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Modérateurs: animal, Léo

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By Stéphane
#132435 [size=150]Episode 6 : «je sais que nous nous reverrons»[/size]

[img]http://www.spikeseduction.com/wp-content/uploads/imagewell/agata7.jpg[/img]

La journée a commencé avec les questions légitimes de mon acolyte, auxquelles je répondais avec d’autant plus de facilité que - contrairement à l’heure actuelle - c’était tout frais. L’essentiel dit, il avait faim et j’ai enfilé mon deuxième et dernier bermudas (le même que l’autre, en rouge) pour aller prendre le petit déjeuner sur la plage.

A vrai dire les petits déjeuners ne se prenaient pas vraiment sur la plage. Non qu’il n’y avait pas de plage, mais il n’y avait pas de petit déjeuner dans ce pays. Certains restaurants y préparaient des substituts, sur base d’inspiration en provenance d’un peu tous les pays du monde. Il y avait ainsi du fruit aux céréales, de l’omelette au cochon, des galettes de riz frites et du café à la crème. J’ai choisi les fruits coupés, du yoghourt et un café et lui les galettes, ou bien c’était l’inverse je ne sais plus. Puis, déjà proches du zénith du soleil, nous sommes sortis faire ce que tout le monde fait sur une île perdue en vacances : s’emmerder.

A ma grande surprise, cette région pays ne pratiquait plus le jetski, ni le wakeboard, ni le ski nautique, suite à de trop nombreux accidents de vacanciers. Restait la plongée sous-marine, dont mon baptême était pour le lendemain, le tour de l’île en bateau (déjà fait la veille), et les raquettes. Nous avons donc joué aux raquettes sur la plage pendant une heure avant de rentrer à l’hôtel devant lequel la directrice cassait des noix de coco à la machette au milieu d’une portée de chats sauvages tous blancs. La présence intacte de ses deux mains et de ses deux pieds attestait d’une pratique minutieuse et d’une habileté certaine.

Devançant la faim d’une bonne heure, nous sommes allés choisir un des restaurants de la plage, comme d’habitude, à l’odeur, en passant derrière les cuisines. Les nouilles sautées aux noix de cajou ou équivalent étaient grasses et brûlantes, mais ce n’était rien à côté du soleil, qui aurait pu cuire un oeuf. Quelques touristes à la peau marron comme du cuir installaient leur serviette près du ponton pour une intense après-midi allongée. Lourds comme des outres, nous sommes rentrés par le chemin le plus ombragé qui prenait la ville par derrière, tout au bas de la colline. Un européen barbu en t-shirt blanc fabriquait des bracelets en corde et en métal, il en avait au moins cinq cent, étalés sur des tréteaux. J’en ai choisi un à la fois régulier et dodu, mais au moment de payer il a insisté pour me l’attacher lui-même au poignet et a commencé d’entrelacer les lanières trois par trois, faisant tant de tour que jamais il n’aurait pu s’ôter autrement qu’avec une paire de ciseaux. Apprêté de mon accessoire, je suis rentré à la chambre ne rien faire. La chaleur baissait, ce serait bientôt le soir.

Vers cinq heures le soleil avait fini d’écraser la vie et le monde a pu reprendre son souffle. Une colonne de nuage montait de la mer comme un gratte ciel. Ce n’était pas un tsunami, pas même un petit cyclonet, mais c’était intriguant alors j’ai sorti mon appareil photo pour tenter d’en faire du souvenir. Mais le temps de me sortir de tous les pièges du réglage manuel, la tour s’était envolée alors j’ai fini à photographier des coquillages et des cailloux. Ceux qui s’intéresseraient au résultat peuvent me demander les photos dont je suis relativement satisfait eu égard à mon faible intérêt pour ce qui touche à la photographie (un appareil photo, eut-il une forme accentuée de pénis, est infiniment moins sexué qu’un ampli, un tuner ou une platine vinyle, surtout si ceux-ci ont été fabriqués avant 1980).

