Avoir une vie stylée

Modérateurs: animal, Léo

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By Andrea
#65508 [size=150]Le rendez-vous[/size]


[...] Dieu ! comme ça l'ennuyait d'aller là-bas ! Ainsi qu'un patient montant chez le dentiste, elle portait en son coeur le souvenir intolérable de tous les rendez-vous passés, un par semaine en moyenne depuis deux ans, et la pensée qu'un autre allait avoir lieu, tout à l'heure, la crispait d'angoisse de la tête aux pieds. Non pas que ce fût bien douloureux, douloureux comme une visite au dentiste, mais c'était si ennuyeux, si ennuyeux, si compliqué, si long, si pénible que tout, tout, même une opération, lui aurait paru préférable. Elle y allait pourtant, très lentement, à tout petits pas, en s'arrêtant, en s'asseyant, en flânant partout, mais elle y allait.
Oh ! elle aurait bien voulu manquer encore celui-là, mais elle avait fait poser ce pauvre vicomte, deux fois de suite le mois dernier, et elle n'osait point recommencer sitôt. Pourquoi y retournait-elle ? Ah ! pourquoi ? Parce qu'elle en avait pris l'habitude, et qu'elle n'avait aucune raison à donner à ce malheureux Martelet quand il voudrait connaître ce pourquoi ! Pourquoi avait-elle commencé ? Pourquoi ? Elle ne le savait plus ! L'avait-elle aimé ? C'était possible ! Pas bien fort, mais un peu, voilà si longtemps ! Il était bien, recherché, élégant, galant, et représentait strictement, au premier coup d'oeil, l'amant parfait d'une femme du monde.

La cour avait duré trois mois, - temps normal, lutte honorable, résistance suffisante - puis elle avait consenti, avec quelle émotion, quelle crispation, quelle peur horrible et charmante à ce premier rendez-vous, suivi de tant d'autres, dans ce petit entresol de garçon, rue Miromesnil. Son coeur ? Qu'éprouvait alors son petit coeur de femme séduite, vaincue, conquise, en passant pour la première fois la porte de cette maison de cauchemar ? Vrai, elle ne le savait plus ! Elle l'avait oublié ! On se souvient d'un fait, d'une date, d'une chose, mais on ne se souvient guère, deux ans plus tard, d'une émotion qui s'est envolée très vite, parce qu'elle était très légère. Oh ! par exemple, elle n'avait pas oublié les autres, ce chapelet de rendez-vous, ce chemin de la croix de l'amour, aux stations si fatigantes, si monotones, si pareilles, que la nausée lui montait aux lèvres en prévision de ce que ce serait tout à l'heure. [...]


Guy de Maupassant, [url=http://un2sg4.unige.ch/athena/selva/maupassant/textes/rendezv.html]Le rendez-vous[/url]
By Soulayman
#65514 le poussin, le chien et le petit vorien

En un jour d'automne bien ingrat, petit poussin se trouva vicieusement percecute par le vent du nord et en l'absence d'Helios et de ses chevaux, ne put trouver de reconfort.
Un jeune porte-malheur, vorien, mais point denude de coeur se prit de pitie pour petit poussin et pour un peu de chaleur le porta en un tas de fumier bien chaud.

Un chien au coeur de pierre, affame, mais point distrait, passait par la. Allergique a la mousse qu'il etait, toujours il roulait. Arrivant a hauteur de petit poussin, il senti ses babines s'humecter et du fumier il decida de le tirer. L'ayant trempe dans le ruisseau ici coulant, d'un coup il le devora.
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La morale de cette histoire: Ceux qui vous mettent dans la merde ne vous veulent pas necessairement du mal et ceux qui vous en tirent ne le font pas toujours pour votre bien.



Soulayman
By beeenj
#65533 Merci pour ces histoires !
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By Buffy
#67468 Albert Cohen- Belle du Seigneur


Il raccrocha, se tourna vers elle. — Sache, ô cousin chéri, que le dixième manège est justement la mise en concurrence. Panurgise-la donc sans tarder, dès le premier soir. Arrange-toi pour lui faire savoir, primo que tu es aimé par une autre, terrifiante de beauté, et secundo que tu as été sur le point d'aimer cette autre, mais que tu l'as rencontrée, elle, l'unique, l'idiote de grande merveille, ce qui est peut-être vrai, d'ailleurs. Alors, ton affaire sera en bonne voie avec l'idiote, kleptomane comme toutes ses pareilles.

