- Dim Avr 05, 2015 11:43 pm
#167772
Jeu : des paroles de chanson se cachent dans ce texte. Un livre dédicacé au premier à les reconnaître.[img]http://www.spikeseduction.com/wp-content/uploads/2015/03/immondizia.gif[/img]
[size=150]Saison II : immondizia[/size]
[size=125]Chapitre i[/size]
6 mois avaient passé sans nouvelles.
Il y avait bien eu un - ou deux, je ne sais plus - messages d'étonnement, le lendemain, sur le
social network qu'elle et ses consoeurs fréquentent assidument, mais à leur sincérité je n'avais jamais cru.
En dépit de l'évidence avec laquelle ce constat s'impose à moi aujourd'hui, je restais à l'époque prisonnier de la grille de lecture binaire d'un sociologue d'autorité qui, de femmes, ne semble avoir connu que la sienne : Goffman. Auprès de lui j'avais appris que le monde des comportements,
tous les comportements, devait forcément se plier à une catégorisation en deux placards bien distincts. Primo, celui du
vrai, où les représentations sont considérées comme dénuées d'intentions, les gens répondant spontanément aux stimuli de la situation. Secondo, celle des comportements
simulés, mensongers puisqu'il n'existe aucune réalité à laquelle ils pourraient apporter une réponse.
Si Goffman avait connu Vanessa comme moi, s'il s'était retrouvé prisonnier complice de son corps humide et parfumé comme les marins de ces tripots clandestins où se concentrent le vice, s'il avait léché le duvet blond dont perlait ses gouttes salées de sueur pendant l'amour, s'il avait connu Vanessa dis-je, tout comme moi elle l'eût privé du sommeil où semble s'être interrompue l'aventure de sa réflexion. Et elle lui eût fait péter sa grille de lecture en mille fragments épars, ventilée façon puzzle. Quand n'existe aucune réalité à laquelle répondent les comportements, les gens se la fabriquent, avec moulte créativité, un relatif talent et beaucoup de persévérance*. Comme les comédiens et autres femmes de scène, les Vanessa doivent croire sans défaillir à l'absolue réalité de leurs mensonges pour se dispenser de ressentir les émotions des sentiments qu'elles interprètent. L'essentiel de l'intrigante est de laisser croire à la spontanéité de ses dires, actes et réactions. Telle est la place de la sincérité dans la construction d'une vie basée sur l'apparence et les faveurs d'autrui.
Comme d'habitude, l'hiver de Paris, sans jamais atteindre la puissance évocatrice et mobilisatrice du grand Nord, avait été trop long. Pendant 6 mois sans discontinuer, un vent scélérat s'était frayé un passage sous les habits les plus tenaces, et plongé le bassin entier dans une brume atone. Tout projet, tout déplacement allait sentir le printemps, et je décidai d'accepter par anticipation toute sollicitation visant à décamper. Celle-ci allait survenir quelques semaines plus tard, et me mener dans un pays dont la simple idée d'interminables dimanches au bord des lacs immobiles évoque la plus profonde neurasthénie. Il s'agit, vous l'aurez deviné, de [url=http://www.spikeseduction.com/forum/nos-amis-les-suisses-le-2eme-topic-qui-sert-a-rien-vt11162.html]la Suisse[/url].
Par un email laconique, un ami m'informait de l'aboutissement d'un de ses projets en cours : l'ouverture d'une discothèque à la frontière transalpine. L'accouchement avait semble t-il été somptueux et, quelques semaines à peine après l'ouverture, le lieu faisait salle comble et des locaux traversaient le canton (voire la frontière) pour y dépenser leur salaire de la semaine en alcools et farines légères. Ces gens-là ont tout ce qu'ils veulent. C'est alors que je m'inventais un défi supplémentaire : ne pas me rendre seul à son invitation. Que je venais d'accepter. La chronologie exacte peut par endroits faire défaut à ce récit, j'ai la mémoire comme l'intelligence : sa face émotionnelle l'emporte sur sa jumelle rationnelle.
Pour vous faire un status report de ma vie sexuelle à l'époque, nous la qualifierons, avec un certain conservatisme, de "variée". Ce qui signifiait donc, les plus fins observateurs l'auront deviné, que ma vie émotionnelle était inexistante. L'année précédente, j'avais quitté une femme que j'aimais beaucoup mais dont la particularité était d'entretenir avec le réel l'exact type de relation qu'ont les chats à l'eau froide, en deux mots une artiste. Ou du moins une personne auto-proclamée artiste, comme bien souvent, par refus et déni des rapports économiques abjects du monde du travail, qui persistent à exiger des gens un effort régulier, en vue de produire un résultat mesurable, et ce en échange d'une rétribution appelée "salaire".
Je n'étais donc pas démuni devant le choix d'une accompagnatrice. A la réflexion, j'aurais même pu y aller tout seul ; mais justement, je n'ai pas vraiment réfléchi. On repense souvent aux gens comme à des "vignettes", encadrés d'une image-contexte qui semble être leur élément naturel. Or la discothèque, avec ses obscurités violentes, ses musiques binaires, ses rites comportementaux mâles et femelles réunis, de qui donc la discothèque est-elle l'élément naturel sinon d'une strip-teaseuse, d'une escorte, ou de toute autre demi-pute ?
Dans ces lieux où le plus gros de la foule ne se voit ni ne s'entend, elles n'ont même plus à feindre l'affection. Telle est la place de la sincérité dans la construction d'un lieu basé sur l'échange de l'apparence des uns et des faveurs des autres, Goffman. C'était décidé, je me rendrais à cette soirée avec Vanessa, ou bien tout seul. Nulle autre ne logeait adéquatement dans mon anticipation inconsciente d'un week-end de la sorte. Bien entendu, cette perspective ne tenait en rien lieu de retrouvailles, encore moins de réconciliation. Seul résidait, déplumée de tout apparat, l'idée de l'accompagnement d'un homme à un événement festif par une femme dont celui-ci savait, avec la tranquillité que seule confère une absolue certitude, qu'elle viendrait parfaitement fardée, apprêtée, et équipée. La lingerie n'est jamais aussi belle qu'hors de chez soi, et pour un homme qui n'est pas le sien.
A suivre.* "Les gens vivent dans l'unique monde qu'ils peuvent comprendre", séminaire [url=http://www.spikeseduction.com/actualite/19022_comprendre-les-gens.html]comprendre les gens[/url], partie 3