En poussant la porte de la chambre je découvrais avec plaisir qu’on avait rapporté mes deux chemises du pressing local. Elles sentaient une tenace odeur d’acidifiant chimique, ce qui en langage de nettoyage à sec devait vouloir dire qu’elles étaient «propres». Une douche fraîche achevait de me rappeler ce que j’avais maladroitement tenté d’oublier toute la journée : je ne désirais rien d’autre que revoir Agata ce soir.

Certains d’entre vous pensent peut-être que la raison pour laquelle je n’ai évoqué aucun échange de numéro de téléphone hier soir est que celui-ci ne pouvait être qu’implicite au vu de ce qui avait précédé. Il n’en a rien été. Comme beaucoup de gens en voyage hors des frontières de son continent, Agata n’allumait son téléphone qu’une à deux fois par semaine, et pour le reste s’organisait en direct avec le destin, la chance, le sens du vent et tout ce que la nature et les Dieux voulaient bien donner comme repères aux vacanciers un peu curieux et aventuriers. Nous n’avions donc évoqué aucun rendez-vous, aucun lieu précis, et la seule phrase dont je me souviens d’elle (je m’en souvenais car elle l’avait prononcé avec un vrai sourire de timide, celui qui s’accompagne d’un hochement de tête gêné) était :

[quote]«je sais que nous nous reverrons».

Armés d’une certitude nettement moins franche que la sienne, nous sommes donc repartis chercher l’aventure dans les rues animées du village ou le tintement des couverts et des assiettes résonnait sur les murs inégaux des maisons. Je pensais, si je ne l’avais croisée d’ici là, me rendre sur la même plage que la veille, où le hasard (ainsi que peut-être la perspective de me rencontrer) l’auraient peut-être menée aussi.

C’est pendant cet agréable songe que je remarquais la vision d’une créature attablée à côté de moi. Elle me dérangeait. On pouvait même dire que je la sentais plus que je ne la voyais. Au milieu de touristes fluos et gluants, elle émettait l’onde éloquente de la propreté parfaite et une animalité laiteuse qui, je dois aujourd’hui l’avouer, m’attirait énormément. Oubliant Agata un instant, je n’ai pu donc pu m’empêcher de me retourner pour voir celle qui venait perturber mes plans.

[size=150]A suivre[/size]

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By flonaish
#132504 Joliment écrit. Dans les tournures, il me semble déceler que la lecture de Camus a apporté une nouvelle corde à ton style.
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By Stéphane
#132631 J'ai retrouvé la photo de la vieille dame aux chats blancs (cf dernier épisode)

[img]http://www.spikeseduction.com/wp-content/uploads/imagewell/thai-agata.jpg[/img]
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By Stéphane
#132767 [size=150]Episode 7 : « Wild wild west»[/size]

(photo véritable, faite par bibi, comme la précédente)

[img]http://www.spikeseduction.com/wp-content/uploads/imagewell/agata8.jpg[/img]

Il m’a fallu plusieurs secondes, immobile, pour reconnaître Agata. Ces jambes, cette peau, ces cheveux, tout semblait une version restaurée de ce que j’avais vu la veille au soir, une copie neuve. La beauté d’une femme est bien souvent une équation entre les dons à la naissance et le temps passé dans la salle de bains, et au vu de la qualité des salles de bains qui équipaient les bungalows c’était plutôt flatteur pour elle. Le plus impressionnant était ses cheveux, qu'il me semblait voir pour la première fois. Elle avait dû apporter de son pays un de ces shampooings que les filles mettent des années à choisir parmi l’infini des possibles puis auxquelles elles restent fidèles 10 ans tant il aime leurs cheveux et ils le lui rendent bien. Il paraît d’ailleurs qu’une fille qui n’a pas de shampooing, c’est... enfin... Allo quoi.

Tout dans ce pays est trop petit, à commencer par les gens. Ceci explique peut-être cela. Elles étaient donc installées autour d'une table trop petite en terrasse d’une rue passante, à commander leur dîner. Je vous aurais volontiers décrit plus précisément ce qu’Agata portait mais d’une part je ne m’en souviens plus et de l’autre je sais que vous auriez sauté ce passage alors autant vous l’épargner d’entrée.

