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By Maurice
#152955 Sur la timidité et la langue bretonne. Extrait du Cheval d'Orgeuil de Pierre Jakez-Helias (1975). (Ce qui suit se passe à Quimper, au début des années 1920) En espérant que vous connaissez l'accent breton de cette région pour goûter à la truculence du style.

[quote]Une autre humiliation latente qui habite nos parents quand ils sont hors de chez eux (et seulement hors de chez eux) c'est leur état de paysans. Le laboureur de terre n'a jamais obtenu, au cours des siècles, la considération qui devrait naturellement être due à sa mission de pourvoyeur de nourriture. Il a toujours été relégué dans les plus basses couches du Tiers Etat. Il fait nombre, c'est tout, et anonymement, Jacques Bonhomme. Les livres d'histoire en parlent à peine et c'est là une constatation qui m'a frappé de bonne heure. Déprisé, même riche, par les classes dites supérieures qui commencent aux minables petits employés à col celluloïd, déjà renié par les marchands de quelque chose qui sortent de son rang, le coupeur de vers, le lourd-des-sabots, le plouc, le bouseux, n'est jamais à l'aise hors de son clan. Et son clan, il préfère y rester pour ne pas se gêner ni gêner les autres. Charbonnier maître chez lui. Quitte à en faire sortir ses enfants puisque le train du monde le veut ainsi. Voulez-vous un exemple ! C'est la distribution des prix au lycée La Tour d'Auvergne. Théâtre municipal, plantes vertes, Marseillaise, préfet et colonel, professeurs en toges, parterres et balcons bourrées de parents d'élèves endimanchés à la mode de la ville, discours, livres à tranches dorées. De ces livres, je vais emporter un bon tas. Dehors cependant, sur les marches du palais bourgeois, ma mère est assise avec d'autres femmes de la campagne, en coiffes des grands jours et velours tout du long. Elles se racontent leur vie comme au pardon de sainte-Anne la Palud, elles se chantent mutuellement les louanges de leurs enfants. On dépêche un pion pour les prier d'entrer. Rien du tout. Le surveillant général lui-même vient insister. Il y a des mères de prix d'excellence parmi elles.
- Entrez donc, mesdames. Il y a des places pour vous, il ne faut pas avoir peur.
- Nous n'avons pas peur non plus, disent-elles avec sérénité.
Et elles remercient le monsieur sans bouger pied ni patte. Simplement, leur place n'est pas dans la "maison Paugam", c'est ainsi que le menu peuple de Quimper appelle le théâtre municipal, du nom d'un bourgeois bienfaiteur de la ville. (...) En ce jour de gloire, nous ne mangerons pas sur un banc. Nous irons au restaurant Sauveur, place Saint-Mathieu, où l'on parle breton à son aise avec tout le monde. Parfaitement. Comme des commis-voyageurs. (...) Plus tard, moi qui saurai le français presqu'aussi bien que Monsieur Le Bail, j'irai manger à l'Hôtel de l'Epée avec les grosses têtes. Ma mère n'ira pas, ne voudra pas y aller. C'est une autre "maison Paugam".
Si j'évoque tout cela, c'est pour expliquer pourquoi nos parents, surtout les Rouges (= Républicains), redoublent la punition de l'instituteur quand il nous a surpris à parler breton dans un endroit où il ne le faut pas. Pourquoi aussi, quand arrive dans la maison quelqu'un qui ne parle que le français, ils se mettent en quatre pour le comprendre et lui répondre. Le breton est leur bien personnel, un pauvre bien comme leur penn-ti (= maisonnette, cottage), leur vache, leur cochon, leurs deux champs et leur bout de prairie. Nous, leurs enfants, nous devons franchir la barrière du français pour accéder à d'autres richesses, c'est tout. C'est le français qui donne les honneurs. Et les honneurs, ils aiment ça. Mais ils parleront breton jusqu'à la fin de leur vie sans s'inquiéter de ce que leur langue deviendra après eux. Ce n'est pas leur affaire. Le breton est le seul langage accordé à leur vie quotidienne pour laquelle le français ne vaut pas chipette, ils le savent bien. Seul le breton est capable de les traduire valablement corps et âme, ils le savent aussi.

