- Mar Sep 28, 2010 10:37 pm
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Sea, Sex and Sun[/size]
J'ai toujours essayé de choisir un maximum de stages en chirurgie, et en cancérologie. Chirurgie, parce que ce sera mon futur métier. Et cancéro (alias oncologie, comme Wilson dans Dr House ;D ), pourquoi ?
D'abord pour une raison technique : la cancéro est une discipline qui concerne le corps humain dans son ensemble, à l'inverse de la neuro ou de la cardio par exemple. Je trouve donc ça plus intéressant.
Ensuite, pour une raison humaine.
Prenons un individu au hasard. Plaçons-le dans la rue. Disons, sur la Canebière, en face du Centre Bourse. Sur le trottoir, juste là, à côté d'un lampadaire. Eh bien cet individu ne sera pas spécialement sympathique avec tous les autres individus comme lui qu'il croisera.
Maintenant, reprenons cet individu, et décidons qu'à force de se dandiner au soleil à Marseille, il s'est emmêlé les tongues (car oui, à Marseille, on ne porte que des tongues) et, tragédie, est tombé sur une capsule de Pelforth qui lui est rentrée, par quelque pirouette improbable, dans un orifice. Le nez, par exemple. Profondément. Notre individu se retrouve donc à l'hôpital.
Là, il devient déjà plus sympathique : il fait des blagues aux infirmières, il est très gentil avec les médecins. Ses amis et sa famille l'appellent, sa femme et ses enfants s'inquiètent et sont aux petits soins. Bref, c'est l'euphorie façon bizounours et compagnie.
Imaginons maintenant, qu'au cours des divers examens passés, on lui découvre par hasard une tumeur, maligne. Un cancer. Voilà notre individu transféré du jour au lendemain dans un service d'oncologie.
Là, dans sa petite chambre d'hôpital, il se métamorphose peu à peu. Il évolue avec sa maladie. Il prend du recul, il comprend tout ce qu'il risque de ne plus jamais vivre. Car ce qu'il a peur de ne plus jamais vivre justement, ce ne sont pas les innombrables disputes avec sa femme, mais leurs moments de passion. Ce ne sont pas les hurlements échangés avec les jeunes voisins stupides pas foutus de tailler leur haie une fois pas an, mais la fois où ils les avaient invités au barbeuc' au bord de la piscine.
Ce qu'il rêve de vivre à nouveau, ce sont les bons moments, mais pas seulement. Car à ce stade, il n'en demande pas tant ! Ce serait presque trop beau, trop grand ! Les bons moments, et puis quoi encore ? Non, ce serait presque indécent. Ce dont il rêve d'abord, c'est de choses beaucoup plus simples. C'est de retourner dans sa maison, oui, celle qu'il n'a jamais entretenue et qu'il fuyait dès qu'il le pouvait pour aller faire toutes sortes de choses inutiles dont il ne lui reste rien.
Il rêve de s'asseoir dans son canapé, de serrer sa femme contre lui, puis de se lever tranquillement pour aller chercher une bière dans le réfrigérateur. Quelque chose de simple, insignifiant même. Que pendant des années il a fait sans même en avoir bien conscience, trop occupé qu'il était à penser à son patron qui devenait insupportable (les hémorroïdes), aux impôts qu'il faudrait bientôt payer, et à ce foutu clébard qui aboyait encore chez la bigote d'en face.
Il rêve de pouvoir conduire sa voiture à nouveau. Il essaie de construire son bonheur comme il peut, en rassemblant des lambeaux dans l'instant présent : sa femme lui apporte une petite nappe verte pour manger. Il se la met sur les genoux, et il a un peu l'impression d'être chez lui. Elle lui apporte de vraies assiettes, pas celles en plastic des hôpitaux. C'est la même bouillie qu'il y a à l'intérieur : il n'arrive plus à mâcher. Mais dans une assiette de la maison, elle a meilleur goût. Ça semble ridicule, une assiette. Mais il y a des patients qui préfèrent renoncer à manger plutôt que de continuer sans une vrai assiette, et avec une petite nappe, ou une présence amicale à leur côté. Parce qu'ils apprennent avec leur maladie, que continuer à vivre c'est d'abord vivre dans le présent. Et si le présent se résume à souffrir et à manger dans du plastic jetable seul dans un lit au milieu d'une minuscule salle blanche aseptisée, alors ils ne veulent plus de cette vie-là.
Notre individu est devenu très agréable avec les soignants, et on dirait qu'il retrouve sa joie de vivre. C'est qu'il la découvre, au contraire. Avant son hospitalisation, vivait-il seulement ? Lorsqu'ils ont passé ce niveau de compréhension, ces patients, tous services confondus, ce sont ceux qui semblent le plus positifs.
Notre individu est plus positif que lorsqu'il avait sa capsule enfoncée dans le nez. Beaucoup plus positif que lorsqu'il marchait au soleil sur la Canebière, et infiniment plus positif que lorsqu'il dispersait sa vie aux quatre vents sans rien retenir dans ses poches de ce qui la fait vraiment : les petits instants. Petits instants passés à taper sur son ordinateur, ou à lire. A marcher, fermer une porte, conduire. Lui ces instants il les aime, il voudrait les étirer à l'infini. Il prend soin de chaque moment, parce que la vie, ce n'est que le présent.
[size=75]PS : Je promets solennellement que mon prochain post sera extrêmement léger et concernera directement la séduction. ;D[/size]