- Dim Déc 25, 2011 10:10 pm
#116786
[quote]«Ses yeux étaient comme deux lacs tranquilles»
Montherlant, La reine morte, A. 3, sc. 7, p. 145
[size=150]Introduction : le passé comme poison[/size]
[img]http://img690.imageshack.us/img690/9574/commedeuxlacstranquille.jpg[/img]
Je hais les professeurs de français. A différents degrés, il émane toujours d’eux - même chez les plus brillants - une indéfectible odeur de raté. Mme Jobert, avec sa tête de chèvre et ses mollets de cheval. Mme Potron, bourgeoise déclassée et apprêtée dont le prénom devait laisser plus d'empreinte en boite échangiste qu’en salle des professeurs. Mme Folio, qui n’avait pas besoin de Moravia pour inspirer à la fois l’ennui et le mépris. Ma belle-mère également faisait partie du clan, veule et neutre comme un dictionnaire sur son étagère. Et puis tout de même, Mme Herrero. Ou Herrera. Ou Ferrera. Enfin je ne sais plus son nom car c’était la plus gentille (ce sont toujours eux qu’on se rappelle le moins), avec son ventre rond et ses ongles corrodés d’angoisse qui ne laissaient planer aucun doute sur sa nature profonde de mère de famille.
Mais revenons un instant à Mme Jobert. On la sentait jouir d’arpenter les rangées tout l’après-midi, répandant la terreur derrière nos nuques comme une maniaque (selon des directions aléatoires ce qui, vu par un observateur imaginaire situé au dessus, devait ressembler à s’y méprendre à une partie de pac-man - où le monstre serait aussi le personnage principal). Un jour, naquit en son esprit une brillante idée de question, qui ne m’a pas quitté depuis : «Edouard, à quoi reconnaît-on que cet extrait (de texte) est au passé ?» A peine eut-elle fini ces mots que mes yeux retournaient chaque mot, chaque lettre, à la recherche de l’indice dont ma micro-enquête avait besoin. Faute de preuves irréfutables, je m’attachai à remonter depuis les profondeurs du récit des éléments psychologiques attestant que la relation qui liait les personnages avait fatalement dû s’achever, étant donné les mots qu’ils employaient aujourd’hui à l’égard de l’un et de l’autre.
Aujourd’hui encore je me souviens que ma réponse était loin d’être ridicule, et elle l’était d’autant moins si l’on tient compte de l’âge des protagonistes : une cinquantaine d’années contre... dix. Mais non, la chèvre avait décidé que j’étais «décevant» et avait sciemment attendu la toute fin de ma réponse pour la balayer d’un revers de cette grande règle qu’elle n’avait pourtant jamais tenue mais dont on aurait presque deviné l’ombre noire flotter sur les pans de sa blouse blanche. «Non Edouard - asséna t-elle avec une incompréhensible fierté - le texte est au passé parce que les verbes sont au passé !». Puis ce fût un monologue sur l’emploi de l’imparfait dont je n’écoutai pas un mot, occupé que j’étais à me demander lequel de nous deux était vraiment trop idiot.
20 ans plus tard je chine toujours les histoires de relations en quête d’indices psychologiques nichés sous les mots, comme les scorpions du désert dormant à l’ombre des cailloux. Et si j’ai pris l’habitude de ne raconter justement que des rencontres du passé, c’est sans doute pour leur laisser le temps de s'iriser de ce vernis nacré, et de composer mes sentiments. Celle-ci fait néanmoins un peu exception à la règle ; en la "ressortant" j'ai l'impression de m'injecter de la morphine dans une veine.
Cette histoire s’étale sur 2 années, 3 pays, et je m'apprête à vous en dire 3 choses : la protagoniste s’appelle Vanessa, elle avait 26 ans quand je l’ai rencontrée, et portait une robe bleu de Prusse.
De ces 3 choses, 2 sont fausses ; mais ça, je ne l’ai su que plus tard. Et maintenant c’est à vous de patienter. Pour le chapitre II.
