Itou

Modérateurs: animal, Léo

By Tibaille
#142455 Bonjour,

J'ai récement lu le désert de l'amour de François Mauriac. Les sujets de la séduction et de l'apporche y sont souvent évoqués.

Voici un extrait, qui évoque deux inconnus qui se regardent dans le tramway et la peur de l'approche:

[quote]En dépit de leur silence, le temps seul tissait entre eux une trame, qu'aucun mot qu'aucun geste n'eussent pu rendre plu résistante. Ils sentaient qu'une heure était proche où s'échangerait la première parole, mais Raymond ne faisait rien pour en hâter l'approche : forçat timide, il lui siffisait de ne plus sentir ses chaînes; ce lui était pour l'instant une joie suffisante que de devenir un autre tout à coup.



Sublime, n'est-ce pas ? J'ai recopié pour votre plaisir cet autre passage, qui vous fera comprendre pourquoi les femmes ne nous regarde que dans les transports en commun :)


[quote]
Or, ce soir-là, il vit en face de lui cette femme , cette dame. Entre deux homme aux vêtements souillés de cambouis, elle était assise vêtue de noir la face découverte . Raymond se demanda plus tard pourquoi sous ce regard, il n'avait pas d'abord éprouvé la honte que lui donnait la dernière des errantes. Non aucune honte , aucune gêne ; peut-être parce que , dans ce tramway, il se sentait anonyme, et qu'il n'imaginait aucune circonstance qui le pût mettre en rapport avec l'inconnue. Mais surtout il ne déchiffrait sur ses traits rien qui ressemblât à de la curiosité, à de la moquerie, à du mépris. Comme elle l'observait pourtant ! Avec l'application, la méthode d'une femme qui dû se dire : " Ce visage va me consoler des minutes misérables qu'il faut vivre dans une voiture publique ; je supprime le monde autour de cette sombre figure angélique. Rien ne peut m'offenser : la contemplation délivre ; il est devant moi comme un pays inconnu ; ses paupières sont les bords ravagés d'une mer ; deux lacs confus sont assoupis aux lisières des cils. L'encre sur les doigts, le col gris, et ce bouton qui manque, cela n'est rien que la terre qui souille le fruit intact, soudain détaché de la branche, et que, d'une maint précautionneuse tu ramasses. Et lui aussi, Raymond, plein de sécurité, puisqu'il n'avait à craindre de cette inconnue aucune parole, qu'aucun pont ne les reliait l'un à l'autre, il la contemplait avec cette insistance tranquille qui retient notre regard sur une planète.


Ce livre est tout simplement magnifique. Il est court (120 pages). Son sujet principal n'est pas la séduction mais plutôt la relation père fils. Si vous avez une relation distante et silencieuse avec votre père (j'ai l'intuition que c'est le cas de beaucoup de gens qui ont des difficulté avec les femmes), ce livre pourrait vous émouvoir jusqu'aux larmes...

PS: je suis nouveau sur le forum, j'espère ne pas me tromper en postant cela ici !
By Chando
#142528 Ah, cher Tibaille....tu es encore jeune, et tu as encore des illusions, notamment celle de penser que Mauriac est un grand écrivain.

Bienvenue ici, d'abord.

Mauriac est un vieux faiseur d'une grande lourdeur, ce qui n'est pas un crime, mais surtout un vieil hypocrite.

Un scandale avait éclaté dans les années 60 le concernant, et il avait eu maille à partir avec un écrivain d'une finesse inouïe, et qui devrait te convenir : Roger Peyrefitte.

Résumé de l'affaire ici :

[url]http://exilinterieur.blogspot.fr/2009/05/lillustre-ecrivain-catholique.html[/url]

Bonne et instructive lecture. Et bravo pour ta passion des livres.
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By Eick
#142609 [quote="Chando"]

Mauriac est un vieux faiseur d'une grande lourdeur, ce qui n'est pas un crime, mais surtout un vieil hypocrite.