[img]http://www.livre-po-cher.com/catalog/images/romanbio/chevaldorgueil.jpg[/img]
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By Maurice
#153438 J'écoute l'émission Psychologie et Littérature de Quentin Debray qui recevait Olivier Rey, philosophe et mathématicien, chargé de recherches au CNRS, écrivain, sur le thème : « les désarrois d'une jeunesse sans passé. » pour son roman Après la Chute.

Emission intéressante qui donne envie de lire le livre. Notamment cette idée que les femmes (du moins celles des villes) ne supportent "culturellement" pas la masculinité affirmée tout en la désirant par nature, ce qui n'est pas pour rien dans une certaine hystérisation de la féminité actuelle (tout ceci, c'est moi qui le traduis avec mes mots). Plein de petites choses à glaner dans cette causerie.

[url]http://www.radiocourtoisie.fr/19921/psychologie-et-litterature-du-26-mai-2014-les-desarrois-dune-jeunesse-sans-passe/[/url]

(En libre écoute pour encore 5 jours environ)
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By Maurice
#153724 [img]http://cendrillon49.c.e.pic.centerblog.net/dh1rxkno.jpg[/img]

Ce qui suit narre ce qui se passe plutôt dans les années 20. Le costume breton est souvent noir non par tradition, mais parce que la modernité l'a en quelque sorte figé dans le deuil effroyable qu'a connue la Bretagne durant le Première Guerre mondiale, une des régions les plus touchées de par la proportion d'hommes tués au front.

[quote]Si les femmes tiennent à leur habillement de tête, c'est parce qu'elles savent fort bien qu'il les avantage. D'abord, cet échafaudage de blancheur est un luxe et compris comme tel. Ensuite, il les oblige à se tenir droites après les avoir obligées à se coiffer dans le plein sens du terme. Et enfin, il met en valeur la chevelure dont elles sont fières, surtout les blondes. Evidemment, la guerre de 1914 a fait disparaître la cocarde rouge à larges rubans dite la Pompadour qu'elles épinglaient sur l'oreille, mais elles se revanchent en tirant des frisettes et des accroche-coeurs sur le front et les tempes, elles accusent le décolleté du gilet par derrière pour dégager la ligne du cou. Et cela malgré les vitépurations tonitruantes du recteur (1) qui traite ces artifices d'allumettes du diable et les coquettes de dévergondées. Ce qui est sûr, c'est que les quelques femmes à la mode de la ville qui paraissent quelquefois dans le bourg ont l'air si mal fagotées, dans leurs robes-sacs et leurs chapeaux-marmites, à côté des élégantes bidoudènes toutes voiles dehors.

(1) Recteur : curé, en Bretagne.

Heureusement, on voit de temps en temps de costumes de couleur.

[img]http://imalbum.aufeminin.com/album/D20070915/274170_AWPZVY1N6OED1GEQXVYOKYYYQCFFKT_jeune-fille-bigouden_H170500_L.jpg[/img]

[quote]Les filles se promènent souvent trois par trois, bras-dessus bras-dessous. Celle du milieu est souvent la plus provocante, parce qu'elle sent ses flancs protégés par les deux autres. Et puis à trois on se défend mieux. Si l'un d'elles veut marivauder avec un galant, il en reste deux pour la surveiller. Une seule ne sufffirait pas, précisément parce qu'elle serait seule et donc elle-même exposée. Or, les garçons sont entreprenants surtout quand ils reviennent du service militaire qui est leur première grande aventure. Ils ont assez tremblé de ne pas la connaître, assez redouté ce fameux conseil de révision, à Plogstel Saint-Germain. N'allait-on pas leur trouver une maladie caché, un vice physique inconnu d'eux-mêmes ? Ils seraient déclarés inaptes, renvoyés chez eux, traités de boued yer (pitance à poules), raclure de balayage, autant dire rien de bon. Et aucune jeune fille ne se laisserait plus approcher par eux. Adieu le mariage, du moins dans le pays. Avoir une infirmité visible vaut cent fois mieux. C'est avez appréhension que les parents attendent le retour des conscrits qui affrontent l'épreuve au chef-lieu de canton. Le fils refusé au service, c'est une humiliation encore pire qu'une fille malade de la poitrine. Mais, quand le faraud a fait son temps dans une infanterie ou une artillerie, aucune fille ne peut plus lui faire baisser les yeux, d'autant plus que l'épreuve suivante sera le mariage.
Et les filles, de leur côté, apprennent à se mettre en valeur autrement que par le costume, le visage et la démarche. Le plastron raide qui leur écrase la poitrine bandée à outrance, se desserre d'une année à l'autre, soulignant des seins naguère réservés au seul allaitement maternel et qui vont bientôt enrichir l'arsenal des "allumettes du diable". Bientôt apparaîtront les soutien-gorges et une grand-mère pourra dire avec stupéfaction, en brandissant cette parure de sa petite-fille : c'est bien la première fois que je vois mettre du lait dans des paniers.

