- Mer Déc 31, 2008 4:33 pm
#65508
[size=150]Le rendez-vous[/size]
[...] Dieu ! comme ça l'ennuyait d'aller là-bas ! Ainsi qu'un patient montant chez le dentiste, elle portait en son coeur le souvenir intolérable de tous les rendez-vous passés, un par semaine en moyenne depuis deux ans, et la pensée qu'un autre allait avoir lieu, tout à l'heure, la crispait d'angoisse de la tête aux pieds. Non pas que ce fût bien douloureux, douloureux comme une visite au dentiste, mais c'était si ennuyeux, si ennuyeux, si compliqué, si long, si pénible que tout, tout, même une opération, lui aurait paru préférable. Elle y allait pourtant, très lentement, à tout petits pas, en s'arrêtant, en s'asseyant, en flânant partout, mais elle y allait.
Oh ! elle aurait bien voulu manquer encore celui-là, mais elle avait fait poser ce pauvre vicomte, deux fois de suite le mois dernier, et elle n'osait point recommencer sitôt. Pourquoi y retournait-elle ? Ah ! pourquoi ? Parce qu'elle en avait pris l'habitude, et qu'elle n'avait aucune raison à donner à ce malheureux Martelet quand il voudrait connaître ce pourquoi ! Pourquoi avait-elle commencé ? Pourquoi ? Elle ne le savait plus ! L'avait-elle aimé ? C'était possible ! Pas bien fort, mais un peu, voilà si longtemps ! Il était bien, recherché, élégant, galant, et représentait strictement, au premier coup d'oeil, l'amant parfait d'une femme du monde.
La cour avait duré trois mois, - temps normal, lutte honorable, résistance suffisante - puis elle avait consenti, avec quelle émotion, quelle crispation, quelle peur horrible et charmante à ce premier rendez-vous, suivi de tant d'autres, dans ce petit entresol de garçon, rue Miromesnil. Son coeur ? Qu'éprouvait alors son petit coeur de femme séduite, vaincue, conquise, en passant pour la première fois la porte de cette maison de cauchemar ? Vrai, elle ne le savait plus ! Elle l'avait oublié ! On se souvient d'un fait, d'une date, d'une chose, mais on ne se souvient guère, deux ans plus tard, d'une émotion qui s'est envolée très vite, parce qu'elle était très légère. Oh ! par exemple, elle n'avait pas oublié les autres, ce chapelet de rendez-vous, ce chemin de la croix de l'amour, aux stations si fatigantes, si monotones, si pareilles, que la nausée lui montait aux lèvres en prévision de ce que ce serait tout à l'heure. [...]
Guy de Maupassant, [url=http://un2sg4.unige.ch/athena/selva/maupassant/textes/rendezv.html]Le rendez-vous[/url]
[...] Dieu ! comme ça l'ennuyait d'aller là-bas ! Ainsi qu'un patient montant chez le dentiste, elle portait en son coeur le souvenir intolérable de tous les rendez-vous passés, un par semaine en moyenne depuis deux ans, et la pensée qu'un autre allait avoir lieu, tout à l'heure, la crispait d'angoisse de la tête aux pieds. Non pas que ce fût bien douloureux, douloureux comme une visite au dentiste, mais c'était si ennuyeux, si ennuyeux, si compliqué, si long, si pénible que tout, tout, même une opération, lui aurait paru préférable. Elle y allait pourtant, très lentement, à tout petits pas, en s'arrêtant, en s'asseyant, en flânant partout, mais elle y allait.
Oh ! elle aurait bien voulu manquer encore celui-là, mais elle avait fait poser ce pauvre vicomte, deux fois de suite le mois dernier, et elle n'osait point recommencer sitôt. Pourquoi y retournait-elle ? Ah ! pourquoi ? Parce qu'elle en avait pris l'habitude, et qu'elle n'avait aucune raison à donner à ce malheureux Martelet quand il voudrait connaître ce pourquoi ! Pourquoi avait-elle commencé ? Pourquoi ? Elle ne le savait plus ! L'avait-elle aimé ? C'était possible ! Pas bien fort, mais un peu, voilà si longtemps ! Il était bien, recherché, élégant, galant, et représentait strictement, au premier coup d'oeil, l'amant parfait d'une femme du monde.
La cour avait duré trois mois, - temps normal, lutte honorable, résistance suffisante - puis elle avait consenti, avec quelle émotion, quelle crispation, quelle peur horrible et charmante à ce premier rendez-vous, suivi de tant d'autres, dans ce petit entresol de garçon, rue Miromesnil. Son coeur ? Qu'éprouvait alors son petit coeur de femme séduite, vaincue, conquise, en passant pour la première fois la porte de cette maison de cauchemar ? Vrai, elle ne le savait plus ! Elle l'avait oublié ! On se souvient d'un fait, d'une date, d'une chose, mais on ne se souvient guère, deux ans plus tard, d'une émotion qui s'est envolée très vite, parce qu'elle était très légère. Oh ! par exemple, elle n'avait pas oublié les autres, ce chapelet de rendez-vous, ce chemin de la croix de l'amour, aux stations si fatigantes, si monotones, si pareilles, que la nausée lui montait aux lèvres en prévision de ce que ce serait tout à l'heure. [...]
Guy de Maupassant, [url=http://un2sg4.unige.ch/athena/selva/maupassant/textes/rendezv.html]Le rendez-vous[/url]