- Jeu Mar 27, 2014 1:31 pm
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Le film souffre certes de ses difficultés dues à la durée, au budget faramineux et à l'adoption du technicolor (une première ou presque).
Je ne crois pas que Vivian Leigh joue mal : Scarlett m'apparaît bien ainsi, une jeune fille pleine d'énergie, inculte mais intelligente, dominatrice, d'une beauté imparfaite mais pleine de charme et qui sait jouer de ses charmes (et qui d'ailleurs ne pense qu'à ça, du moins au début : dominer et conquérir !). Seulement, le roman se donne le temps de nous la faire connaître, et le spectateur, lui, la reçoit en quelque sorte en pleine figure.
Mais même sans les défauts du film, le livre serait meilleur que n'importe quelle adaptation : la littérature est un art supérieur au cinéma en ceci que d'une part toute une partie de richesse du livre est éliminée (les monologues intérieurs, les réflexions de l'auteur, les différentes perspectives d'un même événement...), d'autres part ça va évidemment trop vite : descriptions, dialogues, et tout retour en arrière est impossible.
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Ce matin, je marchais dans une rue adjacente aux Champs-Elysées - et de ses chinoiseries mises en place pour célébrer cette grande démocratie qu'est la Chine et emmerder le piéton qui va bosser en fermant tout un tas de stations de métro pour faire plaisir à madame l'épouse du Tyran de Chine - lorsque tout à coup, je remarque une véritable petite Scarlett blonde demandant du feu à un groupe d'hommes à la sortie d'un bureau. Personne ne fumait. Et moi, j'avais juste ma cigarette électronique. La Belle manifestement en manque me demande du feu en dépit de ma cigarette électronique.
Les quatre hommes à côté d'elles semblaient être effondrés de ne pas pouvoir combler le désir urgent de nicotine de son Altesse Sa Blondeur. Mais l'un, pas trop mal de sa personne d'ailleurs, empli d'un esprit tout chevaleresque, après mon refus, a pris soudain la mesure que requiérait l'urgence de la situation et lui a dit, d'un air qui montrait à quel point il allait assurer et combien il prenait la chose à coeur : "Restez là, je vais vous chercher du feu" en se décidant à arpenter la rue dans tous les sens afin de lui donner satisfaction - dût-il sans doute égorger un passant pour s'emparer de son briquet si celui-ci refusait de faire un détour... vraiment motivé !
L'action s'est passé en moins de 10 secondes, mais j'avoue avoir été sidéré par cet aplaventrisme face à la beauté d'une jeune fille bien apprêtée. Mais à la réflexion, j'ai remarqué que moi-même, lorsqu'elle m'a demandé du feu, j'avais un sourire plus nette, une réponse plus spirituelle, un regard plus acéré que si ça avait été Monsieur Martin qui m'avait demandé du feu.
Sans doute qu'Ashley, le jeune homme aimé de Scarlett s'y serait pris un peu comme moi, mais sans doute se serait-il arrêté en oubliant totalement ce qui occupait son esprit, pour lui signifier un peu plus courtoisement que moi, un refus forcé par la contrainte : "non, voyez-vous ce n'est pas une cigarette, c'est une cigarette électronique, et donc je n'ai pas de feu, je suis bien désolé mademoiselle..." Mais Ashley appartient à une race disparue, c'est un aristrocrate et il aurait eu la même politesse, la même prévenance que s'il s'était agi de Monsieur Martin.
Rhett Butler, lui, qui ne cesse d'intriguer Scarlett, qui l'amuse tout en la scandalisant, aurait peut-être répondu ainsi à la Belle, en montrant sa cigarette électronique et en s'arrêtant aussi, contrairement à moi qui avait simplement ralenti le pas : "Ma p'tite dame, vous voyez bien que c'est une cigarette électronique qui fonctionne sans feu, non ? Mais pourquoi ne pas profiter de l'occasion pour aller vous procurer cet accessoire ? Ces poumons-là, que vous mettez si joliment en valeur, et avec raison, méritent mieux que le massacre que vous leur faites subir tous les jours avec acharnement !"
Voilà ce à quoi je pensais peu après avoir quitté ce groupe d'admirateur et Sa Blondeur, juste croisés l'espace d'un instant, pour vous montrer à quel point cette œuvre peut vous habiter !