- Dim Avr 01, 2012 10:58 am
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[size=150]Chapitre XI :
In vacuo[/size]
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La nuit est dense, à la campagne : quand nous arrivâmes, tout était noir en Diable. Vanessa me précédait à pas de loup dans l’escalier qui sentait le sapin huilé. Elle commença de se déshabiller dans le couloir puis, quand la clef eut dénoué la serrure, se dirigea vers la douche comme chez elle. Les cinq minutes règlementaires passées, elle se sécha méticuleusement jusqu’aux orteils et le spectacle de ses lourdes mamelles livrées à la seule gravité qui se mouvaient dans le vide, mesurant l'élasticité de la peau, me faisait l’effet d’un stroboscope. Quelques minutes plus tard, anesthésié, je dormais.
Vers cinq heures du matin le silence me réveilla. J’avais oublié de fermer les volets et dehors la plaine dégorgeait la brume qu’elle avait bue pendant la nuit. Ce n’était pas féérique, non, juste des bandes de rosée grises et roses sur le sol vallonné dont ne surnageaient que deux ou trois haies de bois. Calfeutrée dans le lit, la boule de chair chaude dormait profondément - je n’ai pas assisté à cette scène très souvent. Ses flancs se dilataient et se rétractaient au rythme de sa respiration comme les chiens qui ont bien couru. Je trouvaio malin de sortir un beau livre de la bibliothèque mais encore fatigué je ne pûs rien comprendre de ce que je lisais alors je renonçai et retournai me coucher.
Quand je me réveillai, l’eau coulait abondamment et je crus brièvement à une inondation mais c’était Vanessa dans la pièce d’à côté qui se lavait encore une fois. J’en déduis que nous avions dû copuler pendant la nuit sans que je m’en souvienne, puis descendis au petit déjeuner où trônaient sur la table des confitures maison qui me firent tout oublier : Vanessa, ses lavements perpétuels (qu’avait-elle dans la peau pour ressentir le besoin irrépressible de se la récurer comme ça), tout ce qu’elle ne disait pas, et même ce qu’elle disait volontiers). Il est d’ailleurs temps que je vous en parle un peu. Parmi les sujets dont parlait Vanessa sans trop se faire prier, il y avait les fameuses «soirées», rangées sous le dénominatif anglo-saxon de «party». Dans la bouche d’une
party girl, une «party» - dansante ou pas - désigne toute réunion d’un groupe de personnes, d’une source de musique (généralement électronique, répétitive et binaire), et d’une quantité suffisante d’alcool ou d’un narcotique quelconque. Combinant à la fois très mauvaise hygiène de vie, parfaite vacuité (on n’y apprend jamais rien, sinon à lire sur les lèvres) et outrancière comédie sociale, ces performances post modernes servent pour toute une population d’attardés de pont entre leurs jours inutiles, qu’ils feraient d’ailleurs mieux d’abréger une fois pour toute au lieu d’y aller à petit feu. Quand elle ne travaillait pas, Vanessa et son cercle d’amis se rendaient donc à des «parties» planifiées dans le 8ème arrondissement, entre l’avenue Georges V et la place de l’étoile, où ils côtoyaient dans une forêt de décibels d’autres adeptes de «parties» venus passer la nuit en dehors de chez eux. Je me plaisais à imaginer qu’à défaut de pouvoir se parler (comment faites-vous au juste pour parler à votre interlocuteur au-delà de 100 db de bruit ambiant ?), ils avaient peut-être développé d’autres moyens de se saluer au passage, comme les chauffeurs de bus et se tendent la main par la fenêtre de leur cabine. Une semaine bien remplie pouvait compter jusqu’à 6 ou 7 «parties», dont il semblait difficile a posteriori de retracer le contenu, mais dont on imaginait qu’elles s’étaient bien ou mal déroulées selon le descriptif dont elles héritaient sur Facebook le lendemain. Les voyages faisaient également partie des sujets sur lesquels il était aisé d’obtenir de Vanessa qu’elle parlât, à condition de ne pas lui demander exactement qui l’accompagnait où ce qu’elle y faisait, des questions immédiatement sanctionnées par (respectivement) les immuables réponses : «with friends» et «just visiting». A bien y réfléchir, ce n’était qu’un demi-mensonge : en effet, elle «visitait» sa vie, ne faisait qu’y passer, sans qu’il soit possible de déchiffrer d’où elle venait et où elle retournerait ceci fait.
Elle entra dans la pièce du petit déjeuner vêtue et maquillée, puis s’assît sans me toucher. Elle ouvrit un yoghourt au lait entier en évitant soigneusement leurs cousins allégés, ce qui m’a rappelé que j’aimais la voir manger. Je sortis dans le jardin, à la fois par curiosité et pour m’étendre au soleil, où elle me rejoignit. Assise sur les pierres tièdes, elle se laissa aller et les paroles qui s’écoulèrent furent des gentillesses dont mon ego fût à la fois surpris et touché. Elle dût s’interrompre quand mon téléphone sonna : c’était mon client qui demandait à ce que je lui confirme l’adresse du rendez-vous pour son relooking. Je la pris par le bras, l’embrassa et nous primes la route.
Les lignes droites succédaient aux lignes droites et en passant la cinquième vitesse je me vis le compteur indiquer 180 kilomètres par heure. Je la regardai, inquiet qu’elle réalisât, et elle se contenta de sourire en ajoutant : «fas-ter». J’écrasai l’accélérateur en songeant à ce que ratent ceux pour qui conduire un cabriolet à vive allure se réduit à brasser du vent. Créer et jouir des fruits de sa création ne servent, en dernière instance, qu’à brasser le vent, et c’est bien ainsi. Bien mieux en tous cas que brasser du vent en prétendant créer pour mieux jouir de la création des autres, ce que font tous ceux qui se branlent en me lisant puis m’écrivent des mails insultants en disant que mes histoires ne servent à rien. Lâchez-moi les charentaises, écrivez-en autant, et allez vous faire un tilleul.
In vacuo.