[img]http://www.ville-pontlabbe.fr/musee/wp-content/uploads/2010/07/versement-28-juillet-08-178.jpg[/img]

Le Cheval d'Orgueil de Pierre-Jakez Hélias, traduit du breton, ce sont des mémoires, une autobiographie, une éthnologie du pays bigouden à partir d'une paroisse en particulier, celle de Pouldrézic, et une oeuvre littéraire passionnante, un rien teintée de mélancolie, qui a été un grand succès de librairie dans les années 70.

C'est la mémoire des dernières années d'un monde qui s'éteint, d'un monde qui aura duré des centaines d'années, sinon quelques millénaires, le monde celte de la Bretagne bretonnante, indissociable du monde paysan et de l'Eglise. C'est l'histoire d'une capitulation face à une France incarnant la modernité (un peu comme certains tendent à capituler face au monde anglo-saxon) écrit par un auteur déraciné dans son propre pays, comme tous les Bretons, ayant appris le français à l'école et étant devenu à son tour professeur de Lettres Classiques en pays bigouden.

Je ne suis pas originaire du pays bigouden, que j'adore visiter à l'occasion, mais mon sang de breton s'est senti tellement revigoré par cette lecture ! Est-ce que je suis français, alors que je vois que la France est en train de se vendre au plus offrant comme une pute sur les Champs-Elysées (et les gens sont contents d'applaudir le QSG, le Qatar Saint Germain, tout en ne sachant plus exprimer en français certaines expressions qu'ils croient malin de singer de l'anglais) ? Je commence à me poser la question, tellement je vois que le cas de la France pourrait rejoindre celui de la Bretagne, et n'être plus qu'une terre à ploucs (du breton plou, signifiant paroisse - et ayant donné de toponyme comme Plougastel) avec d'un côté les irréductibles francophiles comme moi et de l'autre, les autres "gueux" contrefaisant le yankee et n'arrivant jamais à être ni yankee, et perdant de vue qu'ils sont français et se mettant d'eux-mêmes le cul entre deux chaises pour une plat de lentilles (quand il ne s'agit pas simplement de faire genre). Personnellement, je refuse de me déraciner encore une fois, et s'il faut désapprendre le rosbif pour ça (et ne plus jamais écouter Kate Bush), je le désapprendrai ! Ah mais oui, ça par exemple ! :D

Le livre fourmille de "bretonnismes" délicieux, ces expressions dont je connais bien certaines et qui donne sa saveur de langue très particulière à cet ouvrage. Je viens d'en donner un : la dernière phrase du dernier paragraphe.

Mais un non breton pourrait lire ce texte aussi. Il apprendrait tellement sur ce monde paysan qu'on nous a appris à mépriser alors qu'il recèle de tant de trésors, sur ce monde paysan victime d'un véritable génocide culturel et humain durant ce XXème siècle, saigné par les guerres, exilé par l'industrie, et qui s'est à son tour industrialisé plus souvent pour le pire que pour le meilleur. Découvrir le monde paysan tel qu'il était réellement, c'est-à-dire nos racines pour 99% d'entre nous, serait-ce par un parent, sa vie bercée par les saisons, sa culture prodigieuse (sa connaissance du monde immédiat qui l'entoure), sa générosité, ses rites, ses coutumes, son évolution réelle aussi (par exemple, la coiffe bigouden - qui a donné son nom à cette petite région à l'extrême sud-ouest de la Bretagne, n'a pris cette forme que depuis le début du XXème siècle). Quel trésor oublié, non enseigné, nié, renié, caricaturé à l'image de ces femmes bigouden (caricatures à laquelle certaines ont participé d'ailleurs en prêtant à rire au travers de telle campagne de publicité infâme) trop souvent moquées alors qu'elle peuvent encore être si belles dans leur costume qu'elle ne montre maintenant plus que lors de manifestations dites "folkloriques", et qui leur permet de ne pas oublier d'où elles viennent, en espérant qui sait, une Renaissance toujours possible. Car elles sont belles, n'est-ce pas, mes cousines de Bretagne ! :wink:

Impossible de digérer la richesse de ce livre en si peu de temps, et ce qui précède est bien brouillon et reflète plus des impressions spontanées qu'autre chose, et certainement pas une synthèse raisonnée. Il me donne à coup sûr envie de connaître plus ma terre d'origine et la langue de mes ancêtres (mon grand-père paternel parlait encore le breton). On verra bien ce que tout cela donnera !