Et maintenant elle est mûre pour le dernier manège, la déclaration. Tous les clichés que tu voudras, mais veille à ta voix et à sa chaleur. Un timbre grave est utile. Naturellement lui faire sentir qu'elle gâche sa vie avec son araignon officiel, que cette existence est indigne d'elle, et tu la verras alors faire le soupir du genre martyre. C'est un soupir spécial, par les narines, et qui signifie ah si vous saviez tout ce que j'ai enduré avec cet homme, mais je n'en dis rien car je suis distinguée et d'infinie discrétion. Tu lui diras naturellement qu'elle est la seule et l'unique, elles y tiennent aussi, que ses yeux sont ouvertures sur le divin, elle n'y comprendra goutte mais trouvera si beau qu'elle fermera lesdites ouvertures et sentira qu'avec toi ce sera une vie constamment déconjugalisée.

Pour faire bon poids, dis-lui aussi qu'elle est odeur de lilas et douceur de la nuit et chant de la pluie dans le jardin. Du parfum fort et bon marché. Tu la verras plus émue que devant un vieux lui parlant avec sincérité. Toute la ferblanterie, elles avalent tout pourvu que voix violoncellante.

Vas-y avec violence afin qu'elle sente qu'avec toi ce sera un paradis de charnelleries perpétuelles, ce qu'elles appellent vivre intensément.
Et n'oublie pas de parler de départ ivre vers la mer, retiens bien ces cinq mots. Leur effet est miraculeux. Tu verras alors frémir la pauvrette. Choisir pays chaud, luxuriances, soleil, bref association d'idées avec rapports physiques réussis et vie de luxe. Partir est le maître mot, partir est leur vice. Dès que tu lui parles de départ, elle ferme les yeux et elle ouvre la bouche. Elle est cuite et tu peux la manger à la sauce tristesse. C'est fini.
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By wednesday
#69624 Bonsoir. La culture doit rester notre invitée.

Erik Satie n'a pas été qu'un pianiste - frustré quelques fois, souvent incompris, mais surtout brillant -. Il s'est essayé à l'écriture, on trouve quelques carnets de notes (Carnets d'un mammifère), une pièce de théâtre avant gardiste (Le piège de méduse), mais aussi sorte d'autobiographie, les Mémoires d'un amnésique. Des textes littéraires , souvent très courts, mais surtout autres, atypiques, absurdes.

On pourrait dévoiler aussi mécaniquement que méthodiquement quelques épisodes de sa vie. Néanmoins, je préfère introduire le texte suivant avec une courte anectode.

Lorsqu'Erik Satie est décédé, ses amis ont pénétré dans sa chambre, et ont découvert plusieurs costumes gris, identiques, usés.

[quote][size=100]L’artiste doit régler sa vie.

Voici l’horaire précis de mes actes journaliers :

Mon lever : à 7h18 ; inspiré : de 10h23 à 11h47. Je déjeune à 12h11 et quitte la table à 12h14.

Salutaire promenade à cheval, dans le fond de mon parc : de 13h19 à 14h53. Autre inspiration : de 15h12 à 16h07.

Occupations diverses (escrime, réflexions, immobilité, visites, contemplation, dextérité, natation, etc.) : de 16h21 à 18h47.

Le dîner est servi à 19h16 et terminé à 19h20. Viennent des lectures symphoniques, à haute voix : de 20h09 à 21h59.

Mon coucher a lieu régulièrement à 22h37. Hebdomadairement, réveil en sursaut à 3h19 (le mardi).

Je ne mange que des aliments blancs : des œufs, du sucre, des noix de coco, du poulet cuit dans de l’eau blanche ; des moisissures de fruits, du riz, des navets ; du boudin camphré, des pâtes, du fromage (blanc), de la salade de coton et de certains poissons (sans la peau).

Je fais bouillir mon vin, que je bois froid avec du jus de fuchsia. J’ai bon appétit ; mais je ne parle jamais en mangeant, de peur de m’étrangler.

Je respire avec soin (peu à la fois). Je danse très rarement. En marchant, je me tiens par les côtes et regarde fixement derrière moi.

D’aspect très sérieux, si je ris, c’est sans le faire exprès. Je m’en excuse toujours et avec affabilité.

Je ne dors que d’un œil ; mon sommeil est très dur. Mon lit est rond, percé d’un trou pour le passage de la tête. Toutes les heures, un domestique prend ma température et m’en donne une autre.

Depuis longtemps, je suis abonné à un journal de modes. Je porte un bonnet blanc, des bas blancs et un gilet blanc.

