- Lun Nov 24, 2014 12:47 am
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[size=150]Comme dans un film[/size]
[img]http://image.toutlecine.com/photos/h/i/s/histoire-du-garcon-qui-voulait-qu-on-l-embrasse-1994-02-g.jpg[/img]
Beaucoup de choses se sont passés, d'un coup, en un mois et demi.
Moi qui m'imaginait passer les 10 prochaines années à Paris, me voilà en train de prolonger ce journal en Espagne. Première étape d'une traversée de l'Europe.
Moi qui guettait fébrile les offres d'emploi de ma minuscule chambre de bonne, me voilà dans un grand appartement au centre de la capitale ibérique.
Moi qui cherchait en traînant des pieds un travail de cadre dans telle ou telle multinationale pour laquelle je ne partagerais pas sa recherche de profit
amorale, me voilà projeté sur une thèse doctorale que je n'osais plus espérer. Et voilà que je finis par faire ce que j'ai toujours voulu faire : de la recherche.
Je me suis donné les moyens de décrocher cette thèse, mais je dois aussi avouer avoir eu beaucoup de chance... presque trop.
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Les premiers matins durant lesquels je me réveillais dans cette auberge de jeunesse, attendant de trouver un logement fixe, je n'y croyais pas vraiment.
Je veux dire : ça avait l'air bien réel, mais autant que peut l'être une pellicule* qu'on ferait défiler devant mes yeux.
C'était peut-être à cause du manque de sommeil, remarquez.
La veille de mon vol, j'avais eu la bonne idée de revoir une amitié charnelle de longue date.
C'était de la gourmandise, j'avais déjà vu une autre fille quelques jours avant. Mais j'avais besoin de me remplir l'estomac avant le grand départ.
C'est donc les yeux encore humide de rêves que je pris l'avion et que je traînais mes deux valises sur le pavé tel un zombie.
Evidemment ça parlait l'étranger partout par ici. Demander un renseignement avec les doigts en leur montrant une carte produit une espèce de chant castillan avec une chorégraphie des mains (gauche, droite, droite) très touchant mais difficile à interpréter. Surtout avec 2 heures de sommeil dans les dents.
Enfin, l'adresse trouvée... la chambre... puis le repos.
Mais rien à faire, même le lendemain et encore fortement aujourd'hui je baigne encore dans un sommeil éveillé tant je suis abasourdi par le changement de perspective que j'ai subi.
Autre pays, autre langue (jamais pratiquée avant), autre carrière.
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Je me mettrais volontiers des baffes. Des baffes pour ne pas arriver à jouir simplement de cette chance.
C'est de ma faute, je suis allergique au bonheur. Je l'ai toujours été.
Il y a quelque chose de triste dans le bonheur : on ne sait pas combien de temps ça va durer.
Je me suis surpris à regretter que ça se soit réalisé.
J'en parlais à Stan lors d'une conversation éminemment profonde sur la dynamique du désir et de ce qui est atteint.
Il se trouve que j'ai su très tardivement être sélectionné. Un changement de dernière minute, le fameux coup de chance.
Les quelques mois qui ont précédée cette information, j'étais hors champs, cette option tant souhaitée ne faisait plus partie de l'arbre des possible.
Je me rêvais alors, sur cette branche impossible de l'arbre (si j'avais...) à la terrasse d'un café concentré sur des travaux de recherche avant de me laisser déconcentré par une espagnole qui ressemblerait à une actrice d'Almodovar et avec qui j'entamerais une belle histoire après l'avoir adroitement accostée.
[img]http://www.notasdecine.es/files/2012/01/la-piel-que-habito-lidera-las-nominaciones-a-los-goya.jpg[/img]
Mais désormais j'y suis en Espagne, dans cet environnement, ce qui me met alors la responsabilité de ce rêve sur les épaules.
Ne pas avoir accès à cette opportunité me permettait de l'enrichir, l'embellir ; y avoir soudain accès me met face à mon imagination. Et finalement me ridiculise.
Je ne vais pas m'asseoir à cette terrasse de café en attendant qu'une sosie d'Elena Anaya se pointe.
D'abord parce que tout ça manque de spontanéité. Or la rencontre est spontanée, elle ne s'attend pas.
Ensuite parce que je me sentirais trop con. Con de vouloir calquer un rêve sur la réalité.
Mais cette rencontre virtuelle n'est qu'un exemple parmi d'autres des projections que je m'étais faite.
Ce décalage entre le rêve et la réalité devient donc source d'insatisfaction, quand bien même
dans les faits j'ai obtenu l'orientation de vie que j'avais
toujours voulu avoir.
Qu'est-ce que je disais : allergie au bonheur.
* Je crois que c'est l'espagnol
pelicula (film) qui me fait adopter spontanément ce mot. Influence de la langue sur la façon de penser, etc...
Si tu peux être amant sans être fou d'amour,
Si tu peux être fort sans cesser d'être tendre
[...]
Et si tu peux aimer tous tes amis en frère
Sans qu'aucun d'eux soit tout pour toi ;
[...]
Tu seras un Homme, mon fils.