- Lun Mar 10, 2014 2:24 am
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Je viens de finir donc mon livre de Louis Pauwels, et il fait partie de ces auteurs que sans ce site, sans ce fil de discussion pour être plus précis, je n'aurais jamais eu l'idée de lire.
Ce livre est l'ouvrage le plus puissant que j'ai lu depuis... disons un certain
Homme idéal d'un certain Stéphane Edouard (et je le pense sincèrement : en dépit de quelques tics de langages qui nuisent à un style déjà bien né, je considère l'
Homme idéal comme un authentique ouvrage d'écrivain prometteur que je devrais bien relire, lui aussi. Il y a du Balzac chez notre Stéphane, et son dossier sur Hollande me le confirme bel et bien, Balzac qui en son temps avait écrit une sorte d'
Homme idéal, et qui s'appelait
Physiologie du Mariage - que je me suis juré de lire un jour... ça fait vingt-cinq ans qu'il traîne dans ma bibliothèque : les choix de lecture s'annoncent très difficiles pour la saison littéraire du printemps qui approche ! Et décidément il est bien regrettable d'avoir dépassé ses quarante ans et de n'avoir qu'une seule vie.)
Tout comme l'
Homme idéal, tout comme nombre d'ouvrages français répondant au genre de l'Essai,
Comment devient-on ce que l'on est ? présente un plan lâche et s'autorise à aller par sauts et gambades, pour paraphraser Montaigne. Cependant, cet ouvrage va
crescendo, partant du biographique pour aboutir à une philosophie politique et morale d'excellente tenue du haut d'un regard embrassant 2500 ans d'histoire européenne.
En 200 pages, vous avez des clés pour une compréhension du monde dans lequel nous vivons et une Morale et une Politique basées sur un idéal aristocratique doublée d'une compréhension implicite de Nietzsche, à savoir que ce livre est une magnifique introduction à l'œuvre de Nietzsche sans qu'il l'affirme explicitement (ses pages sur le christianisme sont admirables et mériteraient d'être lus par tout honnête homme).
Le chapitre 4 concerne directement notre site de Séduction et a pour titre : "Passion, je te connais, va-t'en !". Ce sont parfois des idées que j'ai déjà lues dans
L'Amour et l'Occident de Denis de Rougemont (autre vieille lecture à réactualiser... grrr...). Quelques citations qui vous donneront, j'en suis sûr envie d'en lire plus.
[quote]Je tire une observation de mes expériences. C'est que la durée moyenne d'une passion amoureuse, c'est trois ans, suivis de deux ans de déchirement. Après la rupture; quatre à cinq ans de chagrin. C'est long. Il arrive aussi qu'on ne s'en remette pas. J'ai connu des infirmes à vie. Ils feignaient de ne pas l'être. Ils s'étaient bricolé des prothèses. Mais ils étaient bel et bien infirmes. Je parle d'hommes. Les hommes ne cessent jamais tout à fait d'aimer qui ils ont passionnément aimé, même mal. Les femmes, si. Peut-être que les hommes, qui ne se quittent jamais entièrement eux-mêmes, ne parviennent pas à comprendre qu'une femme, dont ils ont fait une part d'eux-mêmes, les quitte. Mais quand la femme cesse d'aimer, elle est implacable. Elle cesse totalement. C'est ce que dit le proverbe arabe : "Trois choses ne laissent pas de trace : l'oiseau dans l'air, le poisson dans l'eau et l'homme dans la femme." Cela exprime l'inquiétude du jaloux, mais on peut l'entendre plus prodondément.
[quote](...) s'il y a un jugement solide, vous serez plutôt jugé sur l'abus que vous avez fait du mot "amour". Vous serez jugé sur vos mensonges et vos sensibleries camouflées en grand sentiment. Votre amour de l'humanité, qui n'était l'amour de personne. Votre amour des animaux, qui était du goût pour les belles bêtes et le besoin de familiers, tout simplement. Et enfin, et surtout, pour avoir appelé Amour le désir, Amour l'excitation. Amour, la curiosité. Amour, l'amusement. Amour, l'attachement affectueux (qui est déjà beaucoup, mais n'est pas l'Amour). Amour, l'habitude agréable. Amour, la peur de l'ennui. Amour, la crainte de la solitude. Le langage du cœur et des sens est riche et précis. Ce que vous éprouvez pour quelqu'un est définissable sans l'Amour. Sans l'Amour, cas extrême, chose rare et sacrée, mot limite à ne prononcer qu'exceptionnellement. (...) Convaincre les hommes et les femmes (plus difficiles, les femmes) qu'il y a du ridicule et de l'escroquerie à abuser du mot. Que le respect de soi et d'autrui commande d'utiliser, en toutes circonstances, les mots exacts, les qualifications sincères. (...) Certainement l'Amour existe. Mais il est rare. (...) A la rigueur, employons-le pour le sentiment qui attache les parents aux enfants. Là sont les immensités. Là sont les profonds soulèvements, les grandes inquiétudes déchirantes et les douleurs sans nom.
[quote]Passons à un autre sujet. Chacun se promène dans le monde amoureux avec sa petite mythologie portative, n'est-ce pas ? Je vais vous confier la mienne. C'est avec elle que je me suis embarqué pour la passion. [size=85](Et, j'ajoute, que c'est aussi avec l'
Amour fou de Breton, comme il le confie en amont, ce qui fut tout à fait mon cas à 20 ans.
