- Jeu Nov 27, 2008 11:14 am
#63563
Je reste dans le texte court, mais je sélectionne plusieurs passages de cette oeuvre que je dévore en ce moment. Il s'agit d'un roman complet, mais constitué de chapitres indépendants recueillant des myriades d'histoires courtes.
Entrez dans un monde oublié, un monde mort, un monde gore, un monde où la Force régnait en maître sur les évènements, les êtres et les choses, un monde de gestes héroïques autant que des pires atrocités, un monde où l'amour ne naît pas à la faveur du temps mais à la pointe d'une flèche, un monde où les femmes sont violées à tour de bras, un monde où la justice n'existe pas, un monde où les hommes sont tous plus beaux les uns que les autres... le monde où les Dieux se jouent des hommes, les Dieux entre eux et les hommes s'entretuent pour assouvir leur quête de passion, d'action, de vengeance. Regardez l'humanité dans sa nudité la plus crue, dans ses aspirations les plus fortes, souriez aux explications du pourquoi des choses, tremblez à l'évocation des noirs démons... Tout cela est dans Ovide et le recueil des métamorphoses des déesses, nymphes, hommes en animaux, minéraux ou étoiles.
Et pour décrire ce monde d'infâmie, ces épopées épiques, ces massacres sanglants, ces injustices criantes, ces suppliques larmoyantes, Ovide et son style inimitable : des périphrases à foison, un kaléidoscope de noms différents pour décrire une même personne, des litanies à n'en plus finir pour décrire une scène, des petites spécificités grecques amusantes. Tout cela donne un charme désuet mais non moins revigorant à cette lecture.
Alors en dépit de la difficulté, n'hésitez pas à vous plonger dans ces histoires des dieux et des hommes, simplement pour lire une histoire ou pour aller plus loin dans l'exposé et le jugement de la nature humaine et ses écarts passionnels.
Mais arrêtons là la théorie pour nous plonger dans la pratique. Je sens que votre coeur réclame quelques morceaux choisis en gage de preuve. Les voici.
Petite évocation charmante
[quote]Philomèle tendait la gorge ; à la vue de l'épée, elle avait espéré la mort ; mais, tandis que sa langue indignée invoque sans cesse son père et s'efforce de parler, Térée la lui saisit avec des pinces et la coupe avec son épée barbare ; la racine de la langue s'agite au fond de la bouche ; la langue elle-même tombe et, toute frémissante, murmure encore sur la terre noire de sang ; comme frétille la queue d'un serpent mutilé, elle palpite et, en mourant, elle cherche à rejoindre le reste de la personne à qui elle appartient.
Un exemple de la folie inspirée par les dieux
[quote]Pourtant, blessé, il s'écrie : "Viens à mon secours, ô soeur de ma mère, Autonoé ! laisse-toi fléchir par l'ombre d'Actéon." Elle ne sait qui est Actéon et elle tranche la main droite du suppliant ; il est encore mutilé par Ino, qui lui enlève l'autre. L'infortuné n'a plus de bras à tendre à sa mère ; mais il lui montre son corps amputé de ses membres, réduit à un tronc : "Regarde, ma mère", dit-il. A cette vue, Agavé pousse des hurlements, fait tournoyer son cou, agite sa chevelure dans les airs, arrache la tête de son fils et, la saisissant entre ses mains ensanglantées, elle crie : "Io ! mes compagnes, cette victoire est mon ouvrage ! ". Les feuilles qu'ont touchées les froids de l'automne et qui déjà tiennent à peine à la cime d'un arbre ne sont pas plus vite emportées par le vent que les membres de Penthée ne sont dispersés par ces mains cruelles.
Vous cherchez un synonyme à Bacchus ?
[quote]Elles offrent de l'encens au dieu, qu'elles invoquent en l'appelant Bacchus, Bromius, Lyéus, né du feu, deux fois engendré, le seul qui ait eu deux mères ; ... enfant de Nysa, Thyonéen aux longs cheveux, Lénéus, celui qui a planté la vigne pour la joie de notre Génie, Nyctélius, Elélée notre père, Iacchus, Evhan, enfin elles lui donnent encore tous les noms que tu portes, ô Liber, dans les villes de la Grèce.