[img]http://lecteurs.blogs.sudouest.fr/media/02/00/1662107562.JPG[/img]
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By Maurice
#153804 J'ai l'impression d'être un peu seul dans le salon... Allô ? Les gens ? Vous ne lisez plus rien ou quoi ? :D

[img]http://www.bibliocuriosa.com/images/c/c6/Amourparc1.jpg[/img]

Avouez que rien qu'avec ce titre et avec cette couverture, vous êtes tentés...

Voici le début :

[quote]I. CE CHAPITRE EST ECRIT EN GUISE DE PREFACE POUR AVERTIR LE LECTEUR QUE L'ON COMMENCE UN CONTE LIBRE.

Je sais que votre désir secret, en ouvrant un livre, est de trouver un ami qui vous parle et qui volontiers vous laisse croire qu'il ne parle qu'à vous. Et moi, quand j'écris, je voudrais composer mes récits comme une lettre, où l'on rapporte ce que l'on veut, au gré de son humeur, en ayant présente à l'esprit l'image de celui qui demain brisera l'enveloppe à son réveil. Aussi je vais m'offrir le plaisir, entre de graves romans qui sont difficiles, de raconter - une fois - ce qu'il me plaira, comme on improvise de jolis contes aux enfants.
Par exemple, je vous avertis, puisque j'adopte le sujet de mon goût, que je me risque à vous raconter une aventure délicate. Oh ! comme il est périlleux de raconter une aventure délicate, à une époque où la licence dans les ouvrages romanesques est sans bornes. Les abus des goujats, dans la liberté d'écrire, tueront, - si ce n'est déjà fait, - ce qu'il y a de charmant à écrire librement, en notre langue, pourvu qu'on fût honnête homme. Plus sûrement qu'un régime oppressif, les excès nous raviront pis peut-être que la liberté même : le goût de parler d'amour.

J'en suis à la page 50, et j'ai l'impression de déguster une délicieuse glace fraise/vanille artisanale, faisant pleinement ressortir le goût de ce fruit et de cette fleur, idéale par ce temps estival. Et d'ailleurs, oui, je ne sais pas ce qu'il adviendra par la suite de ce conte dont je me demande s'il est seulement léger tellement il est remarquablement écrit, mais ce que je sais, c'est que ces cinquante premières pages de La Leçon d'amour dans un parc me font trouver bien scandaleux l'oubli dans lequel René Boylesve a sombré - surtout qu'il n'aura échappé à personne qu'il y a là une réelle originalité dans la manière qu'a le narrateur d'intervenir dans le fil de son histoire, inscrivant la préface dans le corps même de son conte, et il interviendra constamment ainsi, sans gêne, nous montrant comme en direct le processus de fabrication de son conte, auquel nous sommes pourtant plongé en même temps, et totalement ! Il y a un vrai plaisir à rentrer dans cet univers sans rien en savoir, aussi ne dirais-je rien d'autre. Je ne le conseille pas encore puisque je ne l'ai pas fini, mais si vous ne savez pas quoi lire... et avez un peu de temps, essayez donc moi ce petit livre de 1902 bourré de charme, du moins jusqu'à la page 50... ça nous fera une lecture en commun et nous pourrons discuter ensuite de ce livre en faisant partie des happy few ayant eu le privilège de redécouvrir ce qui me semble être un grand écrivain.
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By Maurice
#153878 Et grâce à Gallica, je me rends compte que mon exemplaire de la collection Pourpre, imprimé en octobre 1940 est complètement censuré et que le texte de Gallica est autrement plus... osé (le conte date de 1902)! Le chapitre X, que j'ai lu tout à l'heure dans le train, et qui fonctionnait par allusion en livre, est autrement plus cru chez Gallica ! Quelle surprise ! Obligé de reprendre la lecture depuis le début !
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By Maurice
#153879 La jaquette de mon édition passée au ciseau (sans cette jaquette, la couverture est toute rouge tirant vers le bordeaux)