Debout quand les autres sont assis : c'est la position qui fait mal à l’ego. Mais au moins elles étaient là, c’était déjà une peur en moins. Je crois que, si nous ne les avions croisées de nouveau, cette histoire avortée m’aurait hanté longtemps. Comme la veille, la différence était palpable entre les deux jeunes femmes, la mienne semblant avoir pris la décision de ne plus me cacher un certain intérêt, tandis que son amie, sentant probablement cet intérêt sur le point de modifier le cours de ses vacances, faisait toujours plus le mauvais oeil : celui de l’impuissance à contrecarrer quelque chose qui, si elle doit se dérouler, se déroulera.

Que fallait-il faire à cet instant précis ? Nul ne le saura, en tous cas certainement pas moi. Après quelques minutes de discussion badine leurs crevettes sont arrivées, ou bien toute autre chose qu’elles avaient commandé je ne sais plus, et nous les avons discrètement laissées en accompagnant notre départ d’un simple geste de la main. A y repenser, ce n’était pas forcément très malin, mais elles ne nous avaient pas proposé de nous asseoir, et un reste de la meilleure des éducations (celle qu’on se fait soi-même) m’empêche de solliciter une chaise qu’on ne m’a pas offerte spontanément. A ce propos je ne peux m’empêcher de faire remarquer, car j’ai vu récemment un reportage de France2 sur la drague de rue et les agressions sexuelles, que si toutes les racailles que la France a recueilli ces vingt dernières années avaient fait preuve de la même capacité à s’auto-éduquer, il ne passeraient pas leurs soirées et leurs week-ends sur les champs Elysées à bander dans leur survêtement Adidas sur toutes les femmes qu’ils n’auront jamais et à leur cracher dessus pour leur reprocher de leur rappeler leur impuissance et leur frustration. Fin de la parenthèse. Enfin, j’avais quand même vu un sourire passer sur son visage et s’y incruster l’espace d’un instant, cela me suffisait à penser que l’histoire n’allait pas s’arrêter là. Mais à ce sujet comme sur tant d’autres, je m’étais déjà trompé.

Quand on veut que quelque chose se produise, il faut bosser en silence et surtout se taire. Alors dans ce cas précis je voulais bien me taire, mais pour ce qui était de faire le boulot, je ne voyais pas très bien à quelle activité m’adonner, si ce n’est mâcher ma nourriture et attendre une heure raisonnable pour me rendre à la plage de la veille. Sur le chemin, des jongleurs faisaient tournoyer des filaments enflammés entre leurs mains et recueillaient les applaudissements du public. Ils avaient des corps secs et nerveux, et des peaux un peu plissées à force d'air marin, sauf un. Petit et rond, émanait de lui cette confiance infantile de celui à qui rien ne peut arriver car ses parents veilleront toujours sur lui. Puis une dame de l’âge des mamans de Perfect Mothers est venue l’embrasser et lui glisser sans discrétion un petit rouleau de billets dans son bermudas. C’était la propriétaire de la plage et dans son bermudas ce devait être l’argent de poche de son goûter. Les jongleurs locaux, probablement habitués à ce favoritisme sans y être insensibles pour autant, rangeaient leur matériel. Le mini spectacle était fini, nous sommes partis. De toutes façons c’était l’heure.

