naître, quand je n’existais pas je ne souffrais pas, et que je ne souffrirai pas davantage après ma mort quand je n’existerai plus. En face de moi je vois, quand je lève les yeux, une verdure, une tapisserie du XVIIème ou du XVIIIème siècle ; elle est peuplée de grands arbres dont les frondaisons s’étagent, s’embrassent au-dessus de buissons touffus qui servent d’écrin à un ruisseau languide au bord duquel joue un écureuil. Un complot a été organisé contre nous. A l’instinct de survie s’additionne le goût d’un certain nombre de choses qui vont d’une tapisserie à l’entrecuisse d’une femme, aux bords de la Loire, au coucher du soleil, à un raisonnement d’Aristote. »

Des 4 Hussards, reste vivant Michel Déon, dont la passion demeure le voyage, qui a nourri toute son oeuvre.

****

"Ils se délectent de la phrase courte dont ils se croient les inventeurs. Ils la manient comme s'il s'agissait d'un couperet. A chaque phrase, il y a mort d'homme". Bernard Frank.

Les Hussards (nom donné dans la revue ennemie sartrienne des Temps Modernes par Bernard Frank... qui recevra plus tard le prix Roger Nimier en se ralliant en quelque sorte au groupe devenant le seul "hussard de gauche" ! - doit-on rappeler qu'on se situe à Saint-Germain-des-Prés et que ces écrivains ennemis (existentialistes / hussards / nouveau roman) ne cessent de se côtoyer ?) ont été placés sous le double patronnage de Jacques Chardonne et Paul Morand.

Le noyau dur : Roger Nimier, Antoine Blondin, Michel Déon et Jacques Laurent.
Auteurs rattachés au groupe pour un temps : François Nourissier, Kléber Haedens, Stephen Hecquet, Roland Laudenbach, Jacques Perret, André Fraigneau, Félicien Marceau, Willy de Spens ou encore Guy Dupré.
Auteurs ayant participé à la Revue de la Table Ronde des hussards : François Mauriac, Jean Giono, Marcel Jouhandeau, Henry de Montherlant, Jean Paulhan et Jean Schlumberger.

Politiquement, ils se situent dans le prolongement de l'Action française déclinante.

Inspiration : Cardinal de Retz, Duc de Saint-Simon, Marcel Aymé, Stendhal, Alexandre Dumas, George Bernanos, Joseph Conrad.

Postérité : Patrick Besson, Eric Neuhoff, Denis Tillinac. Fabrice Luchini rend régulièrement hommage à ce mouvement littéraire.

(Source Wikipédia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Hussar ... C3%A9raire) )
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By Maurice
#154307 Parmi les héritiers, il me semble qu'on ne peut pas ne pas citer Philippe Muray, l'un des auteurs préférés de Luchini d'ailleurs.

[quote]C’est une fête de la non-musique, à l’extrême rigueur, qu’il fallait instaurer. Un jour sans le moindre son ! Une heure sans tambours ni trompettes ! Dans un univers que le bruit de la musique a englouti, c’était la seule chose qui aurait eu un peu d’allure. Et puis, non, il ne fallait rien faire du tout, rien instaurer surtout. La "fête" est toujours une obligation que l’on crée, un devoir de réciprocité que l’on impose, donc une attaque contre ce qui reste de liberté individuelle. Plus cette attaque prend le masque euphorique et harmonique de la prétendue "musique" de maintenant, dont la dictature est d’autant plus incontestable qu’elle se fonde sur les meilleurs sentiments (écologisme, antiracisme, humanitaire), et plus il faut la redouter. C’est, à la mafieuse, le genre d’offre effrayante qu’on ne peut pas refuser. Aucun individu lucide d’aujourd’hui, donc ennemi par définition de ce qui est aujourd’hui, ne peut ignorer que le contrôle du monde s’effectue massivement par la musique. Qui tient la musique tient les jeunes, et qui tient les jeunes tient l’avenir. Il faut qu’il cesse ce terrorisme industriel dégoûtant de la Joie par les guitares électriques, ce Nouvel Ordre Mondial des synthés sans frontières.