[img]http://i.ebayimg.com/00/s/OTExWDY1NA==/z/dLEAAMXQdm5RA3yy/$(KGrHqN,!qkFDkQhHZgbBR!3yykBzg~~60_57.JPG[/img]
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By Maurice
#153954 Puisque le thème est à la mode ;)... Ce livre est délicieux de badinage. Exemple :

[quote]"Je suis content, dit-il, d'avoir décidé de donner à ma filleule une poupée, car j'estime que la figure de carton peinturluré qui est enfermée là-dedans sera plus profitable à cette enfant que quatre demoiselles de Quinconas (la gouvernante). Ce qu'il faut à Jacquette, ce n'est pas un précepteur, c'est une amie, ou, à défaut, une bonne, mais à qui elle puisse parler à coeur ouvert. La femme demande à épancher ses petites affaires de tête et de coeur et elle ne s'ouvre qu'à quelqu'un qu'elle sent inférieur ou tout au plus égal à elle. C'est à cette condition qu'elle ne ment point. Inutile, lorsque nous parlons, qu'on nous écoute et nous réponde : que l'on ait l'air de nous entendre, et nous voilà bien à notre aise. Nous sommes assurés, mahleureusement, à partir d'un certain âge, que les poupées ne nous entendent point : c'est pourquoi nous les délaissons. Mais ma filleule ne sait pas cela encore ; elle formulera devant cette figure complaisante ses impressions et sa pensée ; elle apprendra par là qu'elle a des impressions et une pensée ; autrement dit, elle prendra conscience de soi, ce qui nous est facilité par la magie quasi miraculeuse des mots. Car, contrairement à beaucoup d'esprits distingués, je suis enclin à croire que rien n'existe, même au noyau de notre coeur, tant bien qu'un bon terme ajusté comme un gant ne l'habille. Mais c'est là un sujet qui m'entraînerait fort loin... Et nous ne sommes icic qu'un bon parrain qui paie un joujou à sa filleule, sans plus".
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By Maurice
#153975 Enfin, c'est un livre que je conseille pour plusieurs raisons. Il est léger et en même temps pourrait réconcilier certains avec la littérature tant il est bien écrit. Son genre est assez unique en soi, puisqu'on pourrait dire qu'il s'agit d'un conte érotico-psychologique, une véritable curiosité. Il donne une pêche assez forte dans l'hypothèse d'aller faire connaissance avec la gente féminine. Et tel un parfum, me semble parfaitement convenir pour cette fin de printemps, début d'été. Il me fait penser par certains côtés à Ventel et John Dillinger en tant que figurant chacun des personnages totalement opposés dans la manière d'aborder la séduction. Dans quelques mois, je lirai sans doute la suite : Les Nouvelles Leçons d'amour dans un parc.

En attendant, je recule d'une dizaine d'années et traversant la Manche, et me voici de nouveau dans la littérature anglais des années 90 du XIXème siècle. Place à Tess d'Uberville de Thomas Hardy, dont voici l'incipit.

[quote]
PREMIERE PHASE : JEUNE FILLE.

I

Un soir de la fin de mai, un homme d'un certain âge s'en retournait à pied de Shastron au village de Marlott, dans le val voisin de Blackmoor. Ses jambes vacillantes le faisaient obliquer légèrement vers la gauche. De temps en temps il semblait, par un vigoureux hochement de tête, confirmer une opinion, bien qu'il ne pensât à rien en particulier. Un panier à œufs vide était suspendu à son bras; le poil de son chapeau était tout hérissé et la marque du pouce se voyait sur le bord.
Il croisa un prêtre âgé, à califourchon sur une jument gris, qui, tout en chevauchant, fredonnait d'un air distrait.
- Bien le bonsoir, dit l'homme au panier.
- Bonsoir, sir John, dit le prêtre.
Le piéton fit un ou deux pas, s'arrêta, puis se retournant :
- Faites excuse, monsieur : mais au dernier jour de marché nous nous sommes rencontrés sur cette route, à peu près à cette heure-ci, et j'ai dit : Bonsoir, et vous m'avez répondu : Bonsoir, sir John, comme aujourd'hui.
- Oui, dit le prêtre.
- Et une autre fois, avant, il y a près d'un mois.
- Cela se peut.
- Alors, pourquoi donc que vous m'appeliez tout le temps sir John, quand je suis tout bonnement Jack Durbeyfield, le revendeur ?
Le prêtre approcha son cheval.
- C'était une simple lubie, dit-il ; puis, après un moment d'hésitation :
- C'est une découverte que j'ai faite il y a peu de temps, en étudiant les généalogies pour la nouvelle histoire du comté. Je suis le pasteur Tringham, l'antiquaire de Stagfoot-Lane. Ignorez-vous vraiment, Durbeyfield, que vous êtes le représentant en ligne directe de la vieille famille des chevaliers D'Urberville qui, d'après les Archives de Battle-Abbey, vint de Normandie avec Guillaume le Conquérant ?