Bien que je n'aie pas d'avis à donner sur cet écrivain que je méconnais totalement, pourquoi affirmes-tu qu'il est d'une grande lourdeur ? Est-ce sur le plan des idées ou bien de la forme que tu as détecté ce défaut ?
N'as-tu pas été influencé par son image de vieux bonhomme un peu chevrotant pour en venir à dire de telles choses sur ses écrits ?

Sans vouloir t'offusquer Chando, j'aime assez bien que les gens développent ce qu'ils pensent lorsqu'ils usent de la modalisation.
Et ici, en l’occurrence, c'est encore plus intéressant d'avoir ton opinion au complet puisqu’en une seule phrase, tu associes l'auteur et l’œuvre vers la même ligne directrice de médiocrité.

Ne faisons pas preuve de malhonnêteté intellectuelle en ramenant un artiste à son seul défaut / ou à un fait qui lui a causé du tort pendant un temps déterminé. Sinon, on pourra mettre Céline dans le tiroir Antisémite ; on pourra mettre Hugo dans le tiroir Obsédé ; et on pourra, pour terminer, foutre Proust dans la commode des Pédérastes.
Tout ça est stupide et n'a pas lieu d'être. Arrêtons les conclusions hâtives pour classifier les bonhommes avec des étiquettes contrefaites.
By Chando
#142614 On ne va pas se perdre en explications...Lis, comme je l'ai fait il y a des années, une vingtaine d'oeuvre de Mauriac ( Merci à ma vieille tante Marthe et sa bibliothèque d'auteurs comme il faut et à l'oisiveté dans sa campagne) et on en reparlera.

Tu cites Hugo.

Si, entre les extraits de l'ami Tibaille, et ceci :

[quote="V-H"]
Hucheloup, bonhomme, nous venons de le dire, était un gargotier à moustaches ; variété amusante. Il avait toujours la mine de mauvaise humeur, semblait vouloir intimider ses pratiques, bougonnait les gens qui entraient chez lui, et avait l’air plus disposé à leur chercher querelle qu’à leur servir la soupe. Et pourtant, nous maintenons le mot, on était toujours bienvenu. Cette bizarrerie avait achalandé sa boutique, et lui amenait des jeunes gens se disant : Viens donc voir marronner le père Hucheloup. Il avait été maître d’armes. Tout à coup il éclatait de rire. Grosse voix, bon diable. C’était un fond comique avec une apparence tragique ; il ne demandait pas mieux que de vous faire peur ; à peu près comme ces tabatières qui ont la forme d’un pistolet. La détonation éternue.

Il avait pour femme la mère Hucheloup, un être barbu, fort laid.


....tu ne vois pas de différence, alors, toutes les explications du monde n'y changeront rien.

Les premières lignes du Voyage ont aussi fait une extraordinaire impression sur moi, quand j'ai découvert ce livre ( bien caché dans la bibliothèque paternelle, celui-là, avec quelques pamphlets antisémites auxquels tu fais allusion). C'est pourtant le même homme, qui a écrit ces différentes choses. J'ai demandé à mon père comment on pouvait écrire des pareilles horreurs, après un si brillant chef-d’œuvre ,et il paraît que "rien de ce qui est humain ne doit nous être étranger", mais il nous appartient pourtant de nous forger notre propre opinion...

Fais-toi la tienne sur Mauriac et on en reparlera...Je me suis contenté de donner mon avis de lecteur, mais je suis ouvert à la discussion.

Amitiés
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By Eick
#142644 [quote="Chando"]On ne va pas se perdre en explications...Lis, comme je l'ai fait il y a des années, une vingtaine d'oeuvre de Mauriac ( Merci à ma vieille tante Marthe et sa bibliothèque d'auteurs comme il faut et à l'oisiveté dans sa campagne) et on en reparlera.

Non mais le principe, Chando, c'était que tu nous expliques toi un concept sur base de ce que tu connais sur Mauriac. Mon avis à moi, on s'en foutait largement. Je n'étais pas venu ici pour poser une critique sur l'auteur, mais bien pour essayer de comprendre une notion que tu as évoquée et qui m'intriguait.
En somme, je ne voulais pas m'attarder sur Mauriac, je voulais plus que tu nous détailles cette fameuse lourdeur que tu énonçais dans ton premier message. Ça aurait été l'occasion de peut-être généraliser ton idée et de la superposer sur d'autres exemples (comme on dirait en pédagogie, on décontextualise) pour voir si elle est viable.
Mais je n'y ai pas perdu une miette puisque tu viens de le faire.
Je vais en parler plus bas.