L'Amour fou de Breton est un livre à ranger dans la catégorie des livres dangereux pour un esprit non formé, dans ce fil des livres à éviter que je vais laisser couler, car en réalité, chacun doit avoir ses lectures et son cheminement, pourvu qu'il apprenne à éviter d'être l'esclave d'un seul livre)[/size].
Je connais par cœur quinze lignes de Giraudoux. (...) Les voici :
"La femme est rare. La plupart des hommes épousent une médiocre contrefaçon des hommes, un peu plus retorse, un peu plus souple, s'épousent eux-mêmes. Ils se voient eux-mêmes passer dans la rue, avec un peu plus de gorge, un peu plus de hanches, le tout enveloppé de jersey de soie, alors ils se poursuivent eux-mêmes, s'embrassent, s'épousent. C'est moins froid après tout, que d'épouser un miroir. La femme est rare..."
Alors, là, Giraudoux s'élance dans le lyrisme et pourtant, c'est tout à fait l'éprouvé. Ecoutez :
"La femme est rare, elle enjambe les crues, elle renverse les trônes, elle arrête les années. Sa peau est de marbre. Quand il y en a une, elle est l'impasse du monde... Où vont les fleuves, les nuages, les oiseaux isolés ? Se jeter dans la femme... Mais elle est rare... Il faut fuir quand on la voit, car si elle aime, si elle déteste, elle est implacable. Sa compassion est implacable. Mais elle est rare."
Eh bien, j'ai vécu ce sentiment-là. J'ai eu cette vision, ou cette révélation. Cela a pénétré mon esprit et ma chair. La vraie femme. Celle qui nous vient du fond des âges. Celle qui rayonne à l'autre extrémité de la création. Je peux vous dire cela d'une manière plus directe. Deux races de femmes. L'une nombreuse, et l'autre en voie de disparition. Les femmes dans lesquelles on se branle. La femme avec qui l'on fait l'amour. Et avec qui faire l'amour, c'est se refaire de l'enfance. La vraie femme : celle qui connaît les secrets des eaux, des pierres, des plantes, des bêtes. Celle qui fixe le soleil et voit clair dans la nuit. Celle qui possède la clé de la santé, de la paix transparente, des harmonies. La sorcière blanche, la fée aux larges flancs humides, au visage d'ange flamand, aux longs cheveux blonds, aux yeux clairs, qui attend l'homme pour recommencer avec lui le paradis terrestre... Avec elle, toute la terre s'organise en féérie. Avec elle, il y a de l'immortalité dans l'air... (Vous voyez que je délire autant que Giraudoux, mais c'est pourtant ça, je vous assure, c'est pourtant ça.) Le désir qu'elle inspire est vide de tout démon. Plonger en elle vous réensemence et vous révèle que la grande jouissance est chaste. La vraie femme, la femme rare. Celle que les anciens gnostiques appelaient la "femme de l'homme" et "la rosée de lumière". Ils nommaient l'autre, qui est légion, "la femme de la femme"... Ma mythologie portative rejoignait peut-être un grand mythe : le mythe des deux femmes originelles, Eve et Lilith. (...) Il y avait aussi cette mythologie dans la pensée, dans la chair de Michelet quand il écrivait son livre admirable,
La Sorcière. La sorcière brûlée, c'est la vraie femme, "la femme de l'homme", la femme de la religion primitive que l'on pourchasse, que l'on détruit, afin d'en effacer à jamais le souvenir, pour que l'homme ne possède plus que la fausse femme, son insatisfaisant double en creux, et cesse de croire en un paradis possible sur terre... Si j'ai vécu et souffert la passion, c'est avec le sentiment de toucher un secret, une immémoriale vérité oubliée.
Je ne vois aucune inconvénient à ce que vous trouviez dingues ces propos. Mais je voudrais ajouter quelque chose. Je me demande si une part de l'impression d'affadissement de la vie, que l'on ressent, ne vient pas de ceci : "La plupart des hommes épousent une médiocre contrefaçon d'eux-mêmes. Ils se poursuivent eux-mêmes, s'embrassent, s'épousent." Or combien s'est aggravé ce que remarquait Giraudoux dans les années 30 ! Quelle poussée d'uniformisation depuis ! La mode "unisex" n'affecte pas seulement l'apparence, mais le fond. Et nous ne la ressentons pas comme une mode, mais comme un mouvement fatal. La femme réduite à une médiocre contrefaçon de l'homme est de plus en plus manifeste et omniprésente. Il nous en vient une impression de décoloration du monde accentuée et définitive.
Le passage clé du livre, clé aussi pour la compréhension de l'œuvre de Nietzsche (oubliez Deleuze...) :
[url]http://www.revue3emillenaire.com/blog/comment-devient-on-ce-que-lon-est-par-louis-pauwels/[/url]
Un article de présentation de l'œuvre de Pauwels : [url]http://www.centrostudilaruna.it/pauwels-ladmirable.html[/url]
Bref, un ouvrage chaudement recommandé pour tous ses trésors et l'ouverture qu'il donnera à votre esprit. Oui, le meilleur ouvrage que j'ai jamais lu du dernier quart du XXème siècle. Trouvable à un prix dérisoire sur internet.