[size=150]A venir : chapitre II, l’air chaud qui fait monter les ballons[/size]
Montherlant, La reine morte, A. 3, sc. 7, p. 145
[size=150]Introduction : le passé comme poison[/size]
[img]http://img690.imageshack.us/img690/9574/commedeuxlacstranquille.jpg[/img]
Je hais les professeurs de français. A différents degrés, il émane toujours d’eux - même chez les plus brillants - une indéfectible odeur de raté. Mme Jobert, avec sa tête de chèvre et ses mollets de cheval. Mme Potron, bourgeoise déclassée et apprêtée dont le prénom devait laisser plus d'empreinte en boite échangiste qu’en salle des professeurs. Mme Folio, qui n’avait pas besoin de Moravia pour inspirer à la fois l’ennui et le mépris. Ma belle-mère également faisait partie du clan, veule et neutre comme un dictionnaire sur son étagère. Et puis tout de même, Mme Herrero. Ou Herrera. Ou Ferrera. Enfin je ne sais plus son nom car c’était la plus gentille (ce sont toujours eux qu’on se rappelle le moins), avec son ventre rond et ses ongles corrodés d’angoisse qui ne laissaient planer aucun doute sur sa nature profonde de mère de famille.
Mais revenons un instant à Mme Jobert. On la sentait jouir d’arpenter les rangées tout l’après-midi, répandant la terreur derrière nos nuques comme une maniaque (selon des directions aléatoires ce qui, vu par un observateur imaginaire situé au dessus, devait ressembler à s’y méprendre à une partie de pac-man - où le monstre serait aussi le personnage principal). Un jour, naquit en son esprit une brillante idée de question, qui ne m’a pas quitté depuis : «Edouard, à quoi reconnaît-on que cet extrait (de texte) est au passé ?» A peine eut-elle fini ces mots que mes yeux retournaient chaque mot, chaque lettre, à la recherche de l’indice dont ma micro-enquête avait besoin. Faute de preuves irréfutables, je m’attachai à remonter depuis les profondeurs du récit des éléments psychologiques attestant que la relation qui liait les personnages avait fatalement dû s’achever, étant donné les mots qu’ils employaient aujourd’hui à l’égard de l’un et de l’autre.
Aujourd’hui encore je me souviens que ma réponse était loin d’être ridicule, et elle l’était d’autant moins si l’on tient compte de l’âge des protagonistes : une cinquantaine d’années contre... dix. Mais non, la chèvre avait décidé que j’étais «décevant» et avait sciemment attendu la toute fin de ma réponse pour la balayer d’un revers de cette grande règle qu’elle n’avait pourtant jamais tenue mais dont on aurait presque deviné l’ombre noire flotter sur les pans de sa blouse blanche. «Non Edouard - asséna t-elle avec une incompréhensible fierté - le texte est au passé parce que les verbes sont au passé !». Puis ce fût un monologue sur l’emploi de l’imparfait dont je n’écoutai pas un mot, occupé que j’étais à me demander lequel de nous deux était vraiment trop idiot.
20 ans plus tard je chine toujours les histoires de relations en quête d’indices psychologiques nichés sous les mots, comme les scorpions du désert dormant à l’ombre des cailloux. Et si j’ai pris l’habitude de ne raconter justement que des rencontres du passé, c’est sans doute pour leur laisser le temps de s'iriser de ce vernis nacré, et de composer mes sentiments. Celle-ci fait néanmoins un peu exception à la règle ; en la "ressortant" j'ai l'impression de m'injecter de la morphine dans une veine.
Cette histoire s’étale sur 2 années, 3 pays, et je m'apprête à vous en dire 3 choses : la protagoniste s’appelle Vanessa, elle avait 26 ans quand je l’ai rencontrée, et portait une robe bleu de Prusse.
De ces 3 choses, 2 sont fausses ; mais ça, je ne l’ai su que plus tard. Et maintenant c’est à vous de patienter. Pour le chapitre II.
[size=150]A venir : chapitre II, l’air chaud qui fait monter les ballons[/size]