[quote="Chando"]
....tu ne vois pas de différence, alors, toutes les explications du monde n'y changeront rien.


Que veux-tu essayer de prouver en opposant les deux plumes ?
Veux-tu appuyer la lourdeur de Mauriac et la légèreté de Hugo ?
Sais-tu, au moins, que ce que tu fais n'a pas de sens logique ?
Tu ne peux pas prendre deux séquences textuelles pour appuyer l'hypothèse que l'auteur A est plus agréable à lire que le B. Il y a une marge entre le deux, une différence très palpable en ce qui concerne la progression thématique du récit et de tout un tas d'autres paramètres à prendre en ligne de mire : le style, le contexte d'écriture, la tonalité, l'époque, les croyances, les mœurs, les influences, et les courants qu'ils ont soutenus pour affirmer une idéologie.
Mais encore une fois, je me répète, comment peux-tu prouver qu'il y ait une lourdeur chez Mauriac alors que tu l'opposes à un auteur qui n'est pas son contemporain ? (sous prétexte que je cite Hugo dans ma signature). Ça aussi, ça manque de clarté.

Ce n'est pas du tout correct comme réflexion. Même pour la critique d'un lecteur (qui se permet tout de même de dire que Mauriac n'est pas un "Grand écrivain", ce qui est assez risible en soi, car le lecteur individuel n'a pas les compétences pour pouvoir quantifier le talent d'un auteur). À partir du moment où une phrase ou un ensemble de phrases est jugés cohérents et conformes aux règles, ton concept de lourdeur est purement personnel et intuitif.Tu ne pourras jamais le faire comprendre à un autre parce qu'il ne repose que sur ta propre appréciation de la grammaticalité et de tes propres préférences littéraires. On ne pourrait en aucun cas le prouver, le démontrer, le confronter ou chercher à le rendre universel ou propre à un écrivain.
Il ne vaut rien au sens propre de la collectivité.

Et puis, tu as l'air plus dégoûté, car tu as mangé du Mauriac à toutes les sauces. Tu as eu une intoxication.
D'entrée, tu n'étais pas critique pour pouvoir juger puisque, comme le chien de Pavlov, "tu es conditionné" à te rappeler de la lassitude que cette expérience t'a apportée. C'est peu crédible et surtout pas pertinent.

Bref, on n'est pas dans une discussion sérieuse. On cafouille. On mélange un méli-mélo de vérités et de termes abstraits pour pouvoir offrir une popote de remontrances mal digérées à un jeunot qui partageait un roman qui lui plaisait.
By Tibaille
#142652 Bonjour Chando,

Un auteur dont il faut lire 20 livres pour réaliser qu'il est médiocre est sûrement un grand auteur. Je te tiendrai au courant quand il m'aura, moi aussi, dégouté :)

Plus sérieusement, je te remercie de nous donner ton opinion et de m'aiguiller vers un autre écrivain. Mais, à moins d'avoir repris son siège à l'académie française, il est difficile pour un simple lecteur d'évaluer la grandeur de cet écrivain qui a marqué l'histoire de la littérature française. Ce n'est pas ma prétention.

J'espère que les passages que j'ai cité donneront le goût d'un nouvel auteur à ceux qui passeront par là. Je ne souhaitais pas créer dans un débat littéraire ou biographique en postant ce message. Je souhaitais plutôt trouver d'autres livres qui décrivent l'expérience subjective de l'homme qui va aborder ou rencontre une femme, dans la rue ou ailleurs.

Le désert de l'amour est l'un des rare livre qui évoque ce sujet avec intelligence.

Quelques oeuvre de Montherlant et d' Huysmans décrivent la psychologie de l'homme qui a beaucoup "pratiqué les femmes", dans le célibat et le couple... Il y a aussi Mauris Barrès qui a évoqué plusieurs fois la question de ménage à 3 (avec deux femmes), ce qui devrait en intéresser plus d'un ici :) .

