- Jeu Mar 10, 2011 7:03 pm
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Episode 1 : Sensations
Episode 2 : Occasion
Episode 3 : Réactions
Episode 4 : Rédaction
Episode 5 : Dépression
Episode 6 : Rédaction (bis)
Episode 7 : Expédition
Episode 8 : Négociations
[size=150]Episode 9 : Pulsations[/size]
Episode 10 : ... Séduction
La vie d’auteur est rythmée, comme celle de la femme enceinte, d’indispensables rendez-vous prénataux avec le personnel qui sera chargé de la délivrer de son encombrant paquet. Après les relectures, qui sont à l’écriture ce que l’échographie est à la grossesse, ce sont les rendez-vous presse, où vous découvrez l’existe d’un millier de journalistes dont vous ignoriez complètement l’existence, et aux plumes desquels vous êtes désormais pendus. Ces deux étapes sont maintenant derrière moi (la seconde depuis peu). Place à l’attente fébrile de mercredi prochain.
Mercredi prochain, nous serons le 16 mars. Je n’ai pas attendu un jour avec autant d’impatience depuis près de trois ans. L’été 2008, pour être précis, où je comptais les jours qui me séparaient du retour de la femme qui m’avait fait éprouver l’un des seuls coups de foudre de ma vie. En m’allongeant mardi soir, je règlerai mon réveil-lumière de Philips (à ne pas confondre avec la lampe de luminothérapie de la même marque, encore plus géniale) sur huit heures et demi. Je me réveillerai à huit heures quinze, me tapoterai les joues, et filerai sous la douche me savonner à la mousse de «Fa» comme dans les publicités. Puis je boirai deux oranges cul sec, avant de mâchonner mon muesli devant le bol, à côté de mon transistor radio Bang&Olufsen des années 50, dont l’un des haut- parleurs perd la voix. Dans la rue des livreurs bloqués klaxonneront d’autres livreurs garés en double file, puis ils feront meugler leur moteur diesel avant de sortir s’insulter en gonflant la cage thoracique. J’aurai dormi seul - donc j’aurai bien dormi -, et à neuf heures trente je serai à l’extérieur.
Le temps sera au gris et au tiède, les automobilistes inquiets et les piétons affairés comme s’ils couraient tous au devant d’importantes responsabilités. En remontant les champs Elysées vers l’enseigne rouge sang du Virgin, mon estomac picotera comme celui d’un enfant le matin de Noël, quand il imagine le vieux barbu descendu en coup de vent pendant la nuit lui donner la matinée de bonheur attendue un an durant. En talonnant la moquette grise des escaliers, j’aurai le coeur pris. Pris entre l’envie de rameuter tout le monde de force au rayon développement personnel et de leur coller la couverture de
L’homme idéal sous la figure dans l’espoir qu’ils s’en achètent à s’en faire déborder les poches, comme les louis d’or dans l’épreuve finale de Fort Boyard, et celle de fondre et de me cacher entre deux tranches de dictionnaire pour observer les premiers acheteurs.
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Je peux maintenant l’avouer, je crois que l’on écrit un livre pour savoir qui peut bien être assez fou pour vous aimer un peu et vous emmener dans sa poche (ou dans son lit, pour mes - je l’espère nombreuses - lectrices femmes aux cheveux courts). Les ebooks, c’est bien joli, ça rapporte bien plus, mais on ne sait rien de l’acheteur qu’une adresse email et le code postal d’une ville dont on n’a jamais entendu parler. Mercredi, roulé entre mes deux tranches de dictionnaire, je verrai des mains s’approcher du papier sur lequel j’ai virtuellement posé les miennes pendant près de deux ans. Qui peut bien s’intéresser au
Who’s who, quand bien plus intéressant est le
whose hands.
Quand viendront les fourmis qui accompagnent toujours la longue station prolongée dans les grands magasins, je reprendrai dans l’autre sens le chemin de la moquette grise pour aller payer mon exemplaire à la caissière dont j’attendrai en vain un sourire d’intelligence tandis qu’elle me demandera mécaniquement si je possède la carte de fidélité. En remontant l’escalier central, mon coeur de nouveau disparu bien au fond de ma poitrine, à l’endroit d’où on ne le sent pas. Puis je glisserai mon ipod nano dans mon sac virgin et c’est en regardant les filles défiler dans la rue vers des destinations inconnues que je sélectionnerai [url=http://www.deezer.com/listen-3444109]« Fleurette Africaine » de Duke Ellington[/url], que jouera le casque sennheiser hd-25 en étouffant sous ses coussinets un peu du bruit du monde.
En arrivant chez moi il sera près de midi, je noierai
mon livre au milieu de tous les autres sur les planches épaisses de la bibliothèque, la colorant ainsi d’un peu de vert-pistache sur la tranche. Je ferai crachoter sans but la radio pendant qu’un violent sentiment de vide m’envahira. En arrivant à la cuisine terminer mon fond de muesli mou, en pensant que tout est à recommencer, j’aurai les yeux embués de larmes. Et maintenant, me dirai-je fébrilement.
[size=150]A suivre : épisode 10, "séduction"[/size]
Modifié en dernier par Stéphane le Ven Mar 11, 2011 4:57 pm, modifié 2 fois.