Philippe Muray, Exorcismes spirituels II

Enfin un poème post XIXème siècle non seulement écoutable, mais encore délectable, génial, puissant et quelque peu en rapport avec l'objet de ce site. Luchini lit "Tombeau pour une touriste innocente" de Philippe Muray.
[video]https://www.youtube.com/watch?v=2lEupp9jzGs[/video]

(Depuis quelques années, je ne supporte plus la musique qu'à de rares occasions, notamment lorsque je complète quelques rubriques ici. Sinon, c'est silence et fuite devant le tagaboum obligatoire et généralisé jusqu'à la nausée. Je me suis désintoxiqué en apprenant l'espagnol.)
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By la mouche
#154311 Philippe Muray, l'un des auteurs favoris de ma jeunesse. Excellent écrivain, qui manque parfois un peu de fond, particulièrement dans son côté "anti-fête" qui est imprécis et part dans tout les sens.

Petit cadeau: Philippe Muray s'est amusé un jour à chanter certains de ses poèmes

[video]https://www.youtube.com/watch?v=FfEFXOFY2as[/video]
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By Maurice
#154313 Je me demande encore comment j'ai pu passer complètement à côté de cet auteur que je ne connaissais absolument pas il y a encore quelques mois et dont je n'ai encore rien lu. Du peu que je connaisse, je lui trouve un certain côté Houellebecq, mais j'ai comme dans l'idée que c'est plutôt Houellebecq qui aurait un côté Muray.

De ce que j'en sais, son côté anti-fête, tombe au contraire fort juste, mais ce n'est certes pas un thème nouveau que ce refus de la fête obligatoire pour tous, l'abrutissement généralisé érigé en dogme (cf la Dolce Vita de Fellini).
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By Maurice
#154619 [quote][quote]Il y a cinquante ans, Roger Nimier (1925-1962), l'enfant prodige de la littérature française de l'après-guerre, proclamé chef de file des Hussards par Bernard Frank dans un retentissant article des Temps modernes, se tuait au volant de son Aston Martin. Une mort précoce qui entrebâillait déjà l'épineuse question de sa succession spirituelle. Nimier incarnait, en effet, avec Antoine Blondin et Jacques Laurent, le courage des écrivains irréductibles à la pensée sartrienne alors toute-puissante comme à l'esprit de défaite, d'épuration et de repentance régnant désormais en maître sur le monde des lettres. Farouchement attachés à la séparation des pouvoirs du politique et du littéraire, ils cultivèrent les qualités qui conservent à la France l'éclat de son génie particulier : panache, lucidité et naturel, secret du grand style, explorant les intermittences du coeur et les gouffres du hasard.

Ainsi la France de Nimier, Blondin et Laurent rejoignait-elle celle du cardinal de Retz, La Rochefoulcauld, Stendhal, Dumas, Péguy ou Bernanos.

Mais que signifiait ce sens princier de la désinvolture qu'ils entretenaient scrupuleusement et que l'on prit à tort pour de la frivolité ?

À l'occasion du cinquantenaire de la mort de l'auteur de D'Artagnan amoureux, il est temps de retrouver le code d'honneur des Hussards et de réévaluer la portée d'une oeuvre exemplaire.

Ces quelques lignes de présentation de Roger Nimier, Antoine Blondin, Jacques Laurent et l'esprit hussard, l'ouvrage publié en 2012 par les éditions Pierre-Guillaume de Roux, décrivent avec élégance et précision la place très particulière qu'occupent les "hussards" dans notre histoire littéraire , celle de virtuoses de la langue française qui n'étaient probablement pas de leur siècle...
avec Pierre Guillaume de Roux, éditeur de Roger Nimier, Antoine Blondin, Jacques Laurent et l'esprit hussard (PGDR éditions)


Emission sur France Culture "Au hasard des Hussards" [url]http://www.franceculture.fr/emission-tire-ta-langue-au-hasard-des-hussards-2013-06-09[/url]

[img]http://www.laprocure.com/cache/couvertures/9782363710406.jpg[/img]
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By Maurice
#154878 Un petit Blondin pour la route ?

[quote]Un signe de tendresse est une joie pour la vie. J'entends un geste, un clin d'oeil, un baiser. Je connais des personnes, parmi les meilleures qui prodiguent aux animaux des marques d'une affection débordante qu'elles n'accordent aux êtres humains qu'avec parcimonie. Cette part incommunicable réservée sous le plumage ou la fourrure des bêtes les émeut au plus haut point, appelle la caresse pour moyen d'expression. Alors, durant de longues soirées d'hiver, on assiste à ce spectacle d'une épouse lovée en boule autour d'un matou, cependant que l'homme demeure planté là, avec sa grosse tête qu'il prend parfois entre ses mains en se demandant "Suis-je aimé ?"
Antoine Blondin, Ma vie entre des lignes