- Sam Déc 01, 2007 5:16 am
#26602
Je ne veux aucunement relancer un débat qui, pour tout dire n’a que les allures d’un véritable débat (c’est d’ailleurs là tout le problème, à force d’agiter des épouvantails à tout va, il devient pratiquement impossible à notre époque de se lancer dans un véritable débat…).
Néanmoins, il ne m’est pas possible de laisser passer un certain nombre de contre-vérités gratuites et en un sens dangereuses à propos de Nietzsche. Ceci étant, il est possible que ce qui suit n’ait pas sa place ici, pour ma part, j’en prend le risque.
En guise de préambule, je dirais que la philosophie, ce n’est pas et cela n’a jamais été une affaire d’opinion. Il faut un vrai courage pour dédier sa vie à la pensée, et c’est tout particulièrement vrai dans le cas de Nietzsche, lui qui a vécu et pensé à une époque qu’il a eu la douleur d’expérimenter au plus profond de son être, et sur laquelle il a porté un regard étonnement lucide :
Notre époque, qui s’agite sans cesse dans une étouffante chaleur, mais ils ne voient pas que sous la chaleur, le froid est de glace.
Elle le lui a bien rendu.
Ceci pour dire qu’il est tout simplement inconvenant de se permettre de porter un simple jugement de valeur sur Nietzsche. Ce dont il est question avec lui, comme avec tout les véritables philosophes, c’est de l’essentiel, qui nous concerne absolument tous sans même que nous le sachions la plupart du temps.
Ceci étant dit (sans doute bien trop rapidement), j’aurais quelques remarques à faire.
[quote="Body"]Lorsque je lis sa biographie je
ne peut décemment pas lire ses bouquins.
Il y a quelque chose de pourtant évident à dire ici, mais qui est peut-être trop évident justement : une « biographie », quelle qu’elle soit (y compris lorsqu’il s’agit d’autobiographies) n'est JAMAIS la transcription parfaitement juste de simples « faits » qu’il suffirait de connaître pour pouvoir se faire un avis définitif et certain sur la vie d’un être. Et il y a une raison très simple à cela : c’est tout bonnement impossible ! Une biographie est toujours une INTERPRETATION de faits. Aussi, contrairement à ce qu’une forme de pensée largement dominante semble affirmer, la vie n’est jamais une affaire de certitude absolue. Rien d’étonnant alors à ce qu’une biographie de Nietzsche soit un travestissement de ce qu’il a été, de ce qu’il a pensé. Pour cette raison, elle ne pourra jamais être digne de confiance. Et cela d’autant plus qu’elle ne fait que colporter une sorte de préjugé (Nietzsche a permis le nazisme, pour faire court), qui ne se voit même pas comme préjugé. Il serait bon ici de comprendre ce que nous dit un autre philosophe (Hegel en l’occurrence, mais le but de ce post n’est pas d’accumuler les références) :
Ce qui est bien connu, justement parce qu’il est bien connu, n’est pas connu.
Tout le problème est de savoir s’il nous importe ou non de devenir capables de saisir la puissance d’une pensée comme celle de Nietzsche (c'est-à-dire, en réalité, la puissance de la pensée elle-même), qui peut permettre une ouverture sur une toute nouvelle dimension de la vie. Parce qu’il n’est pas question de séparer la pensée de la « vie de tous les jours ». C’est d’une seule et même chose qu’il s’agit, c’est
posséder la vérité dans une âme et un corps.
Alors soit on fuit devant la difficulté manifeste, et on se satisfait de peu de choses, des on-dit, des résumés, sans risque, et, au final on rejoint sans même s’en apercevoir la conjuration des médiocres au nom de la médiocrité.
Soit on estime que le jeu en vaut la chandelle, et on se risque à une lecture endurante, longue et sans doute parfois pénible. On prend le risque d’aller vers ce qui nous est encore inconnu, sans savoir à l’avance ce qu’on en retirera. Et il y a bien un danger à se lancer là dedans, mais c’est à mon sens précisément dans l’expérience de ce danger que l’on peut « se sauver » (pas au sens de s’enfuir) c’est-à-dire, être capable de se connaître bien mieux soi-même. Et je précise que cela ne veut aucunement dire « souscrire sans réserve aux pensées d’un gourou », d’abord parce qu’il n’y a pas lieu de souscrire à quoi que ce soit et ensuite parce que le propre d’un vrai philosophe est la liberté. Mais ai-je réellement besoin de m’étendre sur ce point ?
Donc, et même si la tentation est grande aujourd’hui, il ne serait pas inutile de s’abstenir de porter des jugements là où ils n’ont pas leur place. Sans cela on risque le plus souvent de se casser les dents…
On conte qu'un serpent voisin d'un Horloger
(C'était pour l'Horloger un mauvais voisinage),
Entra dans sa boutique, et cherchant à manger
N'y rencontra pour tout potage
Qu'une Lime d'acier qu'il se mit à ronger.
Cette Lime lui dit, sans se mettre en colère :
« Pauvre ignorant ! et que prétends-tu faire ?
Tu te prends à plus dur que toi.
Petit Serpent à tête folle,
Plutôt que d'emporter de moi
Seulement le quart d'une obole,
Tu te romprais toutes les dents.
Je ne crains que celles du temps. »
Ceci s'adresse à vous, esprits du dernier ordre,
Qui n'étant bons à rien cherchez sur tout à mordre.
Vous vous tourmentez vainement.
Croyez-vous que vos dents impriment leurs outrages
Sur tant de beaux ouvrages ?
Ils sont pour vous d'airain, d'acier, de diamant.
(Jean de La Fontaine)
Enfin, concernant la signification du surhomme, je ne prétends pas donner de réponse définitive quant à la signification du terme. Non. Je me contenterais simplement de citer un autre grand penseur, qui a permis dans une large mesure à Nietzsche de penser ce qu’il a pensé, il s’agit d’Héraclite d’Ephèse. Je me permet de le faire parce qu’il n’est pas impossible que seule la lueur portée d’un sommet vers un autre sommet soit à même de faire apparaître celui-ci en pleine lumière.
S’il n’espère pas l’inespéré, il ne parviendra pas à le trouver.