Quand nous sommes arrivés sur la petite plage du fond, comme la veille - vous n’allez pas me croire mais que puis-je dire d’autre - c’était Bob Marley qui tournait en cd. Le même morceau exactement. Nous sommes montés à la cabane du bar demander de la noix de coco écrasée, de l’ananas et du rhum, que nous avons partagé approximativement pour aboutir encore une fois à une succulente pinacolada, ce qui m’a fait relativiser la difficulté d’être barman dans un pays où les fruits sont toujours frais. A Paris ce doit être une autre affaire, l’alcool est roi. Là bas l’alcool suivait, et c’était bien ainsi ; il y en a toujours assez. Agata n’était pas là, vous vous en doutez, sinon je vous l’aurais déjà dit. Je me suis approché de l’eau où nous dansions la veille, comme attiré par l’espoir idiot d’y retrouver l’empreinte de mes pas. Mais la mer qui depuis était passée et repassée par dessus un bon million de fois ne l’entendait pas de cette oreille et ne m’avait rien laissé que de vagues souvenirs, et une petite odeur de marée. Nous étions franchement déçus et la boisson n’arrangeait rien : j’ai l’alcool gai la semaine, et triste le week-end (si l’un d’entre vous aussi est comme ça, qu’il se manifeste ici-même, je me sentirai moins seul). Et c’est à l’instant où nous nous sommes résolus à partir que nous avons croisé celles que nous attendions.

Il y a des fois où une simple présence est un oui, alors tout est allé très vite. Dans ma tête tout du moins. En quelques minutes la meilleure copine avait disparu, et nous avons appris qu’elle n’avait plus de meilleure copine que le nom : en effet elles se disputaient sans cesse depuis quelques jours. Elles ne s’étaient d’ailleurs même pas adressées la parole depuis le matin. Tant mieux, pensais-je un peu égoïstement, tant mieux. Exaspérés par Bob Marley et ce disque qui répétait toujours la même chose, nous avons décidé de traverser la petite île à pied pour rejoindre l’autre rive à la recherche d’un endroit qui aurait entendu parler des conventions de la nuit, à savoir qu’on ne passe pas le même disque tout le temps sous peine de faire fuir les gens. Et nous l’avons trouvé. Quand nous sommes entrés il passait Wild wild west de Will Smith et manifestement leur playlist se composait de plus d’un album, ce qui était déjà une grande avancée. Nous sommes descendus du ponton de bois avec une petite table en plastique et trois chaises que nous avons planté sur le sable, assez loin en avant pensant que, comme la veille, la mer allait s’éloigner, partir dormir et ne revenir que le lendemain. Mais pour d’étranges raisons de géologie, sur ce côté de l’île c’était le contraire et elle montait au lieu de descendre. Quelques minutes plus tard, quand est arrivé le gin tonic que j’ai commandé, nous avions les pieds tout mouillés et mon ami qui déteste ça a filé. Et quand mon verre était terminé j'ai réalisé que deux heures avaient passé, et que la plage était déserte et noire. On nous avait laissé les chaises.

Nous étions enfin seuls, les jambes dans l’eau, assis sur des chaises en plastique qui n’allaient pas tarder à flotter, et le désir était arrivé au seuil où il vous coupe la parole, après vous avoir rendu inapte à penser à quoi que ce soit d’autre.

[size=150]A suivre[/size]

Et quand vous aurez fini la lecture de l'épisode 7, votez :
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By ornitorink
#132776 [quote="Stéphane"]quand mon verre était terminé j'ai réalisé que deux heures avaient passé, et que la plage était déserte et noire. On nous avait laissé les chaises.

Nous étions enfin seuls, les jambes dans l’eau, assis sur des chaises en plastique qui n’allaient pas tarder à flotter

Je trouvais très belle la scène du baiser sous la pluie et sur une plage déserte, mais la c'est encore un niveau au dessus.

Un bain de minuit au clair de lune dans une mer déserte et ça serait la cerise sur le gâteau.
By Meursault
#132778 [quote="Stéphane"]A y repenser, ce n’était pas forcément très malin, mais elles ne nous avaient pas proposé de nous asseoir, et un reste de la meilleure des éducations (celle qu’on se fait soi-même) m’empêche de solliciter une chaise qu’on ne m’a pas offerte spontanément. A ce propos je ne peux m’empêcher de faire remarquer, car j’ai vu récemment un reportage de France2 sur la drague de rue et les agressions sexuelles, que si toutes les racailles que la France a recueilli ces vingt dernières années avaient fait preuve de la même capacité à s’auto-éduquer, il ne passeraient pas leurs soirées et leurs week-ends sur les champs Elysées à bander dans leur survêtement Adidas sur toutes les femmes qu’ils n’auront jamais et à leur cracher dessus pour leur reprocher de leur rappeler leur impuissance et leur frustration.