Mais en ce qui concerne la drague, la rencontre, l'abordage, si des cinéastes l'on plusieurs filmé, il y a là un désert littéraire. Ces 2 extraits sont pour moi un oasis que j'ai cru bon de partager.

Bien sûr il y a un myriade de livres qui parlent de rencontres mais à la manière des comédies romantiques contemporaine (je pense à un mois d'Août à Paris de René fallet), où c'est souvent la femme qui aborde un homme et est charmée par sa timidité... :roll:

Bref, connaissez vous d'autre écrivains, d'autres romans qui plutôt que de parler de couple, d'amour et de séduction, parlent précisément de rencontres, de drague et d'abordage ?
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By Eick
#142654 [quote="jazzitup_"][quote]car le lecteur individuel n'a pas les compétences pour pouvoir quantifier le talent d'un auteur

Oui, ça s'appelle avoir du goût.

Le gout est un sens esthétique intuitif, une aptitude à discerner les qualités et les défauts d'une œuvre.
Quantifier le talent de l'auteur = déterminer la valeur de son œuvre.

Il y a une nuance quand même entre l'appréciation qui se veut plus subjective et l'évaluation qui se doit d'être plus intersubjective. ;)
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By Maurice
#142663 Je pense que vous faites fausse route.

Bien sûr qu'incidemment la qualité esthétique d'une oeuvre est importante, mais ici, elle est assez secondaire (ou plutôt elle viendrait de surcroît).

On trouve parfois des choses dans une oeuvre dite de second rang, concernant le thème de la séduction, qu'on ne trouvera pas forcément dans une oeuvre de premier rang.

J'ai même appris à lire, depuis que je suis ici, de la littérature de seconde, voire de troisième catégorie (par exemple, La trilogie de Grey). Je ne le regrette pas : car Grey m'a donné mis dans un excellent état d'esprit pour ma part.

Il est parfois des livres qui donnent plus d'énergie que la Mort à Venise et ce n'est pas forcément plus mal... :D
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By Maurice
#142664 Au vu de l'extrait donné de Mauriac ci-dessus, je comprends certes qu'il puisse plaire et donner de l'énergie (ceci étant, je trouve le père Mauriac généralement terriblement dépressogène).

Je comprends aussi que cet extrait puisse déplaire littérairement parlant (ce qui est plutôt mon cas, c'est très tortueux et ici bien artificiel de s'imaginer se mettre dans la tête de quelqu'un qui vous dévisage en y mettant tant de richesse et je trouve la scène manquant pas mal de réalisme...).
By Tibaille
#142666 [quote] c'est très tortueux et ici bien artificiel de s'imaginer se mettre dans la tête de quelqu'un qui vous dévisage en y mettant tant de richesse et je trouve la scène manquant pas mal de réalisme... Le réalisme en psychologie doit être subjectif alors ! :)

Je vois ce que tu veux dire pour la littérature de second rang, qui donne de l'énergie. J'ai lisais souvent San Antonio à une époque. La drague et les femmes y sont toujours présentes également !
By Chando
#142915 [quote="Tibaille"]
Mais en ce qui concerne la drague, la rencontre, l'abordage, si des cinéastes l'on plusieurs filmé, il y a là un désert littéraire. Ces 2 extraits sont pour moi un oasis que j'ai cru bon de partager.

Un désert ? oh oh !!

Si tu ne devais en lire qu'un, dans l'océan de la littérature française, ce serait :

[img]http://auction-in-europe.com/aie-datas/photos/phb23d9a.jpg[/img]



Je te conseillerai bien aussi l'amusant Trois Filles de leur mère mais c'est quand même pour les lecteurs avertis :wink:
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By Maurice
#142967 "Tibaille a écrit:Mais en ce qui concerne la drague, la rencontre, l'abordage, si des cinéastes l'on plusieurs filmé, il y a là un désert littéraire. Ces 2 extraits sont pour moi un oasis que j'ai cru bon de partager."