Mon exemplaire :
[img]http://www.images-chapitre.com/ima3/original/935/1038935_3013249.jpg[/img]
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By Maurice
#154014 Poursuite très agréable de ma lecture de Thomas Hardy. En attendant, un petit de Houellebecq d'actualité (je l'aime bien Houellebecq).

[quote]"Il commençait à en avoir marre de cette stupide manie pro-brésilienne. Pourquoi le Brésil ? D'après tout ce qu'il en savait le Brésil était un pays de merde, peuplé d'abrutis fanatisés par le football et les courses automobiles. La violence, la corruption, et la misère y étaient à leur comble. S'il y avait un pays détestable c'était justement et tout à fait spécifiquement, le Brésil.
- Sophie ! s'exclama Bruno avec élan, je pourrais partir en vacances au Brésil. Je circulerais dans les favelas. Le minibus sera blindé. J'observerais les petits tueurs de huit ans, qui rêvent de devenir des caïds ; les petites putes qui meurent du sida à treize ans. Je n'aurais pas peur, car je serai protégé par le blindage. Ce serait le matin, et l'après-midi j'irais à la plage au milieu des trafiquants de drogue richissimes et des maquereaux. Au milieu de cette vie débridée, de cette urgence, j'oublierais la mélancolie de l'homme occidental. Sophie, tu as raison : je me renseignerai dans une agence Nouvelles Frontières en rentrant."

Michel Houellebecq, Les particules élémentaires.
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By Maurice
#154227 Tess D'Urberville fait en quelque sorte la synthèse de mes deux précédentes lectures. Il est amusant comment mes lectures se répondent les unes les autres très souvent. C'est clairement un très bon roman pour le moment, je viens de dépasser la moitié. Il est souvent présent dans les classements de meilleurs romans anglais.

Lecture estivale très agréable et là aussi double portrait d'un séducteur et d'un homme séduisant. Importance de l'impressionnisme dans l'écriture, voire dans une certaine vision éthique teinté d'un moralisme réel mais loin d'être idiot. Annonce Proust par certains côtés. Et aussi plaisir de vivre la campagne anglaise du début du siècle par procuration.

Ce livre permet enfin de se rendre compte de tout ce qui sépare la vie actuelle en ville. Quel exotisme, quelle bouffée d'air frais !

Extrait :

[quote]"Toutes les fenêtres de la maison étant ouvertes, Clare saisissait les moindres bruits des gens de ferme se retirant dans leurs chambres. Cette laiterie où il était forcé de séjourner, jugée d'abord si humble et si insignifiante qu'il la comptait à peine comme un objet du paysage, que n'était-elle point pour lui maintenant ! Les vieux pignons de briques couverts de lichen lui murmuraient : "Reste donc !" ; les fenêtres souriaient ; la porte lui faisait des signes câlins ; la vigne vierge toute rougissante se mettait du complot. Du fond de cette demeure, une âme étendait son influence, pénétrait les briques, le mortier, la voûte du ciel, et les faisait palpiter de brûlante sympathie. Et quelle était cette âme puissante et formidable ? Celle d'une petite laitière ! En vérité, Clare restait stupéfait de l'importance qu'avait prise pour lui cette ferme obscure ! Et le nouvel amour seul ne suffisait pas à l'expliquer. Comme d'autres, il avait appris enfin que la grandeur d'une vie ne provient pas des circonstances extérieures mais de l'expérience subjective, qu'un paysan de sensibilité aigüe mène une existence plus vaste, plus pleine et plus dramatique qu'un roi à l'épiderme grossier".
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By Maurice
#154271 [quote]Tout le monde le sait, c'est le plumage qui fait l'oiseau. Une paysanne d'attraits médiocres sous ses simples habits, brillera d'une beauté surprenante si elle est vêtue en femme à la mode avec tous les secours de l'art ; tandis que la reine du bal dans la cohue nocturne ferait piètre figure sous la blouse de la travailleuse des champs, au milieu de la monotonie d'arpents de navets, par une morne journée. Tess d'Urberville