Complètement d'accord mais encore faut-il avoir appris à apprendre. C'est, à mon avis, un bien précieux que l'on reçoit de façon aléatoire ou que l'on acquiert à la force (de facto inégale) de l'expérience et du caractère.

Beau récit. Vite, la suite ;)
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By Stéphane
#133044 [size=150]Episode 8 : « Black midnight sun»[/size]

[img]http://www.spikeseduction.com/wp-content/uploads/imagewell/agata9.jpg[/img]

Depuis l’épilogue du chapitre précédent vous pensez peut-être que, laissant le courant emporter chaises, tables et tout ce qui se trouvait dessus, nous avons simplement glissé dans l’eau tiède pour faire que vous attendez de lire depuis le début de l’histoire. Je pourrais effectivement l’écrire ainsi ; ce serait assurément une transition efficace. Mais ce n’est pas la vérité, que voici maintenant (toute nue, pas comme nous).

Sur le rivage où nous rapportions le matériel, toutes les chaises avaient été immobilisées par un long fil d’acier à l’extrémité duquel serrait un petit cadenas. Si le patron les comptait chaque jour à la fermeture - ce qui était probablement le cas -, quelqu’un avait dû se faire corriger. Après avoir laissé les nôtres bien en évidence, je suis rentré dans la pénombre déposer nos trois verres sous le comptoir collant, où je n’aurais pas été surpris de croiser les yeux brillants d’un mulot, et nous nous sommes retrouvés seuls, les mains vides (et les pieds nus en ce qui me concerne car mes tongs avaient disparu et je n'ai jamais su où elles étaient passées). Dans ce noir d’encre, seule éclairait la lune qui dessinait sur l’eau une ligne droite scintillante au milieu des bateaux.

Il y a eu deux trois paroles anecdotiques que je ne parviens pas à me remémorer ; quatre tout au plus. Je me souviens très bien par contre avoir enlevé ma chemise et avoir plongé dans l’eau pour la première fois. Si je ne détestais pas les clichés je dirais bien que je ne sentais aucune différence avec la température de mon propre corps, car c’est vrai. Derrière moi, la silhouette blanche courbée en deux comme un point d’interrogation était en train de retirer son short et je ne voyais plus dans l’obscurité que son débardeur en coton couleur claire et un dessous noi qui aurait tout aussi bien pu être un maillot de bain. Question logistique, on ne peut pas lutter : les filles pensent vraiment à tout.

J’avançais vers le large avec la confiance stupide et surnaturelle de celui qui ne sait pas où il va, encouragé par le fond sablé qui jamais ne semblait descendre : on avait pied jusqu’à l’infini. Soudain la lune a disparu. C’était le profil allongé d’un bateau-pirogue qui nous la masquait partiellement. Toujours sans nous parler - tout était dit -, nous nous sommes arrêtés sous la poupe, nous abriter d’un danger qui n’existait pas : il n’y avait pas âme qui vive à plusieurs centaines de mètres à la ronde. Nous avions fini par atteindre la limite du faux plat et je n’avais presque plus pied. Agata surnageait. J’ai alors senti une paire de jambes m’enserrer la taille comme une pince et je me retournais lentement.

De l’eau elle a sorti une petite boule noire et gélatineuse et ce n’est qu’en voyant cette forme oblongue suspendue à l’hélice du bateau que j’ai compris qu’il s’agissait de sa culotte. Mécaniquement, je commençais de libérer en sous-marin les boutons de mon bermudas mais avant que j’ai eu fini elle y avait plongé la main avec détermination. J’ai saisi son regard à cet instant, elle ne cillait pas et semblait sur le point de se battre.