Hum hum...
L'Education sentimentale :

[quote] Ce fut comme une apparition :

Elle était assise, au milieu du banc, toute seule ; ou du moins il ne distingua personne, dans l'éblouissement que lui envoyèrent ses yeux. En même temps qu'il passait, elle leva la tête ; il fléchit involontairement les épaules ; et, quand il se fut mis plus loin, du même côté, il la regarda.

Elle avait un large chapeau de paille, avec des rubans roses qui palpitaient au vent derrière elle. Ses bandeaux noirs, contournant la pointe de ses grands sourcils, descendaient très bas et semblaient presser amoureusement l'ovale de sa figure. Sa robe de mousseline claire, tachetée de petits pois, se répandait à plis nombreux. Elle était en train de broder quelque chose ; et son nez droit, son menton, toute sa personne se découpait sur le fond de l'air bleu.

Comme elle gardait la même attitude, il fit plusieurs tours de droite et de gauche pour dissimuler sa manœuvre ; puis il se planta tout près de son ombrelle, posée contre le banc, et il affectait d'observer une chaloupe sur la rivière.

Jamais il n'avait vu cette splendeur de sa peau brune, la séduction de sa taille, ni cette finesse des doigts que la lumière traversait. Il considérait son panier à ouvrage avec ébahissement, comme une chose extraordinaire. Quels étaient son nom, sa demeure, sa vie, son passé ? Il souhaitait connaître les meubles de sa chambre, toutes les robes qu'elle avait portées, les gens qu'elle fréquentait ; et le désir de la possession physique même disparaissait sous une envie plus profonde, dans une curiosité douloureuse qui n'avait pas de limites.

Une négresse, coiffée d'un foulard, se présenta, en tenant par la main une petite fille, déjà grande. L'enfant, dont les yeux roulaient des larmes, venait de s'éveiller. Elle la prit sur ses genoux. " Mademoiselle n'était pas sage, quoiqu'elle eût sept ans bientôt ; sa mère ne l'aimerait plus ; on lui pardonnait trop ses caprices. " Et Frédéric se réjouissait d'entendre ces choses, comme s'il eût fait une découverte, une acquisition.

Il la supposait d'origine andalouse, créole peut-être ; elle avait ramené des îles cette négresse avec elle ?

Cependant, un long châle à bandes violettes était placé derrière son dos, sur le bordage de cuivre. Elle avait dû, bien des fois, au milieu de la mer, durant les soirs humides, en envelopper sa taille, s'en couvrir les pieds, dormir dedans ! Mais, entraîné par les franges, il glissait peu à peu, il allait tomber dans l'eau ; Frédéric fit un bond et le rattrapa. Elle lui dit :

- " Je vous remercie, monsieur. "

Leurs yeux se rencontrèrent.

- " Ma femme, es-tu prête ? " cria le sieur Arnoux, apparaissant dans le capot de l'escalier.

Flaubert - L'éducation sentimentale - Extrait du chapitre 1 de la première partie


"Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue ;
Un trouble s'éleva dans mon âme éperdue ;
Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler ;
Je sentis tout mon corps et transir et brûler"
Recine, Phèdre.
[quote]