[img]http://images2.fanpop.com/images/photos/7500000/Tess-of-the-D-Urbervilles-tess-of-the-durbervilles-7508607-500-320.jpg[/img]
(Gemma Arterton dans le film Tess d'Urberville)
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By Maurice
#154408 Voici donc terminée ma lecture de Tess d'Urberville et oui, c'est un grand roman. J'en ai peu raconté pour ne rien dire de l'intrigue, car encore une fois, l'intérêt s'en trouve quand même décuplé lorsqu'on découvre sans rien connaître.

Incidemment, j'ai appris sur Wikipedia que "le livre Tess d'Urberville a connu un regain d'intérêt car il est cité dans le roman à succès Cinquante nuances de Grey de E.L.James paru en 20121. Il est offert par Christian Grey à son amante Anastasia." Je ne m'en souvenais plus. Evidemment ce n'est pas un critère (encore que le Grey n'offre pas que des cochonneries à sa copine) et évidemment, pour ceux qui sont tentés de lire le livre, n'allez surtout pas lire ce qu'il en est dit sur Wikipedia avant d'avoir le livre en main, nom d'une pipe !

Pour ceux qui aiment la littérature, c'est clairement un livre qui doit être lu (on ne discute pas !), dans la catégorie "Grand roman du XIXème" - et en haut de la pile, s'il vous plaît.

Pour ceux qui sont trop rigides dans leurs appréciations (du genre "au premier mensonge, je la plaque"), comme pour ceux qui ne le sont pas assez... en quelque sorte à la recherche d'un équilibre entre deux extrêmes, il n'est pas du tout inutile.

Pour ceux qui s'intéressent aux changements des relations homme/femme à travers les âges...

Pour ceux qui n'ont pas peur de tomber amoureux d'une femme de papier - et il semble que l'auteur lui-même soit en quelque sorte tombé amoureux de cet être issu de son imagination !

Pour ceux qui aiment la campagne, anglaise ou non (et tant pis pour Belmondo !)

Pour ceux qui aiment la profondeur, la pensée, la finesse, la nuance et la vie aussi...

[img]http://visionanddesign.files.wordpress.com/2013/01/1040891.jpg[/img]

Ainsi se clôt la saison littéraire du printemps. De ma très exigeante liste (en quantité), j'ai lu environ 1/4 des ouvrages que j'avais projeté de lire..., mais parmi les plus gros, soient environ 3000 pages en tout. Et puis quels livres pour la plupart ! J'ai un petit regret : celui d'avoir été bien seul ici sur la fin. Ceci étant, je sais que je suis lu - on m'a écrit des gentils messages privés que j'aurais pourtant aimé publics pour animer un peu ces lieux d'une autre voix que de la mienne.

Récapitulatif et étoiles subjectives. La première série d'étoiles concerne la qualité littéraire. La seconde série d'étoile concerne l'intérêt quant au thème de la séduction (ça peut être un intérêt théorique ou simplement parce qu'il donne envie...)

Margaret Mitchell : Autant en emporte le vent. **** ****
Fedor Dostoïevsky : Crime et châtiment. *** *
Bram Stoker : Dracula. ** **
Pierre Jakez Hélias : Le Cheval d'Orgueil. *** *
Thomas Hardy : Tess d'Urberville **** ****
René Boylesve : La Leçon d'amour dans un parc. *** ***
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By pantin
#154412 Soit dit en passant merci à toi Maurice pour ces pastilles littéraires généreusement partagées, qui me font prendre conscience que je ne lis quasiment plus de Littérature (faute de temps, fatigue mais ce ne sont que des excuses assez peu recevables), me contentant d'articles, d'essais et de Google... et donc qu'il est impératif de m'y replonger. N'ayant pas le niveau requis pour échanger dignement, j'ai donc lu passivement...