La coque du bateau recouverte d’une fine couche de mousse bleue et verte, le moteur émergé au-dessus de nos têtes, ça sentait tout sauf l’odeur du drap de coton et de la chambre à coucher : plutôt un mélange de choux, d’huile et d’essence. D’un bras je me tractais légèrement pour faciliter l’insertion de l’objet. Pénétrer un autre être vivant au milieu d’un océan de matière organique en mouvement n’est pas particulièrement aisé, quand bien même cet être vous cramponne t-il sans intention de vous lâcher. Et puis c’est arrivé ; je suis entré en elle par effraction consentie, et ardemment désirée. C’était d’abord une sensation virile, râpeuse, j’avais l’impression de la violer le temps que nos corps se comprennent. Puis une coulée de chaleur épaisse venue du plus profond d’elle m’a littéralement enrobé et, libérée de l’âpre pression du sel, elle a enfin pu se donner entièrement.

A ce stade je ne puis rien ajouter d’autre qui ne serait un cliché. Je dirai donc seulement que, les millions de mètre cubes de l’océan ayant une force très supérieure à celle de deux êtres esseulés, fussent-ils dans l’immobilité de la nuit et incrustés profondément l’un dans l’autre, je devais régulièrement lâcher la prise car nous étions ballottés de gauche et de droite par les courants invisibles et capricieux vivants sous nos pieds comme des bancs de poissons.

Au fur à mesure que le plaisir épuisait la force de mes bras, je sentais tout mon sang, toute ma lymphe et toute ma vie confluer vers mon ventre jusqu’au point de non retour où je passerais brusquement tout en elle. Et avec l'amertume dont seul est capable l'homme après la jouissance, ce serait aussi l'instant où la perfection de cette lune décalquée à la surface de l’eau laisserait subitement place à un vulgaire soleil peint en noir.


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By Stéphane
#133087 [size=150]Episode 9 : bonus [/size]

[img]http://www.spikeseduction.com/wp-content/uploads/imagewell/agata9b.gif[/img]

De retour sur le rivage où les vagues avaient probablement dispersé ma semence, il faisait froid, je n’avais plus de chaussures et c’est là qu’Agata m’a dit (traduction approximative d’un anglais approximatif)

[quote]Je veux que tu entres encore en moi

Je l’aurais bien allongée par terre mais par d’innombrables et minuscules petits trous dans le sol sortaient des crabes et l’idée s’est évanouie immédiatement.

Trempés comme Jean Reno et Jacques Mayol dans le Grand Bleu (revenant de la plage où ils avaient rendu sa liberté au dauphin), nous avons traversé le village avec des ruisseaux dans les poches mais, grâce à l'ébriété ambiante, personne ne faisait vraiment attention à nous.

A l’entrée des bungalows j’ai vu la clef sur le mur, synonyme que la pièce était à nous si nous le désirions. Nous sommes entrés dans le lit pleins de sables et de sel et j’ai satisfait sa demande une seconde fois jusqu’à ce qu’un spasme lui torde les entrailles.

Nous étions sales, couverts de sueur et il était 3 heures du matin, c’est là qu’elle est partie en demandant si nous allions nous revoir. J’aurais voulu lui dire oui, mais à vrai dire je n’en savais rien alors j’ai simplement regardé dans la nuit s’éloigner ses petites chevilles blanches et musclées sur la terre souple et humide.
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By Stéphane
#133288 Grace à la taille de carte mémoire dans l'appareil photo de mon ami, j'ai retrouvé 2 traces de cette histoire :)

La première correspond à l'épisode 2, où nous dansions sur Bob Marley

La seconde, qui va suivre bientôt, est une photo d'Agata et moi

Merci D.

[img]http://www.spikeseduction.com/wp-content/uploads/imagewell/agata10.jpg[/img]
By liobail
#133289 Le récit a été très prenant. Il semblerait qu'Agatha t'es beaucoup marqué, pour que tu cherches après tout ce temps à retrouver une photo d'elle.
Vrai ?
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By roland
#133290 J'aime bien ton bermuda vert.
C'est quoi, l'espèce de flamme à l'arrière-plan ?