Puis tout à coup je rencontrai la femme qui devait aiguillonner sans cesse mes ambitieux désirs, et les combler en me jetant au coeur de la Royauté. Trop timide pour inviter une danseuse, et craignant d'ailleurs de brouiller les figures, je devins naturellement très grimaud et ne sachant que faire de ma personne. Au moment où je souffrais du malaise causé par le piétinement auquel nous oblige une foule, un officier marcha sur mes pieds gonflés autant par la compression du cuir que par la chaleur. Ce dernier ennui me dégoûta de la fête. Il était impossible de sortir, je me réfugiai dans un coin au bout d'une banquette abandonnée, où je restai les yeux fixes, immobile et boudeur. Trompée par ma chétive apparence, une femme me prit pour un enfant prêt à s'endormir en attendant le bon plaisir de sa mère, et se posa près de moi par un mouvement d'oiseau qui s'abat sur son nid. Aussitôt je sentis un parfum de femme qui brilla dans mon âme comme y brilla depuis la poésie orientale. Je regardai ma voisine, et fus plus ébloui par elle que je ne l'avais été par la fête; elle devint toute ma fête. Si vous avez bien compris ma vie antérieure, vous devinerez les sentiments qui sourdirent en mon coeur.
Mes yeux furent tout à coup frappés par de blanches épaules rebondies sur lesquelles j'aurais voulu pouvoir me rouler, des épaules légèrement rosées qui semblaient rougir comme si elles se trouvaient nues pour la première fois, de pudiques épaules qui avaient une âme, et dont la peau satinée éclatait à la lumière comme un tissu de soie. Ces épaules étaient partagées par une raie, le long de laquelle coula mon regard, plus hardi que ma main. Je me haussai tout palpitant pour voir le corsage et fus complètement fasciné par une gorge chastement couverte d'une gaze, mais dont les globes azurés et d'une rondeur parfaite étaient douillettement couchés dans des flots de dentelle. Les plus légers détails de cette tête furent des amorces qui réveillèrent en moi des jouissances infinies: le brillant des cheveux lissés au-dessus d'un cou velouté comme celui d'une petite fille, les lignes blanches que le peigne y avait dessinées et où mon imagination courut comme en de frais sentiers, tout me fit perdre l'esprit. Après m'être assuré que personne ne me voyait, je me plongeai dans ce dos comme un enfant qui se jette dans le sein de sa mère, et je baisai toutes ces épaules en y roulant ma tête. Cette femme poussa un cri perçant, que la musique empêcha d'entendre; elle se retourna, me vit et me dit: "Monsieur?" Ah! si elle avait dit: "Mon petit bonhomme, qu'est-ce qui vous prend donc?" je l'aurais tuée peut-être mais à ce monsieur! des larmes chaudes jaillirent de mes yeux. Je fus pétrifié par un regard animé d'une sainte colère, par une tête sublime couronnée d'un diadème de cheveux cendrés, en harmonie avec ce dos d'amour. Le pourpre de la pudeur offensée étincela sur son visage que désarmait déjà le pardon de la femme qui comprend une frénésie quand elle en est le principe, et devine des adorations infinies dans les larmes du repentir. Elle s'en alla par un mouvement de reine. Je sentis alors le ridicule de ma position; alors seulement je compris que j'étais fagoté comme le singe d'un Savoyard. J'eus honte de moi. Je restai tout hébété, savourant la pomme que je venais de voler, gardant sur mes lèvres la chaleur de ce sang que j'avais aspiré, ne me repentant de rien, et suivant du regard cette femme descendue des cieux. Saisi par le premier accès charnel de la grande fièvre du coeur, j'errai dans le bal devenu désert, sans pouvoir y retrouver mon inconnue. Je revins me coucher métamorphosé.

Balzac : Le Lys dans la vallée.

Avec la vivacité et la grâce qui lui étaient naturelles quand elle était loin des regards des hommes, Mme de Rênal sortait par la porte-fenêtre du salon qui donnait sur le jardin, quand elle aperçut près de la porte d'entrée la figure d'un jeune paysan presque encore enfant, extrêmement pâle et qui venait de pleurer. Il était en chemise bien blanche, et avait sous le bras une veste fort propre de ratine violette.
Le teint de ce petit paysan était si blanc, ses yeux si doux, que l'esprit un peu romanesque de Mme de Rênal eut d'abord l'idée que ce pouvait être une jeune fille deguisée, qui venait demander quelque grâce à M. le maire. Elle eut pitié de cette pauvre créature, arrêtée à la porte d'entrée, et qui évidemment n'osait pas lever la main jusqu'à la sonnette. Mme de Rênal s'approcha, distraite un instant de l'amer chagrin que lui donnait l'arrivée du précepteur. Julien tourné vers la porte, ne la voyait pas s'avancer. Il tressaillit quand une voix douce lui dit tout près de l'oreille : – Que voulez-vous ici, mon enfant ?
Julien se tourna vivement, et frappé du regard si rempli de grâce de Mme de Rênal, il oublia une partie de sa timidité. Bientôt, étonné de sa beauté, il oublia tout, même ce qu'il venait faire. Mme de Rénal avait répété sa question.
– Je viens pour être précepteur, madame, lui dit-il enfin, tout honteux de ses larmes qu'il essuyait de son mieux.
Mme de Rênal resta interdite; ils étaient fort près l'un de l'autre à se regarder. Julien n'avait jamais vu un être aussi bien vêtu et surtout une femme avec un teint si éblouissant, lui parler d'un air doux. Mme de Rênal regardait les grosses larmes, qui s'étaient arrêtées sur les joues si pâles d'abord et maintenant si roses de ce jeune paysan. Bientôt elle se mit à rire, avec toute la gaieté folle d'une jeune fille ; elle se moquait d'elle-même et ne pouvait se figurer tout son bonheur. Quoi, c'était là ce précepteur qu'elle s'était figuré comme un prêtre sale et mal vêtu, qui viendrait gronder et fouetter ses enfants !
– Quoi, monsieur, lui dit-elle enfin, vous savez le latin ?

