- Lun Fév 28, 2011 12:47 pm
#106029
Au stade de l’expédition aux éditeurs, les images d’Epinal veulent que l’auteur, affalé devant sa machine à écrire, repu de l’écriture comme on le serait d’un bon repas, rassemble ses dernières forces (et ses derniers centimes) pour se rendre jusqu’au tabac du coin acheter un gros paquet d’enveloppes kraft, et patiemment y glisser les copies du manuscrit qu’il aura fait imprimer chez son cousin. Quand son cousin n’est pas l’éditeur lui-même, chez lequel il lui suffit généralement de passer vers trois heures de l’après-midi, du côté de la place Saint-Sulpice à Saint-Germain des prés. Ma réalité a été un peu différente. D’abord parce que mes cousins font tout sauf des livres. Ensuite parce que, comme le savent ceux d’entre vous qui ont fait l’atelier dream-job, si je ne crois pas que l’on puisse décrocher le poste de ses rêves en arrosant l’univers avec son cv, je ne vois pas bien comment il pourrait en aller différemment avec son manuscrit. Quand bien même serait-il particulièrement bien écrit.
Episode 1 : Sensations
Episode 2 : Occasion
Episode 3 : Réactions
Episode 4 : Rédaction
Episode 5 : Dépression
Episode 6 : Rédaction (bis)
[size=150] Episode 7 : Expédition [/size]
Episode 8 : Négociations
Episode 9 : Pulsations
Episode 10 : ... Séduction
Pour être tout à fait exact, je n’avais pas attendu d’avoir fini l’écriture pour m’inquiéter de la publication. Voilà déjà un an que j’avais entamé les démarches de «séduction d’un éditeur» (un atelier à suivre très bientôt sur ce sujet d’ailleurs, guettez-le) et, comme lors de presque tous les moments importants de ma vie, rien ne s’est passé exactement comme prévu.
On m’avait dit qu’il ne fallait envoyer que des projets terminés ; j’ai envoyé 30 pages. On m’avait dit qu’il fallait se déplacer et déposer son manuscrit soi-même sur place ; je suis passé par un agent, convaincu d’avance que les hôtesses d’accueil des maisons d’éditions ont des façons bien rodées d’éconduire les visiteurs un peu trop intéressés. On m’avait dit qu’il fallait être patient ; je ne l’ai pas été. On m’avait dit qu’il fallait être gentil avec son agent ; je l’ai renvoyée. On m’avait dit qu’il fallait être choisi ; j’ai choisi. Bref, comme d’habitude, on dit beaucoup de conneries. Au soir de l’expédition finale, le 30 septembre dernier, je n’avais pas l’angoisse de devoir trouver une maison d’accueil au petit de 300 pages que j’avais enfanté. Non, au contraire, délivrer ce pour quoi on vous avait engagé par contrat 6 mois plus tôt vous octroie le luxe sensoriel d’une temporaire et infinie légèreté. J’ai envoyé le texte avec un jour d’avance car je voulais que cela coïncide avec le soir de mon opéra préféré au théâtre Bastille : le vaisseau fantôme de Wagner.
[img]http://img143.imageshack.us/img143/4580/hommeideal7.jpg[/img]
A 16h12, l’email partait avec la pièce-jointe la plus précieuse à avoir transité par ma messagerie. Je n’avais pas compressé le fichier, le transfert a duré de longues secondes, auxquelles j’ai rajouté quelques autres afin d’être sûr que tout était bien terminé. Puis j’ai refermé l’écran de mon petit mac blanc pour la dernière fois et je l’ai remisé au salon, dont il n’a plus bougé depuis. Sa retraite consiste à jouer de la musique dans l’ampli de la chaine hifi. Je suis sorti acheter son remplaçant, j’ai lancé la récupération automatique des données (Times Machine, pour les mac-addicts), et j’ai pris le vélo jusqu’au théâtre où malgré mes efforts pour ralentir je suis arrivé en avance. J’étais presque seul dans la salle et mes pensées se lovaient dans le silence soyeux comme dans de la plume. Les silhouettes des spectateurs qui commençaient de se glisser dans les rangées m’évoquaient des fantômes anonymes qui se seraient donnés rendez-vous en secret pour la messe Wagnérienne. Je savais que le lendemain matin, en arrivant à son bureau, la directrice de Flammarion trouverait mon manuscrit terminé en haut de la pile de son courrier (courrier électronique, certes, mais courrier tout de même), et cette idée me rendait fort et placide comme un ours.
J’avais produit du concret, maintenant il me fallait du solide. Avec la nuit tombée, le quartier de la Bastille avait repris quelques-uns de ses airs d’érotisme sordide qu’il arbore fièrement le samedi soir, lorsque de jeunes hommes viennent lancer leurs filets de testostérone sur les jeunes femmes disponibles, et que les filets tombent généralement dans les flaques de vomi laissées par leurs homologues passés avant eux. Chez Boffinger, 3 rue de la Bastille, j’ai dîné d’un ris de veau très moelleux servi par un personnel assez cassant, puis j’ai appelé Elena. Elena me fait penser à la
Femme Léopard de Moravia. J’ai attendu des femmes trop de pureté, trop de vertu. Maintenant, il me suffit qu’elles aient du goût musicalement et qu’elles sentent très bon. Je m’occupe du reste.
[size=150]A suivre, épisode 8 : Négociations[/size]