Leçon de chose
D'où provient la couleur noire des mûres
[quote]"Et toi, arbre, dont les rameaux n'abritent maintenant qu'un seul corps et bientôt en abriteront deux, garde les marques de notre trépas, porte à jamais des fruits sombres en signe de deuil, pour attester que deux amants t'arrosèrent de leur sang". Elle dit et, ayant fixé la pointe de l'épée au-dessous de sa poitrine, elle se laisse tomber sur le fer encore tiède du sang de Pyrame.D'où provient l'Etna
[quote]L'île immense de Trinacrie [la Sicile] a été jetée sur les membres d'un géant ; elle couvre, l'écrasant de son poids énorme, Typhée, qui avait osé aspirer au céleste séjour. Il lutte, s'efforce souvent de se relever... l'Etna accable sa tête ; couché sous la montagne, le farouche µTyphée rejette des flots de sable et vomit des flammes par sa bouche.
Et pour finir, voici l'Envie qui s'avance dans son habit d'épouvante.
[quote]Sans plus tarder, l'implacable Tisiphone saisit une torche trempée dans le sang, revêt un manteau qu'un flot de sang a rougi, entoure sa taille d'un serpent, qui s'y enlace, et sort de sa demeure. A ses côtés marchent le Deuil, l'Effroi, la Terreur et la Folie au visage grimaçant. Elle s'était arrêtée devant le seuil du fils d'Eole ; les portes tremblèrent, dit-on, leurs battants d'érable perdirent leurs couleurs ; le soleil refusa sa lumière au pays. Ces prodiges remplirent de terreur l'épouse d'Athamas ; il en fut terrifié lui-même ; ils se préparaient à fuir de leur demeure : devant eux se dresse la funeste Erinys, qui leur barre le chemin et qui, étendant ses bras, où des vipères ont enroulé leur noeuds, secoue sa chevelure : des couleuvres s'agitent sur elle bruyamment ; les unes sont couchées sur ses épaules, les autres, qui rampent autour de sa poitrine, sifflent, rejettent leur bave et dardent leur langue au-dehors. Alors, du milieu de sa chevelure elle arrache deux serpents, qu'elle lance brusquement de sa main néfaste ; ils errent sur le sein d'Ino et d'Athamas et y soufflent leur haleine empestée ; ils ne font subir aucune blessure au corps des deux époux ; mais leur âme reçoit de terribles atteintes. L'Erynis avait apporté aussi avec elle des poisons fluides et merveilleux : l'écume de la gueule de Cerbère, le venin d'Echidna, la folie, qui fait divaguer, l'oubli, qui aveugle la raison, le crime, les larmes, la rage, la passion du meurtre, le tout broyé en un seul mélange ; après l'avoir détrempé avec du sang frais, elle l'avait fait bouillir dans les flancs d'un vase de bronze, en le tournant avec une tige de cigüe encore verte ; tandis que ses deux victimes sont saisies d'épouvante, elle verse dans leur poitrine ce poison qui met l'âme en fureur et elle trouble leur coeur jusqu'au fond. Puis, faisant tournoyer sa torche à plusieurs reprises, elle décrit rapidement un cercle où la flamme suit la flamme. Alors, triomphante, certaine d'avoir rempli sa mission, elle retourne au séjour des ombres, royaume du grand Dis, et dépose le serpent dont elle avait entouré sa ceinture.Vous voulez connaître les conséquences de cet accès de folie meurtrière que la déesse a fait naître en ces hommes ? Allez, je ne peux m'empêcher de le faire, c'est un tel délice...
[quote]Tout à coup, saisi de fureur, le fils d'Eole s'écrie au milieu de son palais : "Io ! mes compagnons, tendez vos filets dans ces bois ; je viens d'y voir une lionne avec deux lionceaux" ; et il s'élance sur les traces de son épouse, qu'il prend pour une bête sauvage, l'insensé ! Il arrache du sein de sa mère Léarque, qui souriait et lui tendait ses petits bras ; il le fait tournoyer deux ou trois fois dans les airs comme une fronde, puis il brise sans pitié contre un dur rocher la tête de l'enfant.
En espérant vous avoir donné l'envie de lire
Migill
Les métamorphoses, Ovide, traduction Jean-Pierre Néraudau
http://livre.fnac.com/a220861/Ovide-Les ... &Nu=3&Fr=0
Les métamorphoses, Ovide, illustrées par Picasso
http://livre.fnac.com/a2180218/Ovide-Le ... Nu=15&Fr=0