Début du chapitre 6 - Le Rouge et le noir - Stendhal

Etc etc etc.
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By Maurice
#142969 Lire "Leurs yeux se rencontrèrent" de Jean Rousset, si on aime les décorticages littéraires, concernant ce thème en particulier.

Présentation de l'éditeur :

Jean Rousset, Leurs yeux se rencontrèrent,
éditions José Corti, 1981.

Le concept de forme, ou de structure, peut s'étendre à l'étude des scènes de roman, comme dans Leurs yeux se rencontrèrent La scène de première vue dans le roman. Cet ouvrage est consacré à une scène clé, qui se trouve dans tous les romans. La scène de première rencontre est une forme fixe, liée à une situation fondamentale (d'ailleurs extra-littéraire). Elle déclenche un mouvement, une série de conséquences proches et lointaines, qui est la suite inéluctable de cet instant premier. Le code en est continu, résiste aux coupures historiques et culturelles, et[quote] le corpus presque infini. A partir de traits constants, Rousset a construit un modèle. Il isole trois concepts : I'effet, I'échange, le franchissement ; puis, par rapport à cette norme, les écarts. L'analyse des scènes vérifie la présence permanente de certaines caractéristiques : description du lieu, soudaineté, échange de regards, reconnaissance (platonicienne). On peut en déduire trois types de scènes, selon un jeu de combinaisons à trois termes : apparition, disparition de l'héroïne (ou du héros), quête ; apparition, conjonction, quête (recherche commune, menée par les deux héros réunis); combinaison des deux précédents : apparition-conjonction, quête commune, disparition (Héloïse). La place de cette scène varie, sa répétition également. Il faut aussi opérer un partage logique entre la mise en place et la mise en scène. La mise en place comprend les indicateurs de temps et de lieu, le portrait, le nom. La mise en scène organise les éléments dynamiques, qui relèvent des trois catégories, suivant que leur activité est interne, externe ou les deux, produisant l'effet (soudaineté, par exemple), I'échange, le franchissement (qu'on aurait pu appeler transgression). Ce schéma peut paraître sec ; lorsqu’il est nourri par l'interrogation des textes de soixante auteurs (de l'Antiquité à Proust), grecs, allemands, anglais, italiens, français et suisses (naturellement), il produit de multiples découvertes, au cours d'une délicieuse promenade anthologique. On ne pourra plus, désormais, expliquer une scène de rencontre sans ce livre, qui inaugure une discipline nouvelle : la scénologie? Il faut simplement prendre garde de ne pas confondre la littérature et la vie : davantage de caractéristiques techniques (longueur des scènes, étude des emplacements) auraient distingué ce livre d'un charmant « art d'aimer ».
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By Eick
#142994 Le Lys dans la vallée, je le déconseille si vous n'êtes pas un minimum "poète" dans l'âme.
Ce livre est très très très lyrique (comme dirait Geist, il dégouline). Et ça peut vite devenir pompant si vous n'aimez pas ce style de littérature.

Néanmoins, Balzac décrit le château et les contrées de Saché avec une grande finesse.
C'est tout simplement sublime à la lecture.


Maurice, un petit cadeau. Je sais que tu vas apprécier ces 4 minutes de vidéo :

http://www.youtube.com/watch?v=MddgOFiFNhs