- Sam Avr 07, 2012 6:40 pm
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[size=150]Chapitre XII :
Le défilé est terminé[/size]
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A la période que je m’apprête à évoquer, un client de Moscou logeait pour quelques jours à la maison. Les occidentaux à s’expatrier dans cette ville me fascinent : choisir de son plein gré une des villes les plus chères du monde, laide par dessus le marché, sans finesse, où l’on mange mal, où les hommes sont laids, alcooliques et aboient quand il suffirait de parler, où les femmes sont vénales et dépressives, où la police peut à tout moment vous ponctionner de votre argent liquide sans rendre de comptes à personne, tout ceci me semble constituer la preuve d’une recherche maladive de la souffrance et relever en droite ligne de la psychiatrie pure et simple. Les seuls occidentaux que je connaisse à aimer et à rechercher la fréquentation des slaves sont d’ailleurs aussi différents de moi que les pôles ne le sont de l’équateur : ils n’ont aucune émotion, aucun humour et aucune empathie, et sont indifférents à tout ce qui peut vous arriver.
Vanessa et moi nous fréquentions depuis quatre mois environ et la nature de nos rapports n’était plus dictée que par cette froideur souveraine que j’ai longuement tenté de décrire dans les chapitres précédents. Elle était devenue joyeuse, presque enthousiaste. Un sourire éclairait son visage lorsque j’ouvrais la porte et jamais elle ne se présentait sans une touchante attention, que ce fût une photo, un mot, un souvenir ou une sucrerie. Quelques jours auparavant, sur la pelouse du salon maison&objets où un de mes amis exposait ses bibliothèques, elle se laissait aller à des vagues de tendresse qui ne laissaient pas indifférent le vieux coeur sec que je suis. Elle avait même arrêté de fumer.
Comme d’habitude, rendez-vous était pris chez moi, d’où nous devions nous rendre à pied à un petit cocktail amical donné dans une boutique de vêtements. Comme d’habitude, elle entra sur la pointe des talons avec un petit paquet à la main contenant la surprise du jour. Je fis les présentations de mes deux invités qui échangèrent quelques mots en Russe puis nous partîmes à pied sur le boulevard, que dorait un rayon de soleil de fin de journée. J’étais heureux.
Nous fûmes accueillis par la vendeuse en chef qui nous gratifia d’un peu de badinage avant de nous laisser nous en prendre aux boissons. Vanessa me demanda une coupe de champagne, ce à quoi je répondis que c’était superflu car je savais ce qu’elle prenait. Puis, verre en main, nous devisâmes de la mode du moment, c’est à dire que nous regardions les gens en nous moquant de ceux qui, voulant trop en faire, finissaient par ressembler à quelque chose de si éloigné de l’être humain normal qu’on se demandait avec qui ils pouvaient bien être amis. Le défilé allait démarrer dans quelques minutes. Pas un vrai défilé, non : un petit show à la bonne franquette avec deux ou trois mannequins recrutés à la sauvette pour présenter la nouvelle collection aux bons clients.
Nous étions assis sur une sorte de banc tendu de cuir quand je demandai à Vanessa de me raconter comment s’était terminée sa soirée de la veille. Mon ami et moi l’avions rejointe au Queen où était donnée une «party» (voir épisode précédent) à l’occasion de l’anniversaire d’une de ses anciennes colocataires. Puis, lassés par le beat répétitif, indansable, la vulgarité du staff et globalement de l’endroit, nous étions rentrés avant elles. Comme de bien entendu avec une party girl, le récit de la soirée dans la boite de nuit fût vite expédié puisque personne n’a rien fait mais son histoire ne s’arrêta pas là.
Vanessa me raconta comment elle était sortie plus vite de l’endroit que ses amies qui avaient toutes déposé leur manteau au vestiaire. Puis sa voix pourtant monocorde subit l’infime variation tonale des gens qui s’apprêtent à vous mentir. Comme d’habitude (car
j’ai l’habitude), je ne montrais aucun signe distinctif d’une quelconque réaction aussi continua t-elle sans me soupçonner de la deviner. Elle me raconta comment, devant la boîte de nuit, elle fît la connaissance d’un homme «very interesting», qui non content de repartir avec son numéro de téléphone comme l’aurait rêvé un vulgaire dragueur de rue, la fit monter dans sa voiture et l’accompagna jusqu’à l’appartement d’un ami Estonien où elle avait coutume de terminer ses nuits à boire du vin en regardant des films.
Comme elle disait ces mots, mon oesophage faisait des noeuds et des relents aigres-doux me remontaient jusque dans la bouche. Ses yeux bleus me regardaient comme deux lacs tranquilles pendant que me montait l’envie de lui vomir dessus. Soudain les traits de son visage harmonieux et carrés, m’apparaissaient difformes, grotesques. Son nez - je ne l’avais jamais remarqué - ressemblait à une pomme de terre. Ses cheveux, qu’elle lavait patiemment matin et soir, m’apparaissaient soudain sales, pesants et puants. Ses jambes, que je savais parfaitement lisses et musclées, me semblaient grasses et lourdes dans son jean collant qui en un instant la boudinait. L’envie de vomir continuait de monter, c’était insoutenable, cette envie de lui cracher mes glaires dessus, de la laisse débattre avec mon tube digestif, de la voir littéralement plongée dans cette saleté que, désormais, elle incarnait.
Ivre de dégoût, je rassemblai mes forces et sortis en tirant mon ami par le bras. Elle nous suivit sur quelques mètres avant que je ne me retourne sur elle :
[quote]
«Le défilé est terminé, rentre chez toi.»
En rentrant j’effaçai toute trace d’elle.
[size=150]Fin de la première saison[/size]
Ps : sur le trajet du retour, mon ami à qui je tentais de raconter la scène, eut une mine étonnée et me répéta ce qu’elle lui avait dit pendant que j’étais parti remplir les coupes :
[quote]
- (Lui) «So, we have male models in the room tonight, who do you think is the most stylish ?»
- (Vanessa) «Stéphane»