Mon médecin m’a toujours dit de fumer. Il ajoute à ses conseils : — Fumez, mon ami : sans cela, un autre fumera à votre place.[/size]

Au cas où de rares badauds seraient entousiasmés par cette prose, je conseille les études d'Ornella Volta à propos de l'auteur, dont une, les textes rassemblés, contient plusieurs fragments de ces "Mémoires d'un amnésique".
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By Andrea
#71145 [...] L'homme qui escorte une jolie femme se croit toujours coiffé d'une auréole; à plus forte raison celui qui passe entre deux jolies femmes. Rien ne plaît autant que de dîner dans un restaurant bien fréquenté, avec une amie que tout le monde regarde; et rien d'ailleurs n'est plus propre à poser un homme dans l'estime de ses voisins.
Aller au Bois, traîné par une rosse, ou sortir sur le boulevard, escorté par un laideron, sont les deux accidents les plus humiliants qui puissent frapper un coeur délicat, préoccupé de l'opinion des autres. De tous les luxes, la femme est le plus rare et le plus distingué, elle est celui qui coûte le plus cher, et qu'on nous envie le plus; elle est donc aussi celui que nous devons aimer le mieux à étaler sous les yeux jaloux du public.
Montrer au monde une jolie femme à son bras, c'est exciter, d'un seul coup, toutes les jalousies; c'est dire: « Voyez, je suis riche, puisque je possède cet objet rare et coûteux; j'ai du goût, puisque j'ai su trouver cette perle; peut être même en suis-je aimé, à moins que je ne sois trompé par elle, ce qui prouverait encore que d'autres aussi la jugent charmante. »
Mais quelle honte que de promener par la ville une femme laide!
Et que de choses humiliantes cela laisse entendre!
En principe, on la suppose votre femme légitime, car comment admettre qu'on possède une vilaine maîtresse? Une vraie femme peut être disgracieuse, mais sa laideur signifie alors mille choses désagréables pour vous. On vous croit d'abord notaire ou magistrat, ces deux professions ayant le monopole des épouses grotesques et bien dotées. Or, n'est-ce point pénible pour un homme? Et puis cela semble crier au public que vous avez l'odieux courage et même l'obligation légale de caresser cette face ridicule et ce corps mal bâti, et que vous aurez sans doute l'impudeur de rendre mère cet être peu désirable, ce qui est bien le comble du ridicule. [...]


Guy de Maupassant, Mes vingt-cinq jours.
By chupa-chups
#71484 Au bord de l'eau dans un petit village côtier mexicain, un bateau rentre au port, ramenant plusieurs thons. Un américain complimente un pêcheur mexicain sur la qualité de ses poissons et lui demande combien de temps il lui a fallu pour les capturer :
" Pas très longtemps ", répond le Mexicain.

" Mais alors, pourquoi n'êtes-vous pas resté en mer plus longtemps pour en attraper plus? " demande l'américain. Le mexicain répond que ces quelques poissons suffiront à subvenir aux besoins de sa famille.
L'américain demande alors : " Mais que faites-vous le reste du temps? "

" Je fais la grasse matinée, je pêche un peu, je joue avec mes enfants, je fais la sieste avec ma femme. Le soir, je vais au village voir mes amis. Nous buvons du vin et jouons de la guitare. J'ai une vie bien remplie ".

L'américain l'interrompt : " J'ai un MBA de l'université de Harvard et je peux vous aider. Vous devriez commencer par pêcher plus longtemps. Avec les bénéfices dégagés, vous pourriez acheter un plus gros bateau. Avec l'argent que vous rapporterait ce bateau, vous pourriez en acheter un deuxième et ainsi de suite jusqu'à ce que vous possédiez une flotte de chalutiers. Au lieu de vendre vos poissons à un intermédiaire, vous pourriez négocier directement avec l'usine, et même ouvrir votre propre usine. Vous pourriez alors quitter votre petit village pour Mexico City, Los Angeles, puis peut-être New York, d'où vous dirigeriez toutes vos affaires. "

Le mexicain demande alors : " Combien de temps cela prendrait-il? "
" 15 à 20 ans ", répond le banquier américain.
" Et après? "
" Après, c'est là que ça devient intéressant ", répond l'Américain en riant.
" Quand le moment sera venu, vous pourrez introduire votre société en bourse et vous gagnerez des millions ".
" Des millions? Mais après? "
" Après, vous pourrez prendre votre retraite, habiter dans un petit village côtier, faire la grasse matinée, jouer avec vos petits-enfants, pêcher un peu, faire la sieste avec votre femme et passer vos soirées à boire et à jouer de la guitare avec vos amis. "